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Actualités - OPINION

Réhabiliter la politique

Quatre événements politiques dont la portée est considérable, notamment pour le Liban, ont eu lieu ces derniers jours : la victoire des «modérés» en Iran, l’annonce d’un changement imminent de gouvernement en Syrie comme prélude à la reprise de la négociation, le retour en force de l’Égypte sur la scène libanaise et proche-orientale et l’opposition des États-Unis à toute attaque israélienne contre des objectifs civils au Liban. Ces événements, qui constituent le prélude à une modification radicale du paysage régional, ne semblent pas avoir d’effet sur le comportement de la classe politique, qui reste dominé par des priorités qui n’ont plus rien à voir avec la réalité des choses. Le dernier exemple de cette «disjonction» nous a été fourni par le débat télévisé au cours duquel M. Élie Hobeika a rejeté des accusations portées contre lui par son ancien collaborateur. Débat surréaliste où, pendant quatre heures consécutives, l’ancien ministre a systématiquement nié avoir tué, enlevé, massacré, torturé ou rançonné un certain nombre de gens. N’est-t-il pas temps aujourd’hui de réhabiliter le domaine politique ? Depuis l’arrêt des combats en 1990, une campagne systématique a en effet été entreprise pour dépolitiser les Libanais. Ses manifestations en sont nombreuses et variées. Quelques exemples : – La dissociation établie entre action politique et pouvoir politique : les voies d’accès au pouvoir telles que prévues par la Constitution ne fonctionnent pas. Les barrages sont nombreux et variés. Ainsi la volonté populaire exprimée lors des élections législatives ne coïncide pas nécessairement avec les résultats officiels. Deuxième étape dans cette dissociation entre action et pouvoir : le Parlement une fois élu n’a pas son mot à dire dans la formation du gouvernement. Celui-ci n’est pas l’émanation naturelle d’une majorité parlementaire. Sa désignation obéit à d’autres mécanismes. Troisième étape : l’élection présidentielle qui, elle aussi, ne dépend en rien du Parlement. – La réduction des concepts politiques à une série de directives relevant du code de la route : dans le langage politique en usage aujourd’hui au Liban, on parle de «limites à ne pas dépasser», de «lignes rouges» à ne pas franchir, de «feux verts» pour signifier que l’action est autorisée, de «train à prendre en marche» pour les candidats à la députation, de «rouleaux compresseurs» pour décourager les récalcitrants, etc. – La confusion entre les deux domaines de la politique et de la morale : pour porter un jugement politique, les critères à prendre en considération relèvent du domaine pratique : efficacité, rendement, développement, etc. La morale intervient dans les grands principes qui doivent gouverner cette politique, à savoir l’égalité, la justice, le respect des libertés, etc. Réduire la politique au seul domaine de l’honnêteté personnelle des dirigeants et utiliser cette qualité – dont bénéficie, jusqu’à preuve du contraire, l’écrasante majorité des Libanais – pour se soustraire à toute responsabilité politique vident la morale et la politique de tout contenu. – L’absence de relation entre choix politiques et alliances électorales : un exemple récent : les pressions exercées sur des députés et des candidats de sensibilités différentes pour les obliger à se regrouper dans des listes électorales communes. Les élections n’ont plus, dans ce cas, pour objectif de permettre aux citoyens d’exprimer leur volonté mais d’entériner légalement des faits accomplis. Cette dépolitisation atteint toutes les institutions de la société, notamment les partis politiques, qui n’ont plus d’autre objectif que celui de se maintenir en vie. – L’assimilation faite entre l’exercice du pouvoir politique et la «figuration» politique : les «interdits» qui pèsent sur l’exercice réel du pouvoir sont tellement nombreux que les gouvernants se limitent à «jouer un rôle» : celui d’exercer le pouvoir. Celui-ci est donc uniquement «mis en scène». D’où l’importance proprement compensatoire accordée à la forme. Dans ce contexte, la politique se réduit, le plus souvent, à la rivalité qu’engendre l’attrait exercé par le prestige qui découle de ce rôle. Chaque acteur trouve la confirmation de ce qu’il recherche chez son rival, et non plus dans l’objet même du désir qui a perdu toute valeur réelle. Désormais, on ne désire plus que le désir de l’autre ; et c’est ce mimétisme, qui n’est régi que par sa propre logique, que nous appelons aujourd’hui pompeusement «débat» ou «lutte» politique. – La perversion du rapport entre la politique et les médias : la dévaluation du pouvoir se reflète dans les médias. L’information se résume principalement aux déclarations faites par les hommes politiques qui font preuve, par ailleurs, d’une volubilité stupéfiante. Le principe qui régit leur démarche est simple : je figure dans le journal, ou j’apparais à la télévision, donc j’existe. Ce n’est plus l’événement qui crée l’information mais le contraire. L’objectif de cette campagne de dépolitisation était de maintenir le statu quo existant. Or celui-ci a été remis en question par la reprise de la négociation avec Israël. Et les Libanais, qui ne sont pour rien dans ce changement, découvrent aujourd’hui, avec effroi, l’ampleur du vide politique dans lequel le pays se débat. Réhabiliter la politique devient une nécessité vitale. Pour cela, il faut commencer par rejeter les «faits accomplis», remettre en question les «vérités établies» et cesser de croire à une fatalité politique qui n’existe que dans la tête de ceux qui veulent bien y croire.
Quatre événements politiques dont la portée est considérable, notamment pour le Liban, ont eu lieu ces derniers jours : la victoire des «modérés» en Iran, l’annonce d’un changement imminent de gouvernement en Syrie comme prélude à la reprise de la négociation, le retour en force de l’Égypte sur la scène libanaise et proche-orientale et l’opposition des États-Unis...