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Actualités - REPORTAGES

Société - Les 25-35 ans de retour au Liban après des études à l'étranger Quand amertume rime avec espérance

Vouloir chiffrer la proportion de jeunes Libanais qui ont poursuivi leurs études à l’étranger est une mission difficile. Et pourtant, il y a certaines évidences qui s’imposent : cette émigration estudiantine est devenue, au fil des décennies, une constante régulière, une facette incontournable des mœurs libanaises. Et dans cette pléthore de jeunes émigrants, il y a celles et ceux qui sont retournés au Liban une fois leur cursus achevé. Et les questions de se bousculer : Pourquoi sont-ils revenus au bercail ? Comptent-ils y rester ? Comment comparent-ils leur pays avec celui qui les a accueillis ? Et enfin, et surtout, comment se positionnent-ils dans le Liban de l’après-guerre, à l’aune de leurs nouveaux acquis ? Sont-ils résolus à participer à l’indispensable évolution de leur pays, à son développement ? Sont-ils spectateurs, mi-attentistes mi-résignés, parfois dégoûtés des différences qui font mal, des habitudes et des mentalités qui stagnent ? Dans les différents secteurs du pays, qu’ils soient économique, social, pédagogique, artistique et culturel, médical ou juridique, on assiste à l’irruption de jeunes battants, des femmes et des hommes, fidèles dépositaires d’un savoir-faire ancestral ou encore courageux pionniers, venus prendre le relais. Parmi ces cadres, une proportion non négligeable a passé quelques années à l’étranger, a appris, a évolué et s’est enrichie d’une autre culture et d’une façon différente de vivre le quotidien. Ils ont entre 25 et 35 ans. La France, les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni ont été le théâtre de leurs premiers pas en Occident. Ils sont maintenant avocats, financiers, architectes, enseignants, ils travaillent pour des entreprises étrangères ; bref, l’éventail est large… Ils sont revenus au Liban pour des raisons personnelles, parfois professionnelles ; d’autres n’avaient jamais envisagé un aller sans retour : «C’est à l’étranger que j’ai appris ce que c’était que d’être Libanaise, de partager avec des millions d’individus la même identité», reconnaît Rima H. Certains, même, comme Joumana B., rêvaient de «travailler au Liban pour contribuer à le reconstruire, le stimuler… ». Un tramway nommé regrets Il y a quelque chose de profondément sincère quand ils parlent, ces jeunes, quand ils crient leur amertume et leurs désillusions. «Les gens au Liban ne savent même plus qu’ils portent un masque, déplore Élie R. Et leur demander d’être et de rester eux-mêmes tient de la vraie gageure». Certes, les Libanais sont «chaleureux, ils savent vivre et équilibrer travail et vie privée», mais pourquoi certains sont-ils tellement «superficiels, se demande Michaël C., tellement rapaces ?». Ankylosés, sédentaires, ghettoisés, individualistes, arrogants, sont des mots qui reviennent souvent dans la bouche des personnes interrogées lorsqu’elles décrivent les gens qui les entourent. Pour Myriam L., le pire obstacle à un réel épanouissement professionnel, c’est «cette absence totale du partage de l’information, cet amateurisme flagrant et cette absence de compétence qui caractérisent une partie des Libanais au bureau». Ils sont également nombreux à déplorer le clientélisme omniprésent, la corruption généralisée, les pistons à la chaîne. «Au Liban, on ne t’embauche pas pour tes compétences, tes diplômes. Ici, le “sésame ouvre-toi“ ici c’est ton nom, celui de ton père», déplorent de concert Myriam, Joumana, Michaël et Rima. Comment peut-on s’empêcher, lorsque l’on (ré)entend ces mots-là, de ne pas avoir envie de dire stop ! De se demander pourquoi cette exagération, pourquoi cette généralisation intempestive ? Tout est-il aussi noir, aussi définitif et figé ? Il ne s’agit nullement de mettre en cause la bonne foi des personnes sondées. Elle est criante d’authenticité. La réponse n’est pas là et peut-être ne souhaitent-ils qu’une chose : retrouver dans leur pays ce qu’ils ont vu, vécu et connu de positif, ailleurs, là-bas… Là où l’herbe paraît plus verte Ils admettent tous que le stress impitoyable et la concurrence féroce qui caractérisent la vie en Occident sont beaucoup plus pesants qu’au Liban. Sans compter que les facilités de la vie quotidienne font qu’au pays natal, tout paraît plus simple. Il n’en reste pas moins que tous sont unanimes : «À l’étranger, on apprend, on se cultive, on échange ; l’information est si proche. On s’enrichit rien qu’en levant les yeux sur une affiche dans le métro», disent-ils d’une même voix. «Une démocratisation de l’information est indispensable», confirme Élie R. L’accent est mis également sur l’absence de sédentarité à l’étranger. «Les voyages, les déplacements sont si faciles, c’est une source d’enrichissement incroyable», précise Joumana B. «Les pays occidentaux sont un melting-pot où se retrouvent toutes les nationalités, ajoute Myriam L. Les gens, les âges, les cultures ; tout est différent et ce métissage constitue un apport exceptionnel». N’empêche, tout n’est pas complètement rose d’un côté, ni irrémédiablement noir de l’autre. «Le Liban est un pays vierge dans tous les domaines : il y a tout dans ce pays mais ce tout est encore stérile ; il faut créer de nombreuses synergies pour optimiser les acquis, il faut utiliser tous les potentiels et notamment la diaspora libanaise dans le monde», préconise Élie R. «Il y a une intelligence de l’initiative privée au Liban, affirme Karim B. Les possibilités sont beaucoup plus nombreuses qu’en France et la marge de manœuvre est plus grande au Liban que dans certains pays occidentaux». À quand le déclic ? À la question de savoir si le pays va évoluer et si les mentalités vont changer, les divergences commencent à poindre et les solutions proposées se suivent et ne se ressemblent pas. «L’unité du Liban passera nécessairement par la culture. La laïcité ne suffira pas, assure Élie R. J’essaie de me positionner en acteur et je suis persuadé que malgré toutes les difficultés, il faudrait presque rien pour tout changer». Michaël C., quant à lui, considère que «le développement démocratique de la classe moyenne est une condition sine qua non pour que le Liban puisse retrouver sa place dans la région». Pour Myriam L., «un déclic est indispensable et il sera extérieur ou il ne sera pas : ce sont les puissances étrangères qui pourraient tout modifier. Si le pays change, je ne resterais certainement plus spectatrice !». «Je suis dégoûtée par tout ce qui se passe et par le niveau du pays : cela fait dix ans que la guerre est finie ! Mais qu’est-ce qu’on attend ?», se demande Joumana B. Et Rima H. de surenchérir : «Les gens ne sont motivés par rien, nous ne sommes pas citoyens ! De plus, nous sommes étroitement dépendants de nos élus, comment voulez-vous que nous participions à une quelconque évolution lorsque ceux qui nous gouvernent n’y accordent aucune importance ? Il reste que ceux qui le désirent pourraient faire quelque chose. On doit faire quelque chose : Moi je cultive mon jardin». La conclusion revient à Karim B. : «Je suis convaincu qu’il y a quelque chose à faire. C’est mon devoir à moi aussi et c’est dans mon milieu professionnel que j’essaie de l’exprimer. Je fuis la corruption et le clientélisme, je refuse de rentrer dans un système et je ne veux pas de compromis. Chacun devrait ainsi jouer son (petit) rôle et le quotidien ne pourrait que s’assainir». En 1937, déjà, Giraudoux terminait ainsi son Electre : «Comment cela s’appelle quand tout est gâché, saccagé, et que pourtant l’air se respire, et qu’on a tout perdu ?… Cela s’appelle l’aurore». Et c’est tout ce qu’on peut souhaiter au Liban : une aurore, juste une aurore. Vite !
Vouloir chiffrer la proportion de jeunes Libanais qui ont poursuivi leurs études à l’étranger est une mission difficile. Et pourtant, il y a certaines évidences qui s’imposent : cette émigration estudiantine est devenue, au fil des décennies, une constante régulière, une facette incontournable des mœurs libanaises. Et dans cette pléthore de jeunes émigrants, il y a celles et ceux...