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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Conférence - En clôture de l'exposition "Tous parents, tous différents" Michel Serres : six révolutions pour un homme nouveau (photos)

Dans le cadre des conférences données à la faculté de médecine, à l’occasion du 125e anniversaire de l’USJ, Michel Serres, philosophe, scientifique et académicien français, s’est proposé de «retracer les six révolutions majeures qui ont dessiné notre monde actuel». Il a commencé son intervention en faisant remarquer que «125 ans, c’est à peine plus que la durée actuelle de la plus longue vie humaine». Et de se demander : «Que s’est-il passé pendant l’existence de l’université ?». Il constate, dans un premier temps, «une explosion démographique selon une pente verticale dans les 125 dernières années». La conséquence est «une transformation radicale dans un processus collectif d’expansion dans le monde, qui touche directement l’hominisation. Ce qui signifie qu’aucun problème ne se posera jamais plus comme avant», affirme-t-il. Il enchaîne avec la deuxième révolution, «celle des langues». Il remarque «la montée en puissance de nouvelles technologies de la communication : se sont succédé le chemin de fer, le bateau à vapeur, les mines, le moteur, puis le télégraphe, la télévision, la radio, et le réseau universel enfin», rappelle-t-il. Si bien que «les moyens de communication ont pris le pas sur les moyens de production», constate-t-il. «Ce sont de nouveaux liens globaux qui concernent l’espace et le temps du monde». Il donne comme exemple les indicatifs du e-mail et du cellulaire : «Pour la première fois, ce sont des chiffres indépendants de l’étendue et de la durée, qui ne sont plus attachés à un lieu précis». Et de conclure : «C’est un bouleversement égal à celui de l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie». Agriculture et hygiène La troisième révolution est celle du rapport au monde. «Vers 1900, la population était formée à 50 % par les agriculteurs», explique Michel Serres. «Aujourd’hui, ils ne représentent que 5 à 12 %». Dès 1950, les pays développés «perdent presque toute leur population agraire», affirme-t-il. Avant cette période, «la science et la culture étaient principalement tournées vers l’agriculture : un soldat, un magistrat, un médecin avaient une expérience directe ou indirecte avec ce modèle de l’activité humaine». Le conférencier constate qu’«aujourd’hui, il y a une perte du lien avec la terre». À titre d’exemple, il raconte que «la plupart des gens ne savent plus comment se sculpte le paysage, ni que les mots “pays”, “page” ou “paix” viennent du mot “paysan”. Il ajoute qu’il y a 125 ans de cela, “Pasteur ne s’occupait que du problème agraire”». La quatrième révolution concerne l’hygiène et la médecine : «À partir de la Deuxième Guerre mondiale, l’hygiène s’est répandue et s’est instaurée la politique de santé publique», explique-t-il. «Avec l’invention des sulfamides et des antibiotiques, la médecine gagne vraiment : elle devient subitement efficace et bouleverse les rapports à la douleur et à la mort». Les conséquences sont nombreuses : l’apparition en pharmacie des analgésiques et leurs dérivés donne naissance aux psychotropes, entraîne la libération sexuelle et la modification de l’alimentation infantile. Le conférencier ajoute : «Le corps s’exhibe, parce qu’il est moins abîmé par la laideur laissée par les traces de la maladie. Il n’a plus rien à cacher». Il donne comme exemple : «Daumier n’est plus considéré comme un caricaturiste, mais comme un peintre qui voyait la triste réalité des corps». Au cours des années, «il y a eu une perte de l’idée du lien avec la douleur». Conséquence : «On habite son corps et ses nouvelles performances avec un sentiment nouveau». Nouvelles performances, «nouvelles exigences : le corps exige une sécurité alimentaire maximale et aboutit peu à peu à la maîtrise de sa reproduction», conclut-il. La vie, la mort : même combat Cinquième révolution : les biotechnologies. Michel Serres précise que «les pratiques les plus reculées dans la civilisation humaine étaient déjà des biotechnologies». Et il rappelle que «lorsque la première plante transgénique est née, en 1983, les expansions qui ont suivi se sont produites sans aucune inquiétude de l’opinion et des médias». De cette avancée du génie génétique, il tire deux scénarios possibles : «Si les biotechnologies triomphent, il y aura deux sortes de vivants : ceux issus du progrès et ceux qui seront réduis au zoo». Second cas de figure : «Et si les pays développés se souciaient du tiers-monde ?», s’interroge Michel Serres. Il rappelle qu’«un riz doré est né des biotechnologies, enrichi en vitamine A et en fer : pourquoi ne pas le cultiver et le distribuer dans les pays défavorisés ?». En revenant sur les progrès médicaux, il rappelle que «le couple médecin-patient doit lutter sur quatre fronts : financier, juridique, communicatif et administratif». Les médias sont dans la ligne de mire : «Ils construisent l’image de toute chose, si bien que l’image devient la réalité». Enfin, dernière révolution : la mort. Le conférencier rappelle tout d’abord que «les métropoles étaient à l’origine des nécropoles». Il évoque sa propre idée, selon laquelle «la mort et ses peines ont engendré des civilisations qui meurent, elles aussi, de façon aussi incertaine qu’imprévue». Il affirme que «la mort individuelle et la mort des cultures fondent la vie». Or le XXe siècle a inventé une troisième mort, «les matins d’août 1945, à Hiroshima et Nagasaki : c’est la mort globale de l’humanité», estime-t-il. «Les armes thermonucléaires ont fait prendre conscience du risque d’éradication». D’où «des modes involontaires et volontaires de mort : par les fléaux, mais aussi par la bombe atomique et, plus récemment, la pollution». Avant de conclure, Michel Serres rappelle que «depuis 20 ans, on a découvert la mort déchiffrée, c’est-à-dire qu’on connaît les signaux du suicide d’une cellule». «Ces six révolutions sont en rapport étroit avec un passé très lointain. À partir d’elles, il faut construire une nouvelle philosophie pour voir apparaître un homme nouveau», conclut l’académicien, dont la conférence a clôturé les débats de la faculté, autour de l’exposition Tous parents, tous différents.
Dans le cadre des conférences données à la faculté de médecine, à l’occasion du 125e anniversaire de l’USJ, Michel Serres, philosophe, scientifique et académicien français, s’est proposé de «retracer les six révolutions majeures qui ont dessiné notre monde actuel». Il a commencé son intervention en faisant remarquer que «125 ans, c’est à peine plus que la durée...