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Actualités - OPINION

Monsieur est servi !

 En politique plus qu’en toute chose, la vengeance est un plat qui se mange froid. Il est toutefois des revanches vraiment trop douces-amères pour être confortablement pleinement savourées. Rescapé d’une pénible traversée du désert, opérant aujourd’hui un triomphant come-back au Sérail, Rafic Hariri doit sans doute se demander s’il n’a pas, finalement, trop bien fait les choses, s’il n’a pas forcé un tantinet sur le score électoral de l’été dernier. Et si la manne des dieux qui se remet à le combler n’est pas, cette fois, un cadeau empoisonné. C’est dans un contexte local et régional on ne peut plus défavorable en effet que revient M. Hariri, en qui les Libanais unanimes avaient vu, lors de son accession au pouvoir en 1992, l’homme du miracle économique et aussi de la quiétude à la frontière sud, tant la paix paraissait alors prochaine ; Hariri, que de nombreux Libanais ont chargé par la suite de tous les maux, notamment une effroyable dette publique résultant de son ambitieux programme de reconstruction ; Hariri que les mêmes Libanais, en proie à la récession et amplement édifiés il est vrai par la désastreuse gestion du gouvernement sortant, ont fini par plébisciter à nouveau. Ils savent bien pourtant les Libanais, allez, que le temps des miracles et des mirages est révolu, que la baraka financière du premier ministre désigné n’est pas forcément contagieuse à l’échelle nationale, que la crise est trop grave pour être réglée par quelques coups de baguette magique, que certaines mesures douloureuses vont s’avérer nécessaires et inévitables. Mais ils regardent autour d’eux et ne trouvent pas d’alternative crédible ; de ce retour ils attendent dès lors un providentiel déclic qui réveillerait la léthargique machine économique, qui relancerait un tant soit peu les affaires, qui stopperait l’exode d’une jeunesse cruellement privée d’horizons ; ils en escomptent un mieux-être matériel et pourquoi pas politique, car on leur a tant promis de choses dans les harangues électorales … Davantage que les savants montages financiers, que les empoignades feutrées autour des portefeuilles ministériels, que les labyrinthiques cheminements de la toute-puissante volonté syrienne, c’est cette vaste attente populaire qui devrait impressionner, effrayer même Rafic Hariri, à l’heure où il met la dernière main à son gouvernement. C’est cette inestimable encore que capricieuse confiance et l’écrasante responsabilité qu’elle impose à son récipendiaire, qui devraient, ces temps-ci, lui ôter le sommeil. Or elle vient d’être durement – et bien prématurément – ébranlée cette confiance, avec la liste de ministrables qui circule depuis quelques jours : liste dont on assure qu’elle a été négociée, puis entérinée, presque en même temps que la désignation du nouveau premier ministre, dans le cadre d’un douteux «package deal». Si ce cabinet à la fantomatique pâleur devait voir le jour, il aurait été celui des espérances torpillées, des occasions ratées : à commencer par celle qui s’offrait au premier ministre désigné de frapper et de stimuler l’opinion publique et les milieux économiques, de faire jouer une nouvelle fois ce fameux «effet Hariri», qui garde un puissant pouvoir de séduction, de susciter un salutaire choc psychologique en s’entourant soit de techniciens à la compétence éprouvée, soit alors d’authentiques représentants de toutes les familles libanaises, enfin réunies sous le même toit gouvernemental pour la première fois depuis la fin de la guerre ! En bref, l’occasion de montrer aux citoyens que leur regain de faveur est en tout point justifié ; et que les conditions du progrès prennent désormais le pas sur les honneurs et les charges, sur les impératifs de la cohabitation comme sur les contraintes extralibanaises. Après tout, et parce qu’il y allait alors de son ego, M. Hariri a prouvé il y a deux ans qu’il savait dédaigner un ministère. Si le gouvernement annoncé devait être le bon (ce n’est là que façon de parler, on l’aura bien compris), l’opportunité aurait été perdue aussi pour le président Émile Lahoud d’inaugurer en beauté le deuxième tiers de son sexennat, après les déconvenues du premier ; de démontrer à son tour aux citoyens que l’état des institutions est réellement en gestation. Qu’il a été le premier à s’émouvoir des plaintes et aspirations du peuple. Qu’il a à cœur la réalisation d’une véritable entente nationale dont cesseraient enfin d’être systématiquement exclus les représentants que persiste à se reconnaître sa propre communauté. Qu’il serait fait appel à l’un ou l’autre, du moins, de ces représentants non commis d’office et qui représentent réellement quelque chose. Que le partage des pouvoirs au sein de l’Exécutif, et entre celui-ci et le Législatif, ne doit pas ramener le pays aux sombres jours de la troïka. Que ce même partage n’implique pas nécessairement, comme ce fut le cas sous de précédents régimes, le recours à la proche famille pour le pourvoi de postes aussi sensibles, requérant autant d’aptitudes confirmées que celui de ministre de l’Intérieur. Aurait-on donc imaginé en haut lieu que le départ très vastement souhaité de M. Michel Murr ferait aisément passer le reste ? Il n’est pas trop tard pour rectifier le tir ; et on saura gré au téléphone arabe d’avoir soumis à temps au test de l’opinion publique une aussi décevante formule ministérielle. En s’engageant à prendre en compte la vox populi, répercutée par les députés comme par les médias, M. Hariri a paru annoncer de nouvelles tractations, dont il faut espérer qu’elles ne se solderont pas par de simples retouches plastiques. La cohabitation c’est bien beau ; mais à quoi pourrait-elle servir, si elle n’existait pas, en priorité, entre gouvernants et gouvernés ? Issa GORAIEB
 En politique plus qu’en toute chose, la vengeance est un plat qui se mange froid. Il est toutefois des revanches vraiment trop douces-amères pour être confortablement pleinement savourées. Rescapé d’une pénible traversée du désert, opérant aujourd’hui un triomphant come-back au Sérail, Rafic Hariri doit sans doute se demander s’il n’a pas, finalement, trop bien...