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Actualités - REPORTAGES

DÉVELOPPEMENT - Des experts se prononcent sur le potentiel libanais Tourisme et environnement : l’un ne va pas sans l’autre

Pourquoi, quand on parle de tourisme, n’a-t-on que des chiffres plein la tête ? Pourquoi pas une couleur, le vert par exemple ? Ceci n’est pas une image. Le tourisme vert, écologique, l’écotourisme tel qu’il est appelé aujourd’hui, est la dernière tendance en la matière. Le Liban a-t-il un potentiel dans le domaine ? Certes, le couple tourisme-environnement, aussi inséparable soit-il, n’est pas un ménage de tout repos. Si le second est indispensable au premier, le premier peut représenter une pression non négligeable sur le second. Sur cette question, des experts en tourisme et des écologistes font le point, plaidant pour une politique qui prenne en compte la préservation écologique ainsi qu’une nouvelle conception du tourisme. Même si, dans tous les cas, le boom touristique, ce n’est pas pour demain... Sécurité, infrastructure et environnement représentent les trois conditions sine qua non d’un véritable développement touristique de par le monde. Ce qui paraît évident aujourd’hui, c’est que de plus en plus de touristes recherchent l’authenticité, le patrimoine, mais aussi les escapades et les sports dans la nature. «La notion d’écotourisme est apparue à un moment où une grande proportion de touristes (le plus souvent européens) en a eu assez de l’invasion du béton et s’est mise à rechercher les grands espaces, explique M. Antoine Accaoui, expert en tourisme. Le touriste aujourd’hui prépare méticuleusement son voyage et exige un bon rapport qualité/prix». Or, au Liban, nous n’avons pas compris le message, selon lui. «Notre conception du tourisme date d’il y a une trentaine d’années, dit-il. De nos jours, il faut non seulement attirer le touriste par une technique élaborée de marketing, mais aussi faire en sorte qu’il reste au pays le plus longtemps possible». M. Accaoui insiste sur le fait que la matière première du tourisme, c’est l’environnement. «C’est un trésor qu’il faut préserver car les dégâts causés à la nature sont irrémédiables, fait-il remarquer. Mais il faut surtout aménager le territoire que l’on a pour que les touristes, locaux ou étrangers, puissent en profiter : créer des sentiers pédestres dans les bois par exemple». Selon M. Accaoui, la dégradation écologique affecterait sans nul doute le tourisme, mais il n’est pas impossible de remonter la pente. «À titre d’exemple, il n’est pas difficile de reboiser le Liban, dit-il. On peut mettre à profit pour une telle tâche le service militaire. Peut-être qu’en cinq ans, il nous sera possible de quadrupler les espaces verts. Nul n’est besoin d’invention, il suffit d’un peu de bon sens». L’expert considère que l’avenir, c’est surtout le tourisme arabe qui est exigeant sur le plan de l’environnement. D’où cette incontournable richesse que sont nos montagnes. «De plus, l’écotourisme est bénéfique à plus d’un titre, poursuit-il. Mais son atout le plus précieux, c’est qu’il permet le développement des régions lointaines, généralement défavorisées au Liban. D’ailleurs, l’une des particularités du tourisme, c’est qu’il assure le plein-emploi (les normes internationales imposent un à deux employés par chambre d’hôtel) et qu’il profite à tous les secteurs et toutes les couches de la population». Quel genre de tourisme voulons-nous ? Le concept du tourisme écologique est cependant perçu différemment par M. Paul Abi Rached, écologiste. «L’écotourisme ne se limite pas aux visites des réserves naturelles et aux sports dans la nature, dit-il. Tout le concept doit répondre à de critères écologiques. Plus de touristes, oui, à condition que leur présence puisse être gérée. Ainsi, si le pays cherche à attirer davantage de visiteurs, ne doit-il pas mesurer leur impact sur les ressources naturelles ? Plus d’étrangers n’implique-t-il pas une augmentation du volume d’eau utilisé ? Peut-on assurer ce supplément sans en priver une partie de la population locale ? Telles sont les questions que doivent se poser les responsables actuellement». Autre interrogation : que recherche ce touriste ? À titre d’exemple, préfère-t-il nager en mer ou dans une piscine ? «À mon avis, il recherche l’espace naturel, estime-t-il. Or que fait-on pour lui préserver l’environnement et le patrimoine ? Nous construisons des autoroutes pour les bus de touristes sur les sites que les touristes auraient pu visiter ! Nos routes de montagne sont parsémées de dépotoirs et de carrières. Les constructions près des sites sont exécutées sans aucune planification ni étude...». M. Abi Rached étaye son discours d’exemples contradictoires dont il vaut mieux rire que pleurer : par exemple, «appeler un restaurant “Les Pins” dans une région où ceux-ci n’existent plus» ! En d’autres termes, l’exploitation des réminiscences d’un patrimoine qu’on ne tente d’aucune façon de protéger. «L’environnement est une valeur en soi», renchérit M. Ziad Moussa, membre de l’association écologique Greenline. «Mais si notre objectif est de le transformer en rendement économique, il faut en faire un mode de vie et pas seulement une lutte». Lui aussi pense que l’écotourisme est une véritable alternative, à condition d’être prêt à accueillir un certain nombre de touristes sans que les précieuses ressources naturelles s’en ressentent trop. «La nouvelle tendance mondiale est de limiter le nombre de touristes tout en se montrant plus exigeant sur la qualité, dit-il. Le tourisme de masse ne va pas sans risques, en effet : augmentation du volume d’eau utilisé et des déchets à gérer, possibilité d’une perte de l’identité si les populations locales se trouvent obligées de s’adapter à un flot croissant de touristes, pressions sur l’écosystème dues aux déplacements de ces groupes...». Selon M. Moussa, plusieurs destinations touristiques privilégiées, comme Chypre et Majorque, ont dû limiter le nombre de touristes à admettre en raison de problèmes écologiques comme le manque d’eau ou la gestion des déchets. Quel tourisme voulons-nous au Liban ? se demande-t-il. Interrogé sur l’impact potentiel sur l’environnement d’un tourisme de masse, M. Accaoui déclare : «Il faudrait placer notre conception du tourisme dans le cadre d’un développement durable et appliquer le concept “Construisez bio”. À titre d’exemple, pour exploiter une belle plage, il faut édifier un établissement. Or la construction tue la beauté vierge, mais il n’existe pas d’autre alternative. Cependant, il n’en reste pas moins possible de limiter les dégâts si le projet doit garder un sens». Un patrimoine vécu, pas recréé Toutefois, en termes d’écotourisme, de quel potentiel dispose encore le Liban malgré la dégradation de l’état de l’environnement ? «Nous avons toujours un potentiel remarquable, considère M. Accaoui, mais il faut préciser qu’avec la privatisation du littoral, notre principal capital, c’est la montagne». M. Abi Rached formule, pour sa part, quelques craintes : «Nous ne voulons pas que les traditions au Liban deviennent un musée, que les seules manifestations de ce type soient des recréations artificielles, comme un serveur portant l’habit libanais traditionnel au restaurant. Nous aimerions que le patrimoine soit ravivé et revécu dans son cadre naturel, que les villages où il existe toujours soient aménagés et les activités culturelles encouragées». Cet écologiste convaincu prône l’adoption de mesures qui, selon lui, encourageraient l’implantation de l’écotourisme tout en profitant à l’environnement en général. Parmi ces mesures, la création d’une taxe écologique payée par les touristes et dont ils sauraient à l’avance l’usage que l’on compte en faire (par exemple, telle somme servira à planter un arbre). Les timbres écologiques représentent une seconde solution et une source d’argent. Mais surtout, selon M. Abi Rached, il faut encourager les touristes, libanais ou non, à visiter autrement les régions, à se déplacer à pied ou en recourant à des moyens de transport traditionnel au lieu de s’en tenir à la voiture, à manger local au lieu de se diriger vers des restaurants commerciaux... Découvrir les régions libanaises autrement, tel est également l’un des objectifs de Greenline, comme l’explique M. Moussa. «Nous organisons des randonnées à but culturel en insistant sur les particularités de chaque région, raconte-t-il. À Arsal (Békaa) par exemple, nous avons muni les randonneurs de boîtes pour cueillir des cerises qu’ils payeront directement aux agriculteurs. Dans ce genre de sorties, nous déjeunons de spécialités locales. C’est un hobby coûteux mais de plus en plus apprécié». Mais les efforts de l’association écologique ne s’arrêtent pas là. «Nous essayons également de nous attaquer aux problèmes du tourisme dans le pays, poursuit M. Moussa. L’un d’eux est le déplacement, rendu très compliqué pour le touriste. Nous essayons de convaincre le ministre du Transport de créer un bus touristique qui, pour un tarif fixe, ferait le tour des principaux sites du pays». Par ailleurs, une autre idée proposée par Greenline consiste en la création d’un réseau reliant les hôtels de province pour en faire un circuit fréquenté. Parallèlement, une promotion de l’établissement mais aussi de sa région compléterait le travail. Dernier projet de Greenline : faire participer des élèves des classes terminales à la gestion des réserves déclarées, mais aussi des sites qui devraient l’être, selon l’association. En fait, il pourrait sembler, dans les circonstances délicates que traversent le pays et la région, que parler d’écotourisme et d’environnement est loin des préoccupations actuelles. C’est sans compter sur le fait qu’implanter un tel système ne se fait pas du jour au lendemain, que les dégâts écologiques sont généralement irréversibles, et qu’il serait dommage que le pays se réveille un jour en ayant perdu tous ses atouts. Sans compter aussi que remédier aux dégâts est tellement plus coûteux que de les éviter par des décisions judicieuses... Suzanne BAAKLINI
Pourquoi, quand on parle de tourisme, n’a-t-on que des chiffres plein la tête ? Pourquoi pas une couleur, le vert par exemple ? Ceci n’est pas une image. Le tourisme vert, écologique, l’écotourisme tel qu’il est appelé aujourd’hui, est la dernière tendance en la matière. Le Liban a-t-il un potentiel dans le domaine ? Certes, le couple tourisme-environnement, aussi...