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Actualités - CHRONOLOGIE

Sommes-nous tous des maniaco-dépressifs ?

Il y a quelques années paraissait un livre qui a provoqué de très vives réactions. Il s’agissait de l’ouvrage du Dr Ronald Fieve, directeur du département de recherche auprès de l’Institut psychiatrique de l’État de New York, intitulé «Nous sommes tous des maniaco-dépressifs» (traduc. française aux Éd. Flammarion). Selon ce spécialiste, tout individu est soumis à des alternances d’euphorie et de déprime. En phase haute, on déborde d’énergie et de bonne humeur, on croque la vie et son goût enchante, augmentant une fringale d’action, de vie intense, d’accomplissement. La phase basse qui va suivre est celle de l’humeur au noir, de l’«à quoi bon», du repli sur soi et du pessimisme, de la méfiance, du doute. Aujourd’hui, la théorie du spécialiste américain, source d’un tonitruant tollé lors de la parution de l’ouvrage, est une évidence admise comme un fait naturel. Soumise à des alternances passagères, l’humeur a droit à des variations. Si celles-ci sont prononcées, la personne est qualifiée de «caractérielle» sans être pour autant considérée comme un véritable cas mental. Après tout, Honoré de Balzac, reconnu aujourd’hui comme un maniaco-dépressif typique, a réussi parfaitement à doter la littérature d’œuvres monumentales. Si, toutefois, les troubles s’aggravent excluant le sujet de la vie sociale, des soins et des médicaments existent permettant de contrôler parfaitement les «pics» morbides des alternances, limitant ainsi au minimum les séquelles du trouble. Même si on n’écrit pas de nouvelles versions de la «Comédie Humaine», les traitements actuels autorisent une existence normale, y compris pour les cas relevant de cette pathologie psycho-mentale. Si tout le monde a de bons et de mauvais jours, des périodes d’exaltation et d’optimisme et d’autres où on se sent «de mauvais poil», les dérèglements de l’humeur fréquents et excessifs méritent une attention spéciale. L’éventail pathologique est, certes, très large. On peut être cyclothymique ou «lunatique» sans être vu «vrai» malade mental. Comme on peut être «versatile» sans atteindre les diverses phases qui caractérisent la maniaco-dépression en tant que maladie invalidante. L’excitation annonciatrice Dans le processus morbide, la phase de la stimulation et de l’agitation est annonciatrice de la crise. Graduellement, le dynamisme devient fiévreux, la vitalité évolue en effervescence, l’imagination s’entremêle avec la réalité, le jugement s’embrouille et l’impulsion prime. L’image représentative est celle d’une formidable énergie primant sur tout contrôle rationnel, induisant à des actions intuitives et irrefléchies, parfois extrêmes... Quand la déprime totale succède à cette exaltation c’est le quasi-anéantissement. Toute vitalité et toute force abandonnent le sujet qui plonge dans un état de souffrance psychique extrême. La lassitude et l’anxiété paralysent toute action, interdisant parfois toute vie normale, nécessitant le placement sous surveillance pour éviter le pire. À cette succession de suragitation et de profond abattement, succède une période de calme, marquée parfois par quelques crises légères. Puis un nouvel accès, pouvant survenir dans certains cas des années plus tard, suit le même schéma, reproduisant les mêmes effets. Certains individus atteints semblent obéir à une horloge biologique très précise : les crises se succèdent (légères ou graves) à un rythme régulier, allant de quelques semaines à quelques mois. Balzac, dont le mode de vie et l’œuvre, par certains détails, le classent parmi les maniaco-dépressifs, a écrit en six semaines La cousine Bette. Il passait infailliblement du jeûne total à la goinfrerie et de l’obésité à l’ascétisme qui lui faisaient perdre et regagner un nombre impressionnant de kilos dans des laps de temps très courts. Ces faits permettent aux spécialistes de classer l’écrivain parmi les cas typiques de maniaco-dépression. Le rôle des rythmes biologiques Ces mouvements pendulaires ainsi que leur périodicité s’expliquent, selon certains spécialistes, par un dérèglement de cette horloge interne dont les êtres vivants sont munis. Dotée d’une ahurissante complexité, elle n’a pas encore livré tous ses mystères. Celle des maniaco-dépressifs semble particulièrement précise, puisque les phases, autant graves que légères, se succèdent à un rythme très régulier. Ainsi, au bon nombre de cas, l’état s’aggrave avec l’âge, les crises se rapprochent et durent plus longtemps. Mais il arrive également que de longues périodes de rémission surviennent, de manière inexplicable. L’usage étendu d’antidépresseurs et de psychotropes fait que l’évaluation, aujourd’hui, de l’évolution naturelle de la maladie devient difficile. Il faudrait, par ailleurs, insister sur le fait que tous les déprimés ne sont pas des maniaco-dépressifs, même si les deux états peuvent avoir la même origine. Certaines dépressions peuvent être consécutives à un stress, un choc affectif, d’autres provenir d’une névrose ou bien découler d’une autre maladie, comme elles peuvent aussi être la rançon d’une personnalité marquée par cette tendance. Quel serait leur rapport avec la maniaco-dépression ? C’est là un terrain en voie d’exploration par la recherche actuelle. Ceci dit, même si à des degrés différents on est sujet à une humeur changeante, nous ne sommes pas tous justiciables d’un traitement spécifique. Par ailleurs, les alternances d’humeur modérées, l’exaltation, l’énergie, la stimulation mentale qu’elles entraînent durant la phase euphorique sont bénéfiques, on l’a constaté, à la créativité. Lorsque les troubles dont elles sont corollaires n’interviennent pas trop négativement dans les activités et la vie quotidienne d’un individu, le résultat ultime de cet état (léger) maniaco-dépressif pourrait avoir des côtés bénéfiques sur le plan de l’inspiration, l’imagination, la réalisation artistique et autres. Les psychiatres sont les premiers à admettre que bien d’œuvres géniales n’auraient jamais été produites sans ces états, où un grain de folie touche un artiste, un savant, un scientifique. Tant que le tempérament cyclothymique n’entraîne pas des troubles majeurs, justiciables d’un sérieux traitement approprié, il serait insensé d’imposer des freins chimiques aux alternances de l’humeur. Autour de nous, nombreuses sont les personnalités douées qui poursuivent leur vie et leur œuvre s’accommodant de leurs sautes d’humeur. Il y en a même qui prétendent que ces «caprices de leur disposition» fertilisent et fouettent leur talent. Et cela ne vaut pas uniquement pour les génies ou les créateurs. Tant que les «alternances» n’entravent pas sérieusement l’existence et que tout reste contrôlable, vivre «au mieux» avec son mal ressemble étrangement à de la prudence. Qui vit sans folie est-il si sage qu’il pense ?
Il y a quelques années paraissait un livre qui a provoqué de très vives réactions. Il s’agissait de l’ouvrage du Dr Ronald Fieve, directeur du département de recherche auprès de l’Institut psychiatrique de l’État de New York, intitulé «Nous sommes tous des maniaco-dépressifs» (traduc. française aux Éd. Flammarion). Selon ce spécialiste, tout individu est soumis à des...