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Actualités - OPINION

Courrier L'Orient ignoré de Lionel Jospin

Je fais partie de cette génération de Libanais arrivée très jeune en France, juste après le début des «événements». La France est, depuis le temps que j’y vis, bien plus qu’une terre d’accueil ou d’asile : c’est ma patrie, autant que ne l’est le Liban. On comprendra donc aisément que, lorsque M. Jospin, Premier ministre de la France, tient des propos «décalés» sur un parti libanais, fut-il «de Dieu», je me sente à double titre concerné. Prendre position dans une telle situation, où mes deux identités s’affronteraient, devrait être délicat. Cela ne me permet en fait que plus de recul. Mais malgré toute l’objectivité du monde, je ne peux que critiquer la position tenue par Lionel Jospin, le 24 février dernier. Pour l’opinion commune, la guerre «civile» libanaise aurait officiellement commencé en 1975, pour s’achever en 1990. Qu’il s’agisse d’un bombardement israélien ou d’un tir de Katioucha du Hezbollah, chaque incident au Liban, et spécialement au Liban-Sud, rappelle tristement qu’elle perdure encore et que la population libanaise continue d’en souffrir. Le peuple élu est loin derrière celui du Liban au rang des victimes du conflit israélo-arabe. Cette seule considération aurait dû conduire M. Jospin à plus d’égards vis-à-vis de la population libanaise, surtout lorsqu’elle a été la cible, deux fois en l’espace de sept mois, de frappes aériennes sur des infrastructures civiles. Sans parler bien sûr de l’opération israélienne en 1996 qui avait notamment conduit au massacre d’une centaine de civils à Cana, au Liban-Sud. Alors pourquoi cette compassion pour les «soldats [et] la population civile israélienne» qui a conduit M. Jospin à qualifier les actions du Hezbollah d’attaques terroristes ? Probablement parce que, baigné dans un contexte qui ne lui offrait qu’une seule version des faits, M. Jospin a eu le sentiment manichéen qu’Israël était seul agressé et qu’il se devait de le défendre. Fallait-il rappeler à M. Jospin, pourtant ancien du Quai d’Orsay, un certain nombre de points qui méritaient davantage de nuances, et donc plus de diplomatie, puisque c’est dans ce cadre qu’il a souhaité inscrire sa visite ? 1. Le mot «terrorisme» est d’une utilisation ô combien relative et surtout périlleuse. L’emploi par Hitler de ce mot pour désigner la résistance française en est une illustration flagrante. Plus proche de nous, l’échec du sommet de Charm el-Cheikh en 1996, qui avait pour but d’enrayer le terrorisme au Moyen-Orient, a bien été la preuve que tous ses participants n’avaient pas et n’ont pas la même acception de ce terme. Entre terrorisme et résistance, il n’y a donc qu’un petit pas, que Lionel Jospin s’est bien gardé de franchir. 2. Il est pour le moins incongru de qualifier les actions du Hezbollah de «terroristes», quand elles ont lieu sur le sol libanais occupé depuis plus de vingt ans par l’armée israélienne, et qu’elles visent quasi systématiquement des objectifs militaires. Certes, le Hezbollah tente parfois d’atteindre le nord d’Israël, au moyen de ses roquettes katiouchas. Mais ces incursions restent exceptionnelles. Elles prouvent surtout que la zone-tampon, instituée par l’armée israélienne au Sud-Liban et censée protéger le nord d’Israël, n’a pas grand sens. 3. Si M. Jospin a voulu fustiger le caractère extrémiste du Hezbollah, il s’y est bien mal pris. Il est impossible de dresser un tableau aussi noir du «Parti de Dieu» : même si ses sources de financement et son instrumentalisation posent problème, il reste qu’il a considérablement évolué ces dernières années, acceptant le jeu démocratique, assurant un rôle social majeur lorsque l’État libanais est dans l’incapacité de la remplir, en raison précisément de la présence israélienne. S’il demeure aussi la dernière milice armée, c’est bien parce qu’«on» lui a confié la tâche de mener la lutte armée contre l’occupant. Il l’a fait, il faut le dire, avec hargne et courage. Sans doute Ehoud Barak n’aurait jamais parler de retrait du Liban, si le Hezbollah n’avait pas efficacement conduit cette lutte jusqu’au-boutiste. Mais extrémiste n’est pas terroriste, M. Jospin. 4. Il est bien difficile, dans une ambiance de haine, entretenue par des provocations réciproques, d’imputer au Hezbollah de manière claire et définitive la responsabilité de ce regain de tension dans la région. Il n’est d’ailleurs pas sûr que l’armée israélienne soit exempte de tout reproche : on peut tout autant accuser le Hezbollah de vouloir dynamiter le processus de paix, que penser qu’Israël conduit une politique de la terre brûlée, prétextant de son futur départ pour mieux cacher sa soif d’annihiler un territoire où il aura laissé bien des morts. Bref, il s’agit de se venger avant de se retirer, tout en affichant une volonté de paix, puisque précisément... on se retire. Symptomatique du climat qui règne dans cette région, l’utilisation inopportune d’un seul mot a révélé, au grand dam de M. Jospin, la frustration des Arabes, l’indignation des Libanais, et la déception des Français. C’est-à-dire, en ce qui me concerne, les trois à la fois. M. Jospin sait certainement combien l’Orient est compliqué. Comment pouvait-il ignorer ce qu’il a de plus criant ? *Avocat au barreau de Beyrouth
Je fais partie de cette génération de Libanais arrivée très jeune en France, juste après le début des «événements». La France est, depuis le temps que j’y vis, bien plus qu’une terre d’accueil ou d’asile : c’est ma patrie, autant que ne l’est le Liban. On comprendra donc aisément que, lorsque M. Jospin, Premier ministre de la France, tient des propos...