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Actualités - BIOGRAPHIE

Saëb Salam - La disparition du grand leader beyrouthin Du nationaliste arabe au chantre de l'unité entre les libanais (photos)

On se souviendra de Saëb Salam, qui vient de disparaître, comme de l’un des neuf ou dix hommes politiques, tout au plus, qui marquèrent de leur empreinte le premier demi-siècle de la République libanaise indépendante. De 1943 à 1984, il alternera les périodes au pouvoir et dans l’opposition. Mais qu’on le trouve ici ou là, il est toujours l’un des quelques personnages incontournables de la petite mais remuante constellation politique libanaise. Il en est de même lorsque, après 1975, il tente de se positionner comme arbitre, s’efforçant de recoller à sa manière les morceaux d’un pays déchiré. N’était-ce pas lui qui avait inventé, 17 ans plus tôt, la fameuse formule de «ni vainqueur, ni vaincu» ? Grosso modo, la carrière politique de l’homme à l’œillet et au cigare se divise en trois périodes, illustrant une évolution propre à de nombreux représentants de l’establishment sunnite traditionnel au Liban : le nationaliste arabe des années cinquante, l’allié du Helf chrétien au tournant de la décennie suivante et enfin l’ardent défenseur du Pacte national durant les années de guerre. La première période, celle du jeune héritier d’une famille de notables sunnites beyrouthins – son père Sélim (Abou Ali) avait déjà été député de Beyrouth en 1914 –, commence dans le sillage des hommes de l’Indépendance. Né le 17 janvier 1905, il avait 38 ans lorsque, à la faveur des événements de l’année 1943, il fut amené à jouer un rôle d’envergure nationale. Le 6 septembre, il est élu député de la capitale pour la première fois. Militant en faveur de l’indépendance, il tient des réunions parlementaires à son domicile, contribue à l’élection de Béchara el-Khoury à la présidence de la République et mène des mouvements de protestation lorsque ce dernier et ses compagnons sont emprisonnés à Rachaya par les Français. Mais son principal «morceau de bravoure» reste sa signature apposée sur cet emblème du cèdre qui deviendra le drapeau national libanais. C’est en effet lui, au nom des députés musulmans, et Henri Pharaon, au nom des chrétiens, qui feront adopter l’emblème par la Chambre après la libération des détenus de Rachaya. Après un tel démarrage, il va vite gravir les échelons de la politique. En 1946, il est nommé ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Saadi el-Mounla. En 1951, il est réélu à son siège de Beyrouth et, le 14 septembre de l’année suivante, se voit chargé, pour la première fois, de former le gouvernement par le président Béchara el-Khoury. Il démissionne quatre jours plus tard, permettant le départ du chef de l’État qu’exigeait l’opposition. Camille Chamoun succède à Khoury et nomme Saëb Salam Premier ministre en avril 1953. Il forme un gouvernement de huit membres au sein duquel il prend également les portefeuilles de l’Intérieur et de la Défense. Cette fois-ci, le Cabinet dure quelques mois, ce qui, à l’époque, était assez habituel. Salam est remplacé en août de la même année par Abdallah Yafi, l’un de ses principaux rivaux beyrouthins. Il revient au gouvernement en 1956, mais uniquement comme ministre d’État sans portefeuille, et conserve ce poste jusqu’en novembre de l’année suivante sous deux Cabinets successifs de Yafi. Sous l’influence du nassérisme qui gagne en ampleur dans le monde arabe, notamment après la désastreuse campagne de Suez en 1956, il prend ses distances avec le régime pro-occidental de Chamoun et s’oppose avec véhémence au pacte de Bagdad inspiré par les Britanniques pour venir en aide à leurs alliés dans la région, principalement les Hachémites d’Irak et de Jordanie. Le Liban ne rejoindra pas finalement le pacte mais les contradictions intérieures se réveillent, exacerbées par le jeu des nations à l’extérieur. Aux législatives de 1957, Saëb Salam, comme beaucoup d’autres représentants de l’opposition, est battu. Le divorce avec le régime est dès lors consommé. Blessé au cours d’une manifestation à Tarik Jédidé, il est mis aux arrêts à l’hôpital Berbir où il est soigné. Il sera relâché cinq jours plus tard, après avoir observé une grève de la faim. Quelques mois plus tard, il est l’un des chefs de la «révolution populaire» déclenchée contre Chamoun, mais il se posera en champion de l’unité nationale après le débarquement des Marines américains et l’avènement de Fouad Chéhab. En 1960, il retrouve son siège de député qu’il ne perdra plus jusqu’en 1992. Nommé premier ministre en août de cette année, il conservera ce poste jusqu’au 31 octobre 1961, à la tête de deux Cabinets successifs. Entre Nahj et Helf Mais au contraire de beaucoup de ses anciens alliés antichamouniens de 1958, comme Rachid Karamé et Kamal Joumblatt, Saëb Salam semble s’accommoder mal du chéhabisme. Il se brouille avec le chef de l’État et l’accuse de mettre le pays sous la coupe du Second bureau. En 1964, son bloc parlementaire approuvera le choix de Charles Hélou comme candidat consensuel à la présidence afin de barrer la route à un éventuel deuxième mandat du général. Le chéhabisme, même sans Chéhab, ne lui convenant plus du tout, il se rapproche progressivement du Helf dominé par son ancien ennemi Camille Chamoun aux côtés de Pierre Gemayel et de Raymond Eddé et proclame en 1968 son opposition violente au Nahj. Dans la foulée, il forme avec Sleiman Frangié et Kamel el-Assaad le bloc du centre, dont l’objectif déclaré est de «sauver le système parlementaire démocratique et éradiquer le pouvoir des officiers du Second bureau». Bénéficiant du soutien du Helf et de quelques autres mécontents, tous trois se retrouvent en 1970 à la tête de l’État. Le 13 octobre de cette année, Saëb Salam forme son cinquième gouvernement, surnommé Cabinet des jeunes, qui se charge de liquider les reliquats du chéhabisme et de libéraliser à nouveau la vie politique. Il y parvient mais il se heurte dans le même temps aux ardeurs réformistes de certains de ses ministres «techniciens» qu’il révoque ou pousse à la démission, alors que la contestation politique et sociale prend de l’ampleur, notamment au sein de la jeunesse. Après les législatives de 1972, il forme un nouveau Cabinet, plus «politique» que le précédent. C’est son dernier gouvernement. Le 10 avril 1973, sous la pression de la rue musulmane, il claque la porte pour protester contre le refus de Sleiman Frangié de limoger le commandant en chef de l’armée, le général Iskandar Ghanem, la troupe ayant été accusée d’inaction au cours de l’intervention quelques jours plus tôt d’un, commando israélien, mené par l’actuel Premier ministre Ehud Barak, qui avait liquidé en plein cœur de Beyrouth, à la rue de Verdun, trois dirigeants palestiniens. La crise politique ouverte alors sera l’un des principaux jalons qui mèneront au déclenchement de la guerre deux ans plus tard. Au cours du conflit, Saëb Salam tentera de ménager la chèvre et le chou et ne rompera jamais ses contacts avec ce qu’on appelait alors «l’Est politique», notamment avec le chef des Kataeb Pierre Gemayel, qu’il visitera en 1976 à Achrafieh. Après l’invasion israélienne de 1982 et le départ de Beyrouth du chef de l’OLP Yasser Arafat, il redevient pour deux ans la principale figure du sunnisme libanais.Il boycotte certes l’élection de Béchir Gemayel à la présidence de la République, mais il le rencontre peu après et surtout, il parraine l’élection de son frère Amine après l’assassinat de Béchir. Dans le même temps, désireux de favoriser la réconciliation, il détourne les soupçons qui pèsent sur des membres des Forces libanaises au sujet du massacre de Sabra et Chatila en accusant de ce forfait les milices sudistes de Saad Haddad. Plus tard, il sera aussi l’un des principaux parrains au Parlement de l’accord libano-israélien du 17 mai 1983. Mais, sous la pression des alliés de la Syrie, cet accord n’est pas ratifié et Saëb Salam tombe en disgrâce. Il s’installe en Suisse et, bien qu’ayant pris part aux accords de Taëf, ne reviendra définitivement au Liban qu’en 1994 après avoir été reçu à Damas par le président syrien Hafez el-Assad, à la suite d’une intervention de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Chasseur et nageur émérite, Saëb Salam avait épousé en 1941 Tamima Rida Mardam Bey et a eu d’elle cinq enfants, deux filles et trois garçons. Son fils aîné Tammam est actuel député de Beyrouth. À côté de ses activités politiques, il fonda la MEA en 1945 dont il fut le premier PDG. Il mena en outre diverses activités sociales et fut notamment président des Makassed islamiques. .
On se souviendra de Saëb Salam, qui vient de disparaître, comme de l’un des neuf ou dix hommes politiques, tout au plus, qui marquèrent de leur empreinte le premier demi-siècle de la République libanaise indépendante. De 1943 à 1984, il alternera les périodes au pouvoir et dans l’opposition. Mais qu’on le trouve ici ou là, il est toujours l’un des quelques personnages...