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Actualités - CHRONOLOGIE

Science - Comme une arrière-pensée née chez les Sumériens Ce zéro qui a changé le monde

Les Sumériens l’avaient découvert, les Hindous le révéraient, les Grecs l’ont adopté avant de l’interdire : tour à tour craint, incompris ou ignoré pendant des siècles, le zéro a survécu aux intrigues des civilisations et changé notre représentation du monde. Hasard de l’édition en cette année riche en zéros, deux ouvrages parus aux États-Unis retracent l’histoire passionnante de ce chiffre pas comme les autres, «marque de l’esprit sur la matière», au pouvoir divin pour les uns, diabolique pour d’autres. «Regardez un zéro et vous ne verrez rien, mais regardez à travers et vous verrez le monde», souligne Robert Kaplan, professeur de mathématiques à l’Université de Harvard. Le zéro est né il y a 5 000 ans chez les Sumériens de la Babylone ancienne, presque comme une arrière-pensée. Ayant inventé la notation positionnelle (une colonne pour les unités, une pour les dizaines, les centaines, etc.), ils s’aperçoivent en effet du besoin de distinguer par exemple 36 et 306, en intercalant un symbole signifiant «colonne vide». Les Mayas avaient aussi découvert le zéro, pétrifiés toutefois à l’idée que le temps puisse un jour s’arrêter. En revanche, les Égyptiens, les Grecs et les Romains l’ignoraient, un oubli dont il subsiste un vestige puisque notre calendrier chrétien commence avec l’année 1. Pourtant, lors de l’invasion de Babylone par Alexandre le Grand, en 331 avant J-C, les Grecs avaient découvert ce chiffre étrange, choisissant même de le représenter par un cercle ovale. Mais effrayés par ses propriétés mathématiques et abhorrant le vide, les Grecs le bannirent. Car le zéro violait un des principes fondamentaux des nombres, l’axiome d’Archimède, qui stipule que lorsqu’on ajoute un nombre à lui-même suffisamment de fois, le résultat dépasse n’importe quel autre nombre en importance. Contre les hérétiques Ajoutez un chiffre à lui-même, il change et grossit (2 + 2 = 4), pas le zéro (0 + 0 = 0). La multiplication par 0 donne toujours 0, passe encore, mais le pire survient avec la division par 0, qui a le pouvoir de détruire toute logique. Ainsi, rappellent nos auteurs à l’aide de quelques équations amusantes, on peut, en divisant par zéro, tout aussi bien prouver que 6 = 17 ou encore que Winston Churchill est égal à une... carotte ! Rejeté en Occident, le zéro prospère en Orient sous la forme d’un petit rond, en Inde d’abord, puis chez les Arabes. Versé dans le symbolisme de la dualité, l’hindouisme vénère ce chiffre, incarnation du néant suprême. Le «zéro a été au cœur de la bataille entre l’Orient et l’Occident, au centre du combat entre la religion et la science. Sous chaque révolution gît un zéro... et un infini», souligne Charles Seife. Si le zéro est si puissant, remarque-t-il, c’est bien parce qu’il est ce «jumeau, l’égal et l’opposé de l’infini, l’un comme l’autre paradoxaux et troublants». Durant l’Inquisition, l’Église brandira cette idée au pouvoir diabolique, puisque négation de Dieu, pour mieux pourfendre les hérétiques. Le zéro ne revient en grâce en Occident qu’au XVIe siècle et, avec l’invention du calcul, devient la clé de voûte de la révolution scientifique newtonienne. Les auteurs concluent tous deux leur voyage au cœur du rien par une exploration des zéros de la physique moderne : des zéros absolus de la thermodynamique à ceux infinis des trous noirs de l’Univers, du zéro bizarre de la physique quantique qui remplit le vide d’une énergie infinie au zéro primal du Big Bang. Jusqu’à la mort froide de l’Univers : la «victoire finale du zéro ?», s’interroge Charles Seife. (Zero : The Biography of a Dangerous Idea, par Charles Seife, Viking Press, 258 pages; The Nothing That Is : A Natural History of Zero, par Robert Kaplan, Oxford Press, 225 pages.)
Les Sumériens l’avaient découvert, les Hindous le révéraient, les Grecs l’ont adopté avant de l’interdire : tour à tour craint, incompris ou ignoré pendant des siècles, le zéro a survécu aux intrigues des civilisations et changé notre représentation du monde. Hasard de l’édition en cette année riche en zéros, deux ouvrages parus aux États-Unis retracent...