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Actualités - REPORTAGES

Législatives - Remous autour d'un projet de loi Pas de rôle politique pour l'audiovisuel privé durant la campagné électorale (photos)

Fait sans précédent dans l’Histoire contemporaine du Liban, le gouvernement a entrepris récemment de tenter de réglementer les dépenses électorales des candidats aux élections législatives. À cette fin, il a élaboré un projet qui prévoit notamment que chaque candidat aux législatives ne pourra dépenser que 150 millions de livres libanaises pour son «marketing» politique. Et, de surcroît, il ne pourra faire campagne qu’à travers l’audiovisuel officiel et la presse écrite. Cette restriction porte sur les programmes électoraux des candidats ainsi que sur les «publicités» qu’ils seraient susceptibles de vouloir diffuser. Le gouvernement entend ainsi exclure l’ensemble de l’audiovisuel privé de tout rôle politique durant la campagne et de toute ressource financière qui pourrait en découler. Selon le projet du gouvernement, le candidat ne devra intervenir sur les ondes de Télé-Liban que «5 minutes» durant toute la période de la campagne électorale et «10 minutes» sur les ondes de Radio-Liban. Son encart publicitaire ou la présentation de son programme devrait lui coûter 2 millions de LL la minute à la télévision et 2 000 LL à la radio. Si tout le monde se déclare prêt à accepter le volet «financier» du projet officiel qui a été transmis à la Chambre après son approbation en Conseil des ministres, l’éviction de l’audiovisuel privé est perçue par une grande partie de l’opinion publique comme une atteinte aux libertés. Les responsables de ce secteur ont engagé sur ce plan un bras de fer avec le gouvernement. Ils ont chargé les deux avocats Karim Pakradouni et Sami Touma de préparer un mémorandum qu’ils ont remis récemment au Premier ministre Sélim Hoss. Le texte tente de prouver que le projet gouvernemental va à l’encontre de tous les principes de liberté inscrits dans la charte des droits de l’homme et dans la Constitution libanaise. Au cours de sa rencontre avec les représentants des médias audiovisuels privés, M. Hoss a clairement fait savoir que son gouvernement «n’entend nullement retirer le projet approuvé en Conseil des ministres», comme le réclame les détracteurs du projet. Il a toutefois souligné que les commissions parlementaires avaient toute la latitude d’amender le texte transmis à la Chambre. Et dans ce cadre, le chef du Législatif Nabih Berry a menacé de «tout remettre en question au cas où aucun consensus ne se dégagerait autour de ce dossier». Parallèlement à la limitation des dépenses électorales, le projet gouvernemental oblige aussi le candidat, qu’il soit indépendant ou membre d’une liste, à engager, un mois avant le lancement de la campagne, un comptable assermenté qui devrait contrôler toutes les dépenses. Ce comptable devrait tenir un registre qui serait remis, à la fin du scrutin, aux autorités en charge des opérations de contrôle. En cas de manquement à ces dispositions, le candidat élu pourrait faire l’objet d’un recours en invalidation. Le projet officiel prévoit, en outre, que toutes les opérations financières, dûment enregistrées, devraient être soumises à l’approbation d’un comité national de contrôle présidé par un juge. Cette partie du projet gouvernemental ne semble pas soulever beaucoup de passions. Tout le monde en admet le principe. Mais les choses se gâtent sérieusement pour le gouvernement lorsque le second volet du projet est discuté. Les dispositions prévues par ce second volet font face en effet à une vaste opposition. De fait, nul ne veut accorder au gouvernement le droit de renflouer le principe du monopole étatique, battu en brèche depuis le début de la guerre. Les articles incriminés Le texte proposé par le cabinet Hoss comprend un ensemble de 27 articles répartis sur trois chapitres : le premier chapitre a pour intitulé Des dépenses électorales (7 articles), le deuxième a pour titre De l’organisation de l’information et de la publicité électorales, pour une égalité des chances entre les candidats (articles 9 à 21), et le troisième est intitulé Dispositions diverses. Les avocats Pakradouni et Touma ont axé leur argumentation sur les articles 9 et 10 qui accordent le monopole de l’information et de la publicité électorales aux médias officiels et à la presse écrite. L’article 9 énumère tous les éléments considérés par le projet comme matière à «l’ information et à la publicité électorales». L’article 10 stipule ce qui suit : «Dans le but d’assurer une égalité des chances entre les candidats, il sera interdit à l’audiovisuel privé de se mêler d’informations et de publicité électorales tout au long de la période fixée par l’article 11 de cette loi. L’information et la publicité électorales seront du seul ressort de Télé-Liban, de la radio officielle et de la presse écrite». C’est l’article 11 qui accorde à tout candidat un temps d’antenne de 5 minutes à la télévision et 10 minutes à la radio. Les listes auront entre 20 et 30 minutes au maximum sur chacun des deux médias. Les responsables de l’audiovisuel privé rejettent, à l’évidence, de telles dispositions qui les excluent totalement de tout rôle financier ou politique en période électorale. Libertés fondamentales Les mesures prévues par le gouvernement sur ce plan, incorrectement répertoriées sous la rubrique de «dépenses électorales», ont déjà suscité un vif débat dans la presse et dans les différents cercles politiques. Le premier à avoir abordé la question en public a été l’ancien président du Conseil Rafic Hariri lors d’une rencontre-débat tenue à Saïda. Sur un ton ironique, il a souligné en s’adressant à l’assistance : «Imaginez-vous que pour sa campagne électorale, un candidat aura droit à intervenir pendant 5 minutes à la télévision officielle, peut-être durant la nuit à 2h 25 du matin !». Le débat engagé à ce propos a déjà été au centre de plusieurs émissions sur les ondes de La Voix du Liban, la Future TV et la MTV. Et la série promet d’être longue… L’argumentation des détracteurs du projet Le document élaboré par les responsables de l’audiovisuel privé – premier document écrit à avoir été présenté à ce sujet au gouvernement – reproche d’abord au texte officiel d’avoir mis sur un pied d’égalité «l’information et la publicité» dans les campagnes électorales. «Si la publicité doit être payante, on comprend mal que ce principe soit étendu à l’information électorale elle-même», soulignent les détracteurs du projet gouvernemental. Ces derniers précisent que «confondre une information libre et responsable avec la publicité, et la soumettre à une taxe, revient à dégrader le débat politique et à le transformer en une simple marchandise soumise à la loi du marché». MM. Pakradouni et Touma soulignent qu’une telle approche s’appelle «confusion des genres, ce qui ne peut être admis en politique», ont-ils fait remarquer dans le document qu’ils ont présenté au gouvernement. Les détracteurs de la proposition officielle ne comprennent pas «pourquoi le projet gouvernemental accorde à la presse écrite, tout aussi politisée que les médias audiovisuels privés, des droits qui leur sont refusés». Tout en affirmant que cette initiative étatique ne respecte pas les libertés fondamentales défendues par la charte des droits de l’homme et par la Constitution libanaise, ils se réfèrent, pour défendre leur thèse, à un jugement rendu par le Conseil constitutionnel français en date du 18 septembre 1986. Ce jugement stipule ce qui suit : (…) «Considérant que le pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; que le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie ; que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent les moyens de communication audiovisuelle n’était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur public que dans celui du secteur privé, de programmes qui garantissent l’expression de tendances de caractères différents, dans le respect de l’impératif d’honnêteté de l’information ; qu’en définitive l’objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs, qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789, soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché» (…). Les auteurs du document soumis aux responsables officiels citent un autre texte, emprunté aussi à la juridiction française, pour affirmer que dans un monopole d’État, l’égalité d’accès aux médias officiels reste de l’ordre des souhaits pieux. Ce second texte, pris à Actualités juridiques de droit administratif (AJDA), souligne notamment que «l’égal accès à une antenne monopolisée n’équivaut pas à la liberté d’émettre». MM. Pakradouni et Touma se réfèrent, également, à la Cour constitutionnelle … bulgare qui, dans un jugement rendu le 13 septembre 1995, a confirmé «le droit des journalistes de l’audiovisuel de faire des commentaires sur les partis politiques et les candidats aux élections pendant les campagnes». Le jugement en question affirme aussi que «toutes les dispositions restrictives sont anticonstitutionnelles et constituent une forme de censure portant ainsi atteinte au droit de l’information de chaque citoyen bulgare». Au-delà de cet ensemble de considérations, plus d’une partie s’est posée des questions quant à l’aspect pratique de ce projet officiel. Si on admet que pour chacun des 128 sièges parlementaires à pourvoir, on aura plus d’un candidat, on voit mal comment, face à des centaines de candidats, Télé-Liban ou Radio-Liban pourront se consacrer, durant les six mois de la campagne électorale, à cette seule activité qui ne pourra se faire qu’au détriment de toutes les autres émissions. Certains vont encore plus loin pour affirmer que «dans le cas où le gouvernement s’accroche à son projet, la boutade de M. Hariri faite à Saïda ne serait pas du tout irréaliste». À l’ensemble de cette argumentation vient s’ajouter une accusation à peine larvée selon laquelle le gouvernement n’a pas trouvé mieux que cette manœuvre médiatique pour renflouer les caisses, éternellement déficitaires, de la télévision officielle.
Fait sans précédent dans l’Histoire contemporaine du Liban, le gouvernement a entrepris récemment de tenter de réglementer les dépenses électorales des candidats aux élections législatives. À cette fin, il a élaboré un projet qui prévoit notamment que chaque candidat aux législatives ne pourra dépenser que 150 millions de livres libanaises pour son «marketing» politique. Et, de...