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Actualités - OPINION

Toutes les mamans du monde

À la même heure, tu viens me dire bonjour, tu entrouvres juste un petit peu tes veines, tu les taillades, ça me gicle en pleine figure ; ainsi tu me montres que ce qui circule dans tes vaisseaux, ce qui fait battre tes oreillettes, tes ventricules, c’est l’amour que tu me portes, Mamma. J’essaie de te traduire, Mamma, en plusieurs langues, dans toutes les langues, mais rien n’y fait, je retombe inlassablement, constamment, sur cette même initiale, ce motif récurrent, fascinant, ce M qui ne quitte jamais ta bouche, tes lèvres sans arrêt qui répètent, on dirait que tu veux t’en convaincre Mamma, mais non je te cherche, je plaisante, tu m’M, tu m’M, tu m’M si fort, si fort, que maintenant encore, des années après, il suffit que tu fermes les yeux, c’est ce que tu me dis, pour m’entendre frapper, de mes petits, tout petits pieds contre ton «battoun», te faire coucou. Mais moi Mamma, moi j’entends encore tes talons aiguilles claquer sur les escaliers lorsque puante de parfum, sans m’avoir embrassé(e) pour la nuit, tu t’en allais t’arroser de whiskies, jusqu’au bout des nuits avec ces messieurs tous gras, tous roses, «demain tu auras un cadeau», c’étaient tes promesses. Moi Mamma, je t’entends de ma chambre hurler de bonheur à chaque ballon marseillais, hurler à ton homme, comme depuis quinze ans, le nom du bel hidalgo buteur puis venir me demander si un jus d’orange me ferait plaisir. Mamma, un jour tu m’as raconté mon adoption, tu m’as raconté tes larmes, ton ventre tout éteint tout stérile, tu m’as raconté tes rires, vos rires, lorsque de Budapest à Manille en passant par Bamako, tu m’avais choisi(e), tu m’avais ressuscité(e), Mamma. Tu sais, la jeune fille sri lankaise qui trottine docile, obéissante derrière toi pour te ranger tes skis, me moucher le nez, pourquoi Mamma tu oublies qu’elle aussi, c’est un être humain ? Mamma, toutes ces nuits blanches que tu as passées à me border, à t’oublier pour moi, tes yeux rougis de sommeil, tu étais ivre de fatigue, tu m’élevais, tu me nourrissais, tu m’éduquais, tu me soignais, tu me torchais, je jouais avec toi, Mamma. Hier, tu aurais eu 42 ans Mamma, j’ai été m’allonger sur ta tombe, il pleuvait, je t’ai raconté ma vie, et j’ai maudit mon Dieu, «tu es un monstre, je ne crois plus en toi», moi je lui ai dit ça, tu m’as regardé(e), j’ai compris, rien qu’un regard de toi, Mamma, je lui ai demandé pardon. Tu sais, Mamma, je veux être sculpteur(euse), vivre avec un(e) noir(e), me percer le nez et pisser assis, tu hurlais, tu tempêtais, égoïste, égoïste tu étais, «mais qu’est-ce qu’ils vont dire les voisins ? » Je m’en fous, Mamma, des voisins. Mamma, à la même heure, tu viens me dire bonjour, tu entrouvres juste un petit peu tes veines, tu les taillades… tu me montres l’amour que tu me portes, tu m’M, ma journée sera la plus belle. Un jour Mamma, j’avais faim, tellement faim, tu me regardais, impuissante, implorante, tu ne pouvais plus rien, tu as ouvert ta poitrine Mamma, tu m’as sorti ton cœur, tu me l’as donné, je mangeais, repu(e), heureux(se), monstrueux(se), je ne suis qu’un enfant, je ne voyais pas que tu te privais, Mamma, que tu m’M, infiniment, comme tous les matins du monde, Mamma, comme toutes les nuits. Aujourd’hui, c’est la fête des Mamma, de toutes ces Mamma, c’est ta fête Mamma et moi je t’M.
À la même heure, tu viens me dire bonjour, tu entrouvres juste un petit peu tes veines, tu les taillades, ça me gicle en pleine figure ; ainsi tu me montres que ce qui circule dans tes vaisseaux, ce qui fait battre tes oreillettes, tes ventricules, c’est l’amour que tu me portes, Mamma. J’essaie de te traduire, Mamma, en plusieurs langues, dans toutes les langues, mais rien...