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Actualités - INTERVIEWS

Rencontre - Le comité des femmes du Hezbollah organise un débat avec deux moujahidine Abou Saleh : continuez à nous aimer, même si les circonstances changent (photo)

D’habitude, on les voit en treillis militaire, le visage dissimulé sous une couche de suie ou de boue pour le camouflage, on tout simplement de dos. Mais à l’initiative du comité des femmes du Hezbollah, Abou Saleh a choisi de nous regarder dans les yeux, à visage découvert, pour parler de son expérience de moujahid sur le terrain. Certes, le parterre était soigneusement choisi : essentiellement des jeunes filles et des jeunes femmes du Hezbollah dont il connaît en général les frères, les époux ou les pères, tous des compagnons d’armes. Mais il y avait aussi quelques journalistes et c’est à elles qu’il a souri en déclarant en guise de préambule : «Je suis heureux que vous soyez là et je souhaiterais que le jour où les Libanais cesseront d’appuyer la Résistance, vous continuerez à nous aimer un peu». D’emblée le ton est ainsi donné. Abou Saleh et son compagnon Mehdi ont voulu présenter à l’assistance, exclusivement féminine, une Résistance à visage humain. Et ces jeunes gens fêtés en héros ont, avec des mots simples, ceux qu’on utilise pour parler avec des amis ou des frères, raconté leur quotidien fait de dangers, de peur, d’amour et surtout de foi. Après la guerre militaire, c’est celle du cœur que le Hezbollah veut désormais mener. Jeu d’ombres et de lumières Ni photos, ni téléphones portables, toutes les précautions sont prises pour ne pas gêner les moujahidin. Dans l’immense salle glaciale, baptisée salle des paradis, les chants militaires tentent de réchauffer l’atmosphère en attendant les orateurs. L’assistance a aussi droit à un film sur la naissance de la Résistance qui montre les exactions israéliennes, les différentes tragédies subies par les Libanais avant de mettre en évidence l’espoir provoqué par les opérations du Hezbollah. Responsable du comité des femmes pour Beyrouth, Rima Fakhri fait une brève présentation de l’association, puis c’est le tour d’Abou Saleh et de Mehdi. Aussitôt, les lumières deviennent tamisées pour rendre l’atmosphère intime et surtout pour ne pas trop mettre en évidence les traits des moujahidin. Mehdi commence par un exposé succinct des événements qui se sont succédé au Sud-Liban depuis 1978 et par un état des lieux sur la situation dans la bande occupée, d’une superficie de 1 000 km2, soit la moitié du Liban-Sud et 10 % de l’ensemble du territoire. Puis c’est le tour d’Abou Saleh, un surnom qu’il s’est choisi sur l’impulsion du moment devant l’insistance des journalistes. Béret sur le crâne et sourire aux lèvres, le jeune homme qui se considère déjà comme un vieux combattant émaille son récit d’anecdotes, de situations vécues et de moments d’émotion. Par exemple, alors qu’on avait demandé à l’assistance d’éteindre les portables, pendant son exposé, une sonnerie se fait entendre. «Nous nous étions pourtant entendus pour débrancher les téléphones», dit-il avec un sourire aimable qui cache mal le reproche dans la voix. Se rendant ensuite compte qu’il s’agit de son propre portable, il éclate de rire et s’écrie : «Un-zéro. Je suis bien attaqué». Abou Saleh s’est enrôlé dans la Résistance en 1983. «À l’époque, dit-il, nos moyens étaient plus que réduits et notre expérience se limitait aux combats le long d’une ligne de démarcation. De plus, nos seules armes étaient celles que nous avaient laissées les frères palestiniens». Abou Saleh se souvient des trois premières charges explosives déposées au passage de soldats israéliens : pour la première, la batterie s’est vidée avant l’explosion. La seconde a été rongée par les rats et la troisième a explosé entre les mains de ceux qui la plaçaient. La fin d’une légende C’est dire l’inexpérience des combattants de l’époque. «Je dois dire qu’il nous fallait beaucoup de courage à ce moment-là, pour nous enrôler dans la Résistance, d’autant que le monde entier décrivait les soldats israéliens comme une armée invincible. Moi-même, je n’ai cru que les Israéliens pouvaient mourir qu’en en voyant un tomber devant moi...» Les moyens ont ensuite commencé à se développer et à chaque initiative de l’une des parties correspondait désormais des contre-mesures de la part de l’autre. «Malgré tout, nos armes continuent à être dérisoires: nos fameuses katiouchas datent de la Seconde Guerre mondiale. Nos Sam 7 sont de la première génération. Et même nos kalachnikovs sont totalement dépassés puisqu’ils ont été fabriqués dans les années 60. Rien à voir avec ceux utilisés par les Tchétchènes. Seuls nos missiles Tow sont plus ou moins acceptables. Notre force est dans la fabrication des charges explosives. Je dois vous avouer que tous nos cerveaux militaires se sont penchés sur la question et nous fabriquons désormais des charges précises, légères, maniables, qui nous permettent de réussir des opérations ciblées». Abou Saleh raconte que ce sont les mauvaises expériences dont ils ont souvent fait les frais qui les ont poussés à perfectionner leurs moyens. «Nos jeunes gens étaient en train d’effectuer une opération dans la Békaa-Ouest. Ils aperçoivent un rocher alors que dans ce secteur, il n’y en a généralement pas. Ils rebroussent chemin et envoient à leur place des experts en explosifs, qui découvrent qu’il s’agit d’une charge. Depuis, nous avons réussi à en fabriquer de semblables que nous semons sur le bord des routes et qui se confondent avec le paysage. Aujourd’hui, la supériorité des Israéliens est dans l’aviation, mais même ainsi, ils ne parviennent pas à nous atteindre. Récemment, ils ont effectué 25 raids contre un de nos résistants, sans parvenir à le toucher. La grande légende de l’armée invincible est bel et bien détruite». Abou Saleh raconte aussi comment les Israéliens ont été amenés à lancer leur troupe d’élite l’Igoz dans la bataille. Ce commando avait été retiré du front parce que les Arabes avaient été jugés trop faibles pour mériter d’affronter de tels guerriers. «Finalement, le commando a été rappelé d’urgence, dans une grande démonstration il y a près d’un an. Les journalistes présents avaient décrit la puissance de cette troupe et voilà que plusieurs de ses membres sont tués à Markaba et à Aramta. À un moment donné, nous nous sommes retrouvés face à eux et ils se sont mis à crier Igoz pour nous effrayer. Ils croyaient encore à leur légende. Mais depuis, ils ont déchanté». Un front maudit, un bourbier Abou Saleh émaille son récit d’extraits de la presse israélienne (il lit et parle l’hébreu) qui expriment le désarroi des soldats israéliens. «Le Liban n’y est plus qualifié que de front maudit, de bourbier, de sables mouvants, de Vietnam des Israéliens etc. La presse là-bas estime d’ailleurs qu’un retrait unilatéral serait perçu comme un échec cuisant de l’armée la plus puissante de la région face à une bande armée de 300 personnes. C’est pourquoi, les responsables israéliens cherchent à retarder l’échéance et à essayer d’aboutir à un accord qui leur sauverait la face». Mais c’est lorsqu’il aborde le volet humain qu’Abou Saleh est particulièrement émouvant. Ce colosse sûr de lui, célébré comme un héros par l’assistance, n’est plus qu’un jeune homme qui évoque pudiquement ses craintes, sa peur de ne pas revoir sa fille ou sa femme, les larmes de sa mère qui chaque fois qu’elle le voit éclate en sanglots en imaginant le jour où il lui reviendra mort. Des histoires tristes sur la tragédie que vivent chaque jour les moujahidin, Abou Saleh en a des centaines et il préfère raconter les expériences de ses compagnons plutôt que de parler de lui. «Je me souviens qu’un jour, nous devions effectuer une opération. Mon compagnon Hadi, dont la femme devait accoucher de leur premier enfant, a accompagné celle-ci à l’hôpital avant de partir pour les lignes de front. Il savait que ce serait un garçon et avec sa femme, ils avaient décidé de l’appeler Hussein. La nuit, dans notre cachette, il me dit : Hussein doit être né, maintenant. Un peu plus tard, il me dit, Hussein a maintenant un jour. Peut-être qu’il ne verra jamais son père et qu’il ne pourra jamais prononcer le mot papa. Cette crainte, cette frustration, nous l’éprouvons tous à un moment donné. Moi-même, pendant mes permissions, qui ne sont en fait qu’un compte à rebours, une sorte de sursis, lorsque j’accompagne ma fille à la garderie, j’éprouve un serrement de cœur, surtout lorsqu’elle me demande innocemment : tu seras là à la sortie de la classe ?, alors que je ne peux répondre». Abou Saleh raconte les longues marches dans la neige, dans les vallées ou sur le flanc des montagnes escarpées, la boue, la fatigue, le froid, les ampoules aux pieds, la tension et parfois la peur, ainsi que l’incroyable fraternité qui tisse des liens indestructibles entre les jeunes gens. Une incroyable fraternité Il raconte aussi les compagnons tués alors qu’ils étaient fiancés et s’apprêtaient à célébrer leur mariage, les blessés défigurés, mutilés, mais dont le moral n’est jamais brisé. Il raconte les yeux brillants de larmes des jeunes épouses, l’angoisse des mères et le formidable élan qui anime les moujahidin. «Personne, dit-il, ne m’a demandé de m’enrôler. Je l’ai fait pour défendre ma terre, mon peuple et je suis convaincu que je n’irai au paradis que si je deviens un martyr ou si j’éprouve une souffrance qui y équivaut». Abou Saleh précise que s’ils reçoivent l’ordre de ne plus se battre, ils obéiront sans rechigner. «La grande force du Hezbollah, c’est que ses membres sont très disciplinés. Ici, on exécute les ordres et nul ne songe à les contester. Si la guerre se termine, chacun de nous reviendra à ses occupations d’avant : un métier, des études, bref une vie normale. Dès le début, nous avons décidé de poursuivre nos études car nous ne voulons pas être un parti illettré, inculte. Moi, j’ai une licence en géologie et je pourrais travailler dans l’hydrologie». Abou Saleh déclare qu’il a été blessé le 13 septembre 93, lorsque l’armée a tiré sur les manifestants du Hezbollah, dans la banlieue-sud, mais il n’éprouve aucune rancœur pour l’armée. «Surtout aujourd’hui, où nous menons la même bataille». Craint-il qu’un jour la population rejette la Résistance ? «L’opinion publique est versatile. Aujourd’hui, l’immense appui populaire et politique est essentiellement dû au président Lahoud qui a fixé le plafond des déclarations. Mais je me souviens qu’en avril 1996, la presse israélienne racontait que le président du Conseil libanais Rafic Hariri s’était rendu chez le président Assad pour lui demander de calmer le Hezbollah. Aujourd’hui, les responsables eux-mêmes ont coupé court à toute initiative du genre...» Le temps de parole s’est achevé. Dans un sourire, Abou Saleh lève la séance et retourne dans l’ombre. Mais pour nous, la Résistance a désormais un visage, celui d’un jeune homme qui aime, souffre et surtout croit à la victoire finale.
D’habitude, on les voit en treillis militaire, le visage dissimulé sous une couche de suie ou de boue pour le camouflage, on tout simplement de dos. Mais à l’initiative du comité des femmes du Hezbollah, Abou Saleh a choisi de nous regarder dans les yeux, à visage découvert, pour parler de son expérience de moujahid sur le terrain. Certes, le parterre était soigneusement...