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Actualités - REPORTAGES

Errance - Sept enfants vivent dans un taudis envahi par les rats et rêvent de jours meilleurs ... De Mossoul à Beyrouth, le calvaire d'une famille kurde (photos)

La misère, au Liban, est un feuilleton interminable. Les épisodes se suivent sans que jamais la douleur ne finisse ou ne diminue d’intensité. Elle est encore plus poignante lorsqu’il est question des réfugiés politiques, statut accordé par le Haut Comité des réfugiés (relevant des Nations unies), mais non reconnu par l’État libanais qui refuse de signer la convention de Genève pour les réfugiés. Ceux-ci vivent donc dans la précarité, à la merci d’une rafle ou d’une dénonciation, mais continuent à affluer au Liban, dans l’espoir d’un nouveau départ en principe promis par le HCR. Le Soudanais F. (qui avait raconté son drame personnel dans L’Orient-Le jour du 3 février) a été ainsi interpellé pendant 7h par la Sûreté générale. Mais cela n’a nullement découragé la famille M., d’origine kurde, de raconter son propre calvaire. Ils sont sept enfants, entre 23 et 7 ans, entassés dans un sous-sol qui ressemble plus à un dépôt de machines qu’à un local habitable. La lumière du jour filtre à travers la porte ouverte en permanence qui donne sur un escalier menant à son tour sur le trottoir. Tous les égouts de cet immeuble vétuste de la banlieue-sud se déversent dans ce sous-sol, où, attirés par l’odeur nauséabonde, les rats circulent en liberté. La famille M. est très heureuse d’avoir pu s’installer ici, surtout que le propriétaire n’exige pas de loyer. Le père, à peine 50 ans, mais il en paraît 70, est arrivé au Liban il y a quelques mois. Membre de la résistance kurde, proche collaborateur de Massoud Barzani (responsable du Parti démocratique du Kurdistan), il a dû quitter le nord de l’Irak car les services de renseignements du régime le poursuivaient activement. Il s’est donc installé à Beyrouth, tout en essayant d’y amener sa famille. Arrestations en série Sa fille, une jolie jeune fille de 23 ans, qui parle un arabe laborieux, appris à l’école selon les programmes imposés par le régime irakien, raconte qu’ils vivaient à Mossoul, où son père était un militant actif du PDK. Ayant reçu des menaces, il s’est enfui. Dès sa disparition, les services du régime se sont mis à les harceler. Ils ont emprisonné sa mère et son frère tout en les menaçant régulièrement pour avoir des nouvelles de leur père. Ils ont finalement relâché son frère aîné, moyennant une importante somme d’argent, mais quelques jours après sa libération, celui-ci a disparu. Il a été vu pour la dernière fois à Arbil (à l’est de Mossoul), puis plus de nouvelles. Sa mère a été relâchée en novembre dernier. Mais au lendemain de sa relaxation, elle a été retrouvée morte. Depuis, c’est la jeune fille qui s’occupe de ses six frères et sœurs. C’est elle aussi qui subissait les assauts des agents du régime qui leur rendaient régulièrement visite pour avoir des nouvelles de leur père. Un jour, ils ont été chassés de leur maison et se sont réfugiés à Zakho, bourgade sur la frontière turque et proche de la Syrie. Là, la jeune fille a été mise en contact avec des passeurs qui lui ont promis de la mener vers son père. Moyennant la somme de 2 000 dollars américains, les sept enfants ont été emmenés à travers les montagnes. Ils ont marché dix heures, la nuit, avant d’atteindre un petit village syrien, où ils ont pu se reposer après avoir payé 200 dollars. Mais en reprenant le chemin de l’exode, à la nuit tombée, ils ont découvert que leurs affaires avaient disparu. Que faire, dans ce cas, sinon poursuivre la route, car à qui auraient-ils pu se plaindre, ces sept enfants clandestins, entraînés dans la tourmente ? Une escale provisoire ? Ayant quitté le Kurdistan irakien le 7 novembre, ils sont arrivés à Beyrouth le 11. Le passeur les a déposés chez un autre réfugié kurde irakien qui, à son tour, les a emmenés chez leur père. La filière fonctionne donc sans accroc, à la manière d’une machine bien rodée. Et si les 7 enfants ont perdu en chemin leurs effets et leur argent, ils doivent s’estimer heureux d’être sains et saufs. Depuis le 11 novembre, ils ne quittent plus ce taudis malodorant et humide pour ne pas être dénoncés ou arrêtés. Lavés et bien proprement habillés, grâce à l’aide d’autres réfugiés kurdes, ils se sont rendus toutefois au siège du HCR pour les demandes d’obtention du statut de réfugiés. En voyant des enfants en bas âge, les responsables du HCR ont accéléré les formalités et les enfants bénéficient désormais de l’aide du Cemo (Conseil des Églises du Moyen-Orient), qui en collaboration avec le HCR s’occupe des familles sur le terrain. Excepté deux visites au HCR et au Cemo, l’essentiel du trajet ayant été effectué à pied, les enfants ne sont jamais sortis de «leur maison». De leur porte ouverte, ils regardent les pieds des passants, nombreux dans cette rue animée, et se battent désespérément contre les rats qui refusent de partager le local. Sagement étendus sur une couverture jetée à même le sol, ils sont tout émus de recevoir une visite et ouvrent grands les yeux, sans oser prononcer un mot. En secret, ils rêvent d’une Amérique hospitalière, qui leur ferait enfin oublier la malédiction d’être nés kurdes. Le Liban, pour eux, n’est qu’une escale provisoire. Car il ne peut leur accorder qu’un sursis, afin de ne pas ouvrir la voie à d’autres hôtes qui voudraient, eux, prendre racine et s’intégrer totalement à la société. Mais lorsqu’ils voient certains de leurs compatriotes installés sur place depuis sept ou huit ans, attendant encore de pouvoir émigrer dans un pays d’accueil, évoluant avec aisance dans la précarité en faisant de petits boulots pour survivre, ils ne peuvent s’empêcher d’avoir peur pour leur avenir. Parfois, il faut payer bien cher le prix de la sécurité. Quant au HCR, il est souvent débordé : que faire de tous ces êtres humains dont aucun pays ne veut ? Il leur donne le statut de réfugiés, mais ne peut leur assurer une nouvelle terre d’accueil, car la communauté internationale n’aide que ceux dont elle peut tirer profit...
La misère, au Liban, est un feuilleton interminable. Les épisodes se suivent sans que jamais la douleur ne finisse ou ne diminue d’intensité. Elle est encore plus poignante lorsqu’il est question des réfugiés politiques, statut accordé par le Haut Comité des réfugiés (relevant des Nations unies), mais non reconnu par l’État libanais qui refuse de signer la convention de...