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Actualités - BIOGRAPHIE

PORTRAIT - Le nouveau député Kataëb de Baabda défend l’alliance druzo-chrétienne L’assiduité et la constance finissent toujours par payer, n’est-ce pas Antoine Ghanem ?

Il y a quatre catégories de députés libanais. Au moins. Ceux, d’abord, les indémodables dirons-nous, presque élus d’office – même si parfois les grosses surprises ne manquent pas –, leur nom ou celui de leur père servant généralement de sésame-ouvre-toi. Il y a aussi ceux qui ont fait vœu d’allégeance aux grands décideurs, vœu de fidélité, ceux qui ont décidé de laisser à tous les vestiaires la moindre de leurs convictions. Également ceux qui se sont présentés sur une liste-bulldozer, une qui fauche tout sur son passage, ainsi sont-ils assurés, venant de nulle part, de pouvoir choisir, eux aussi, une plaque bleue. Il y a enfin ceux, tout aussi inconnus du Libanais lambda, et qui se sont constitués depuis de nombreuses années un électorat certain, de par leur travail au quotidien sur le terrain, de par leur constance. Ceux-là restent généralement dans l’ombre, à moins, justement, de faire partie d’une liste menée par un grand leader national et de profiter de circonstances particulières propres à chaque échéance électorale. Antoine Ghanem, nouveau député maronite Kataëb de Baabda, élu sur la liste de l’Union de la montagne parrainée par Walid Joumblatt, fait certainement partie de cette catégorie-là de députés – la moins fournie. Et la plus utile. Antoine Ghanem allume sa quatrième Vantage en cinq minutes et se cale dans son fauteuil en cuir de son étude d’avocat, à Furn el-Chebbak, en plein dans son «triangle de la résistance» qui relie à son village natal Aïn el-Remmaneh et Tahouitet el-Nahr. Antoine Ghanem a conscience de son travail bien fait, «pendant 25 ans, je sillonnais chaque rue, chaque quartier», pour lui, sa légitimité populaire est incontestable, et son besoin, compréhensible, de le dire et redire est fondamentalement touchant. Tout comme son besoin de parler, de commenter, d’analyser, de donner son avis, bref, de rentrer dans ce «jeu», tellement politicien et libanais, auquel s’amuse l’ensemble de la classe politique. Il n’y a aucun scoop dans ses déclarations, sauf que sa façon de dire les choses, son ton et son phrasé, reconnaissables entre mille, même si parfois monocordes, sont somme toute assez captivants. Antoine Ghanem est un homme modéré et un patriote. Un vrai. «Pas confessionnel : national !» Avec Antoine Ghanem, nous avons commencé par l’incontournable communiqué de Bkerké et toutes les réactions en chaîne qu’il a générées. «Le patriarche Sfeir a dû réagir à l’absence de toute réaction positive à la suite des discours qu’il tient depuis deux ans à propos de l’intégrité, de l’indépendance et de la libre décision du Liban. Il avait certainement des raisons valables de redire tout cela, en levant le ton et en bonne et due forme». Et ceux qui ont parlé de discours confessionnel font, tous, fausse route ? «Il n’y avait aucun confessionnalisme dans le communiqué des évêques, mais plutôt du nationalisme et nous aurions souhaité que les réponses que l’on a entendues soient, elles aussi, d’un niveau national». Quant à la pétition initiée par le député Marwan Farès, demandant l’abolition du confessionnalisme politique, Antoine Ghanem y voit une réponse aux questions soulevées par le patriarche maronite, «le Liban, par sa composition même, n’est pas prêt à appliquer cela, il faudrait des générations entières pour abolir le confessionnalisme politique, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a aucune intégration : le confessionnalisme est devenu sectarisme». Vous êtes pour cette abolition, vous ? La réponse d’Antoine Ghanem est simple, elle fuse presque : «C’est l’harmonie et la beauté du Liban. Et si cette abolition a lieu, tous les députés seraient d’une même communauté». La solution d’une fédération libanaise ? «Dans la conception musulmane, cela équivaudrait à la division du pays, et puis ce n’est pas dans l’intérêt du Liban, il ne faut pas créer un nouvel Israël. Et le plus grand ennemi des Libanais en général et des chrétiens en particulier, c’est Israël : de par leurs connexions avec l’Occident, l’intelligentsia chrétienne libanaise et l’intelligentsia juive sont plus que concurrentes...» Justement, par rapport à ce qui se passe aujourd’hui en Israël et dans les territoires occupés... «Arafat a joué cavalier seul, voilà la principale raison. Quant aux opérations de commandos, elles ne génèrent que des champs de ruines au Liban-Sud. L’État y est militairement affaibli et la Syrie n’est apparemment pas prête à aider. Israël ne peut pas accepter cinq millions d’habitants à ses côtés, son but ultime c’est l’implantation des Palestiniens au Liban. Cela créerait un déséquilibre démographique et politique flagrant, alors qu’en Syrie, c’est tout à fait possible : avec 20 millions d’habitants, ils peuvent en intégrer 200 000...» Pas de Kataëb sans cheikh Amine Le nouveau – d’aucuns disent le vrai – Joumblatt est arrivé, qu’en pense-t-il, Antoine Ghanem ? «J’ai confiance en son programme, en ses idées, il a prouvé qu’il était un vrai leader pour sa communauté et rien ne peut lui être reproché sur le plan national. L’alliance druzo-chrétienne est tout sauf une alliance contre-nature, ces deux communautés peuplent la montagne, elles doivent ainsi se comprendre et faire en sorte de vivre comme vivaient leurs ancêtres, il faut essayer de tourner la page sanguinaire, il faut que tous les déplacés réintègrent leurs foyers. Et puis pourquoi cette alliance ne s’élargirait-elle pas à tous les courants musulmans ?» La question se pose, en effet... Antoine Ghanem est un phalangiste pure souche, et depuis 42 ans, c’est un «gemayeliste» convaincu. «La famille Gemayel est la base du parti sans laquelle les Kataëb, qu’on le veuille ou pas, ne peuvent pas démarrer. Tous les chrétiens ne sont pas phalangistes, certes, mais tous ont besoin d’un parti fort qui puisse défendre leurs idées, des idées nationales !» Qu’en est-il du leadership chrétien aujourd’hui, qui donc l’incarne ? Le patriarche Sfeir ? «Certainement, même si ce n’est pas dans les prérogatives d’un leader religieux». Qui d’autre ? «Cheikh Amine, sûrement, le président Lahoud aussi – son heure n’est pas encore arrivée...» D’où, CQFD, pour réconcilier tous les chrétiens, il faut que les Kataëb retrouvent un leadership : «Le président Gemayel souhaite une réconciliation générale au sein du parti et qui préserverait la dignité de tout le monde». Vous souhaitez que le président Gemayel prenne la tête des Kataëb, c’est ça ? Antoine Ghanem manie très bien l’art de «l’understatement» : «Il ne peut pas y avoir de parti sans cheikh Amine». C’est dit... Comment le conçoit-il, le futur gouvernement, et quelles devront être ses principales priorités ? «Économiquement, le Liban a besoin d’un miracle et Hariri est sans doute plus qualifié que les autres. Quant au nouveau Cabinet, il se devra d’être un gouvernement de pacte national, et que les ministres chrétiens qui y siègeront soient représentatifs». Dans le cadre de Taëf ? «Absolument. Je ne peux pas concevoir ce futur gouvernement sans les Kataëb, le Bloc national ou des chrétiens indépendants et représentatifs». Un bilan pour l’équipe Hoss ? «L’échec est total, sauf concernant le retrait israélien, dont les retombées sont très positives pour le général Lahoud». Ce dernier pourrait-il s’entendre, en tout cas à long terme, avec Rafic Hariri ? «Ils sont obligés de s’entendre, pour le Liban, et que tout se fasse dans le cadre des institutions». Élémentaire, mon cher Watson... 25 ans de terrain et la gratitude Revenons un moment sur les élections et la faible participation chrétienne, notamment dans votre fief, à Furn el-Chebbak. «Les chrétiens étaient persuadés que les jeux étaient faits d’avance, que la liste sur laquelle figurait Élie Hobeika allait, dans tous les cas, triompher». Vos électeurs ont accepté ce mariage Kataëb-PSP ? «Oui, c’est clair, et j’avais avec moi, pour moi, tous les sympathisants PNL, FL ou aounistes, je me suis constamment mis au service de leurs préoccupations, j’ai toujours plaidé pour le retour du général Aoun, la libération de Samir Geagea...» Comment définit-il le rôle d’un député libanais, Antoine Ghanem ? «Au Liban, malheureusement, il ne joue pas son rôle. Impossible de changer un gouvernement par le biais du Parlement, par exemple, on ne verra jamais une motion de censure aboutir, le Parlement libanais est une Chambre sous influence. Certes, en apparence, le député légifère, contrôle aussi, mais il faut voir les résultats, non ? Dans tous les cas, le député libanais est obligé de rendre des services, de faire tout le travail qu’est censée exécuter une Administration...» Qu’est-ce qu’il a ressenti la première fois qu’il est entré au Parlement ? «C’était comme si je rentrais à l’école pour la première fois, mais je suis avocat pénal depuis 32 ans, je m’habituerais donc très vite, en fait, il n’y a que la procédure qui change...» Impressionné par la mise en scène, tout le tralala, les projecteurs, les hordes de journalistes ? «À la base, je suis un orateur, toute cette mise en scène et tous ces projecteurs ne me dérangent pas, ne m’intimident pas. En plus, je possède parfaitement ma langue arabe...» Antoine Ghanem allume sa 120e Vantage, expire longuement, répète encore et encore que cela fait plus de 25 ans qu’il «bûche sur le terrain, au détriment de (sa) famille», rappelle qu’il était responsable des Phalanges pendant la guerre, à Baabda-Aley, ancien chef régional du parti à Baabda. «Donc à votre question concernant mes occupations pendant mes temps morts ou mes loisirs, je n’ai qu’une seule réponse : je n’ai jamais eu de temps mort, jamais, que ce soit moi-même ou, surtout, ma famille, tout passait au second plan». Toufic a 23 ans, il est le cadet des trois enfants d’Antoine et de Lola Ghanem (elle est laborantine à la FFM). Il vient de rentrer dans le bureau de son père, impossible de ne pas lui demander sa réaction, un certain dimanche 27 août, tard dans la nuit... «C’était comme dans un rêve. J’étais persuadé qu’au Liban, on ne pouvait pas devenir député sans argent, sans “matériel”...» Vous pensez que votre père va changer – sa façon d’être, de penser, de réagir, maintenant qu’il va siéger place de l’Étoile ? La réponse de Toufic est un cri du cœur : «Non, je ne crois pas». Et vous, Antoine Ghanem ? «Je pense que je vais être encore plus modeste qu’avant, je sais ce que m’ont coûté ces 25 ans de labeur, de jour comme de nuit. Et vous savez, ces voix chrétiennes, toutes fractions confondues, c’est presque un fardeau. Parce que la responsabilité est énorme». Antoine Ghanem est un homme bien : sa gratitude est énorme. Que ce soit pour le président de la municipalité de Furn el-Chebbak ou, surtout, pour ses habitants, ainsi que ceux de Aïn el-Remmaneh ou de Tahouitet el-Nahr. «Un mot pour eux : merci». Les hommes politiques, quels qu’ils soient, qui se souviennent de ceux qui les ont élus, sont une espèce en voie de disparition. Antoine Ghanem a au moins le mérite d’appartenir à la catégorie de ceux qui ont bonne mémoire. Ziyad MAKHOUL
Il y a quatre catégories de députés libanais. Au moins. Ceux, d’abord, les indémodables dirons-nous, presque élus d’office – même si parfois les grosses surprises ne manquent pas –, leur nom ou celui de leur père servant généralement de sésame-ouvre-toi. Il y a aussi ceux qui ont fait vœu d’allégeance aux grands décideurs, vœu de fidélité, ceux qui ont...