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Actualités - REPORTAGES

Société - La loi libanaise ne protège pas assez l'enfance au travail II - Changer les lois et mobiliser la société (photos)

Ils sont 28 000 enfants de moins de 18 ans à travailler actuellement au Liban et 7 000 de moins de 13 ans à prendre quotidiennement le chemin du travail. Exploités, maltraités, sales et mal nourris, ils n’ont d’autre choix que d’obéir aux ordres de parents trop pauvres pour penser au bien-être de leurs enfants. Quant à leurs patrons, ils les font trimer dur, des journées entières, leur confiant des tâches délicates à accomplir, parfois même dangereuses. Et pour quelques milliers de livres par semaine, ces enfants supportent les brimades, les engueulades, parfois même les coups des adultes qui profitent de leur incapacité à se défendre. Une réalité bien triste pour les enfants du Liban. Une réalité qui est dénoncée aussi bien par l’Unicef que par les associations caritatives qui œuvrent pour assurer à l’enfance un avenir meilleur. Conscient de la gravité du problème, le gouvernement réagit, certes, mais utilise-t-il vraiment les grands moyens ? Ekrem Birerdinc, représentant de l’Unicef au Liban, ainsi que Nayla Moawad, présidente de la commission parlementaire des Droits de l’enfant et de la fondation René Moawad, se penchent sur les problèmes de l’enfance au travail dans le pays ainsi que les moyens mis en œuvre pour y remédier. (Voit L’Orient-Le Jour du mardi 14 mars). Qu’ils soient de Bab el-Tebbaneh, de Ghobeiry, de Bourj-Hammoud ou d’autres régions défavorisées du pays, «les enfants qui travaillent sont privés de leurs droits les plus élémentaires», déclare le député Nayla Moawad. Et si le Liban n’a pas encore une législation spécifique à l’enfant, il a adhéré en 1990 à la Convention mondiale des droits de l’enfant, qui reconnaît et protège le statut de l’enfant jusqu’à 18 ans. Des droits qui relèvent de l’utopie Des droits dont les grandes lignes se définissent comme suit, selon le député : L’enfant a droit à la vie et à la survie, depuis sa conception. Il a droit à la nourriture, à la santé et à l’éducation, donc au développement physique, moral, intellectuel et culturel. Il a droit à la protection contre toute forme de violence, qu’elle soit physique, morale ou intellectuelle. Il a droit aux loisirs et à l’épanouissement dans un environnement sain. Des droits qui semblent tenir de l’utopie, puisque la réalité que vivent bon nombre d’enfants au Liban est tout autre. En effet, nombreux sont ceux qui sont contraints, dès leur plus jeune âge, à travailler pour aider leurs familles, plongées dans la misère. «L’enfant qui travaille, déclare Nayla Moawad, évolue dans une ambiance de violence morale constante, puisqu’on l’oblige à travailler, on le stresse et le prive de sa liberté pour le forcer à exercer une activité dont il ne veut pas et qui le prive de tout droit à l’éducation, à la santé, aux loisirs, bref les droits les plus élémentaires nécessaires à son épanouissement». Conscient de la gravité du problème, le gouvernement a redoublé d’efforts pour protéger l’enfance. Il a amendé la loi concernant l’enfant au travail en 1996, relevant l’âge légal du travail de 8 ans à 13 ans révolus et interdit certains travaux jugés trop dangereux, aux moins de 16 ans. De plus, l’enseignement primaire est devenu obligatoire, depuis deux ans déjà. Mais cet amendement, même s’il représente un progrès certain, reste en deçà des conventions des Nations unies. «En fait, si le gouvernement n’a pas relevé l’âge légal du travail à plus de 13 ans, c’est en raison de la situation économique du pays, explique Mme Moawad. Et il est nécessaire que certains travaux requérant une ou deux heures par jour restent à la portée des enfants, comme la distribution des journaux, les livraisons à domicile, travaux qui assurent un appui financier aux familles nécessiteuses et qui n’entravent pas la liberté de l’enfant ni son droit à l’éducation». De plus, le gouvernement n’a ni le nombre de bâtiments ni le nombre d’enseignants requis pour rendre obligatoire l’enseignement complémentaire. «Certaines régions déshéritées n’ont pas d’instituteurs et leurs locaux, baptisés écoles, ressemblent plus à des étables qu’à des écoles», déplore-t-elle. Et d’ajouter : «Peu de gens nantis offrent des écoles, la construction d’écoles n’étant pas encore entrée dans la mentalité libanaise». La prévention et l’aide dirigées par l’Unicef Quant à l’application de la loi, elle n’est pas effective, et les gamins de moins de 13 ans n’ont pas senti de réelle amélioration dans leurs conditions de vie, depuis 1996. Ils passent encore d’interminables journées à réparer des pneus, à serrer ou desserrer des boulons, à vidanger l’huile des voitures, subissant les mêmes vexations de la part de patrons qui les exploitent et qui leur versent des salaires de misère, les renvoient souvent au bout d’une semaine de travail pour ne pas avoir à leur payer les 5 000 ou 10 000 LL qu’ils leur doivent. «Il est vrai que pour améliorer les conditions de vie de ces enfants, le contrôle et l’application des lois sont nécessaires, déclare Ekrem Birerdinc, représentant au Liban du Fonds des Nations unies pour l’enfance, mais il faut affronter cette réalité de “l’enfant au travail”, qui n’existe pas uniquement au Liban, et qui ne peut être éradiquée par la force». Et c’est à ce niveau qu’intervient l’Unicef dont le rôle est non seulement d’informer le gouvernement et de susciter une prise de conscience de la réalité quotidienne vécue par les enfants qui travaillent, mais aussi d’aider le pays à mettre en place des structures pour réhabiliter ces enfants et rétablir leurs droits. Et tout en clamant la nécessité absolue de garder l’enfant à sa place, c’est-à-dire à l’école, M. Birerdinc est convaincu qu’il ne faut pas punir ces familles qui font travailler leurs enfants, mais plutôt les aider, car deux raisons majeures motivent leur choix. Il y a d’une part, les problèmes économiques que vivent les familles pauvres et qui les obligent à faire appel aux efforts de chacun de leurs membres et, d’autre part, le système éducatif du pays qui adopte une attitude punitive envers les enfants et sanctionne ou renvoie ceux qui rencontrent des difficultés d’apprentissage, au lieu de les aider. «C’est pourquoi, le problème des enfants qui travaillent doit être traité sous deux aspects, explique M. Birerdinc, l’un préventif et l’autre d’aide à ces enfants». Dans le souci de prévenir l’échec scolaire et de garder les enfants à l’école pour leur éviter d’être placés trop tôt sur le marché du travail, l’Unicef et le ministère de l’Éducation nationale étudient actuellement la possibilité d’élaborer un projet formant les directeurs des écoles à l’écoute des enfants et de leurs problèmes, à déceler leurs difficultés d’apprentissage et à conseiller les adolescents dans leur orientation professionnelle. Quant à l’aide à l’enfant qui travaille, elle est le fruit d’une collaboration active entre le gouvernement et l’Unicef. Aide dont la réalisation se fait à travers les municipalités, les ONG œuvrant au service de l’enfant et les écoles qui acceptent d’ouvrir leurs portes, en dehors des heures de cours, pour instruire ces enfants qui travaillent. Un réel travail de fond entrepris à plusieurs niveaux. «Nous sommes conscients que les choses ne peuvent changer du jour au lendemain, explique le représentant de l’Unicef, mais cette première étape consiste à porter secours à l’enfant qui travaille, par différents moyens». Repérés par les inspecteurs du travail, les enfants sont envoyés à l’école, encadrés par les municipalités et les ONG, avec l’accord de leurs parents et de leurs employeurs, pour y apprendre à lire, en dehors des heures de travail. Ceux qui possèdent les rudiments de lecture suivent un enseignement en fonction de leur niveau. Quant aux jeunes techniciens œuvrant dans des garages ou des ateliers, ils reçoivent un enseignement technique relatif à leur métier, afin qu’ils puissent évoluer et être mieux payés. «Mais le projet ne s’arrête pas là, explique M. Birerdinc. Il est important, dans une deuxième phase, de favoriser une prise en charge de la santé et de la nutrition de l’enfant, en plus de son éducation. Pour cela, la collaboration qui existe avec les employeurs doit être renforcée, afin qu’ils aient une attitude différente vis-à-vis de l’enfant qu’ils embauchent, attitude qui consisterait à permettre à celui-ci de s’instruire pendant les heures de travail et, pourquoi pas, lui offrir au moins un verre de lait par jour». Si les avis de M. Birerdinc et Mme Moawad se complètent, ils insistent tous deux sur la nécessité de changer les lois protégeant l’enfance, car seule une loi instaurée progressivement, rendant l’enseignement obligatoire et relevant l’âge légal du travail, empêcherait les parents de forcer leurs enfants à travailler. La balle est certes dans le camp du gouvernement. Mais à quand l’émergence d’une société civile qui assumerait ses devoirs et ses responsabilités, pour assurer aux enfants qui travaillent un avenir meilleur ?
Ils sont 28 000 enfants de moins de 18 ans à travailler actuellement au Liban et 7 000 de moins de 13 ans à prendre quotidiennement le chemin du travail. Exploités, maltraités, sales et mal nourris, ils n’ont d’autre choix que d’obéir aux ordres de parents trop pauvres pour penser au bien-être de leurs enfants. Quant à leurs patrons, ils les font trimer dur, des journées...