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Actualités - INTERVIEWS

INCIDENT - Sélim N. Lahoud-Antoine Haddad : les deux versions Quand un député décide d’« éduquer » le fils d’un de ses collègues...

Un grave incident – un incident grave parce que lourd de sens – a opposé hier dans la matinée, à cinquante mètres de la place de Baabdate, le jeune fils du député Nassib Lahoud (Sélim est âgé de 17 ans) et son chauffeur d’une part, au député Antoine Haddad, son garde du corps et le conducteur de sa voiture, de l’autre. Le cabinet du député Nassib Lahoud a publié hier en début de soirée un communiqué relatant les faits et mettant les responsables concernés devant leurs responsabilités. «Nous laissons à l’opinion publique le soin de déduire le niveau auquel sont tombées les pratiques de ceux-là mêmes qui prétendent représenter le peuple – en l’occurence, un député qui appartient au bloc parlementaire dont sont issus l’ancien et le nouveau ministres de l’Intérieur. C’est à ce dernier de garantir en premier le maintien de l’ordre et de la sécurité, ainsi que l’application de la loi», conclut le communiqué. De leur côté, l’ancien chef de l’État, Amine Gemayel, son fils, le député Pierre Gemayel, l’ancien ministre Michel Samaha, présent sur les lieux de l’incident, ainsi que le député Farid el-Khazen ont violemment stigmatisé l’agression dont a été victime le jeune fils de Nassib Lahoud. Sélim Lahoud – son père Nassib est en déplacement à Londres – a raconté à L’Orient-Le Jour sa version des faits. «Nous étions sur la route Beyrouth-Baabdate, au niveau de Mansourieh, lorsque le chauffeur de la famille, Joseph Badaoui, a doublé le plus naturellement du monde une Cadillac noire dont le chauffeur a alors voulu, avec forts coups de klaxon, repasser en tête». Sélim Lahoud se retourne, voit la plaque bleue de la Cadillac, il sort alors par la fenêtre de la voiture une photo-affiche de son père. «C’était une façon de lui dire que notre voiture était aussi celle d’un député et que ce n’est pas une raison pour klaxonner ainsi».Vous ne saviez pas à qui appartenait cette Cadillac ? «Non, je l’ai su lorsqu’elle nous a redoublés et qu’Antoine Haddad a sorti son visage de la fenêtre pour m’insulter et me faire un doigt d’honneur. Je l’ai reconnu surtout grâce à son cigare». Le dialogue devant la Poste Que s’est-il passé jusqu’à Baabdate ? «Rien, pas un mot, pas un geste. Ce n’est qu’arrivé au village que j’ai ressorti la photo». Pourquoi ? «Parce que je me sentais particulièrement menacé, ils nous ont poursuivis à tombeau ouvert tout le long du trajet, et Baabdate c’est mon village, je suis chez moi à Baabdate...». Et puis, tout se précipite. Arrêté devant la Poste par l’embouteillage, Sélim Lahoud, assis à la fenêtre et la photo à la main, voit la Cadillac d’Antoine Haddad stopper net, un des gardes du corps tirer deux coups de feu en l’air, sortir comme un boulet, tirer de nouveau, cette fois sur le pneu arrière gauche de la voiture alors que le fils du député du Metn s’époumonait à décliner son identité. «Et pendant que mon chauffeur, âgé de 65 ans et désarmé, se faisait agresser, Antoine Haddad et son chauffeur sont descendus de la voiture, Haddad s’est approché de ma portière, m’a obligé à descendre en m’insultant comme ce n’est pas permis, m’a tiré par mon col en déchirant ma chemise et puis il m’a giflé». Pendant ce temps, le garde du corps menaçait de le frapper avec la crosse de son arme. Le dialogue qui a suivi la gifle – dialogue entre Antoine Haddad et Sélim Lahoud et rapporté par ce dernier – est assez édifiant. – Haddad :«Tu vas te prendre une de ces baffes». – Lahoud : «Je ne fais que brandir la photo de mon père et j’en suis fier, je n’empiète sur la liberté de personne». – Haddad : «Tu m’as provoqué avec ça». – Lahoud : «Et alors ? Vous êtes un député, vous êtes censé représenter les Libanais, comment vous vous permettez d’agresser un jeune de 17 ans ?». – Haddad : «Toi tu veux me mettre hors de moi ? Toi ? Moi, Dieu lui-même ne peut pas me mettre hors de moi, tu as compris ?». – Lahoud : «Mais personne ne veut vous mettre hors de vous. Seulement, si je veux brandir la photo de mon père, c’est mon droit le plus strict». Survient ensuite un agent de l’ordre qui arrête le garde du corps d’Antoine Haddad pour l’emmener au poste, l’accusant d’avoir utilisé son arme à feu. «Haddad s’interpose, dit à l’agent de police que cet homme est un lieutenant du service de sécurité de l’État et qu’il est son garde du corps, lui un député. Et lorsque l’agent de police écarte Haddad du revers de la main, celui-ci le menace d’appeler Michel el-Murr s’il ne le lâche pas. L’agent, alors, obtempère, et Haddad et ses hommes s’enfuient». Qu’est-ce que vous auriez pu faire pour éviter tout cela ? Sélim Lahoud réfléchit quelques instants : «J’aurais pu essayer de connaître l’identité du député avant de brandir la photo de mon père, savoir si c’était un “ami” ou pas. C’est vrai, je n’aurais pas dû faire ça». La maturité de Sélim Lahoud et son civisme, au regard de l’affront qu’il a subi, sont frappants. «En ne respectant pas les gens qui l’ont élu, il a manqué de respect envers le Liban. Les députés comme lui n’ont pas à siéger au Parlement». La version Haddad «Il n’y a pas de versions qui tiennent. Il y a une vérité, c’est tout. Et cette vérité, je vais vous la dire». Interrogé à son tour par L’Orient-Le Jour, le député Antoine Haddad nie catégoriquement les détails avancés par Sélim Lahoud. «J’étais en visite de condoléances à Fayadié et je rentrais chez moi, à Bickfaya, par la route de Mkallès, lorsqu’une Pathfinder noire immatriculée 4383 nous a doublés à toute vitesse. Le jeune homme assis aux côtés du chauffeur est alors sorti à moitié de la fenêtre, brandissant sous notre nez la photo de Nassib Lahoud, et ce pendant 100 mètres». Antoine Haddad demande à son chauffeur de doubler la Pathfinder, «elle est repassée devant nous à nouveau, avec toujours la photo brandie à l’extérieur. Et ce scénario s’est renouvelé jusqu’à la descente de Baabdate, lorsque j’ai vu le jeune homme sortir presque en entier par la fenêtre et me faire un doigt d’honneur. J’ai demandé à mon garde du corps d’arrêter cette voiture pour voir de quoi il en ressortait, je lui ai demandé de tirer deux coups de feu en l’air. La Pathfinder s’est alors arrêtée devant la Poste». Vous n’aviez pas reconnu le jeune homme ? «Non, pas du tout». Et selon Antoine Haddad, ses hommes sont descendus, un pugilat a commencé entre eux et les occupants de la Pathfinder, «le fils Lahoud a peut-être reçu une gifle ou deux à ce moment-là, vu que lui et son chauffeur étaient hargneux», et lorsque le jeune homme a décliné son identité, le député est descendu pour faire cesser le jeu de mains, «c’est, après tout, le fils d’un de mes collègues du Parlement», a-t-il précisé. «C’est honteux ce que tu as fait, vraiment honteux, je suis sûr que ton père n’aurait pas accepté que tu te comportes de cette façon», a-t-il soutenu avoir dit à Sélim Lahoud. Et puis, les gens ont commencé à se masser, «ils me demandaient tous si j’avais besoin de quelque chose», l’armée, la police, «je n’ai pas laissé la police intervenir, ils voulaient même arrêter mon garde du corps sous prétexte qu’il avait tapé du poing sur leur Jeep, vous rendez-vous compte... ?». Et Antoine Haddad de nous faire partager ses doutes, «je ne pense pas que l’acte du fils Lahoud soit spontané, il doit certainement régner chez lui une ambiance tendue, dirigée, entre autres, contre moi».Quelque chose à rajouter ? «Que les parents éduquent mieux leurs enfants, c’est tout». L’inacceptable Au-delà de l’antagonisme entre les deux députés, au-delà de l’âge et de l’éducation qu’on sait parfaite du jeune homme violenté, l’incident de Baabdate n’est qu’une illustration parmi tant d’autres de la dérive perverse et totale de la notion de civisme au Liban. Il est inadmissible qu’un simple agent étatique outrepasse, comme il le fait tous les jours, les limites et le pouvoir que lui confère sa fonction, tout en restant impuni. Cela devient carrément scandaleux lorsqu’il s’agit d’un représentant du peuple, d’un membre du Parlement. Bafouer à ce point les principes élémentaires de l’État de droit en s’estimant définitivement intouchable commence à être puni dans la plus petite des Républiques bananières ou cocotières. Que cela demeure, ici, un sport national auquel se livre une grande majorité des hommes politiques est un signe qui ne trompe pas : le Liban ne fait même plus partie des pays qui stagnent. Le Liban régresse. Un peu plus chaque jour. Ziyad MAKHOUL
Un grave incident – un incident grave parce que lourd de sens – a opposé hier dans la matinée, à cinquante mètres de la place de Baabdate, le jeune fils du député Nassib Lahoud (Sélim est âgé de 17 ans) et son chauffeur d’une part, au député Antoine Haddad, son garde du corps et le conducteur de sa voiture, de l’autre. Le cabinet du député Nassib Lahoud a publié...