THÉÂTRE - Au programme du Monnot, en février 2001 Grand moment avec « Littoral » de Wajdi Mouawad et la Compagnie « Ô Parleur »

Administratrice de la Compagnie canadienne de théâtre «Ô Parleur», Lucie Janvier a effectué une visite de reconnaissance à Beyrouth pour préparer la venue de la pièce «Littoral» de Wajdi Mouawad, programmée pour février 2001 au théâtre Monnot. La Compagnie Ô Parleur a été fondée il y a 10 ans, à Montréal, par Wajdi Mouawad, jeune auteur et acteur canadien d’origine libanaise, et Isabelle Leblanc. Wajdi Mouawad – dont on entend beaucoup parler depuis quelques années – a donc fait ses «premiers pas» dans cette compagnie, où il a présenté la plupart de ses spectacles, dont Littoral, en 1996, qui a obtenu un très grand succès critique et populaire. Depuis bientôt un an, Mouawad a été nommé directeur artistique du Théâtre des Quatre sous à Montréal. Il a donc officiellement quitté Ô Parleur, mais reste en réalité très proche de cette Compagnie qu’il a lui-même fondée, et qui d’ailleurs continue et continuera d’exploiter les spectacles qu’il a écrits et mis en scène. Ô Parleur a fonctionné pendant près de quatre ans, sous la direction de ses deux codirecteurs artistiques, Mouawad et Leblanc. Mais après trois spectacles, ces derniers ont décidé de prendre une pause, qui a duré deux ans. C’est à la suite de cette pause, en 1996, que Lucie Janvier a intégré la compagnie. «Le premier spectacle que nous avons créé à trois a été Littoral, et l’on peut dire que c’est depuis cette pièce que la compagnie a vraiment pris un sens important et qu’elle se fait de plus en plus une place de choix dans le paysage théâtral à Montréal, indique Janvier. Ô Parleur a aujourd’hui une position assez enviable, parce qu’étant une très petite structure, elle a beaucoup de libertés. Nous n’avons pas de lieu fixe, nous nous déplaçons au gré des spectacles». Et d’insister sur le fait qu’«il est un peu difficile de faire la différence entre le Théâtre Ô Parleur et Littoral, parce que c’est vraiment avec ce spectacle-là que la compagnie a pris son sens». Littoral est une idée originale de Wajdi Mouawad et Isabelle Leblanc, qui ont beaucoup discuté de ce qu’ils avaient envie de dire, et aussi de ce qu’allait devenir la compagnie qui se redéfinissait en même temps que la pièce était créée. Moawad a écrit le texte et a signé la mise en scène, tandis que Leblanc interprète un des personnages. Lucie Janvier se souvient bien des conditions dans lesquelles Littoral a vu le jour. «Nous avions envie de monter un spectacle, mais nous n’avions pas d’argent au départ. Pour pouvoir économiser nos sous, il a fallu changer de locaux de répétition à plusieurs reprises. Nous avons fouillé dans les garde-robes des uns et des autres pour récupérer des costumes. La pièce a été créée avec 8000 dollars canadiens. C’est avec le temps qu’elle a évolué et grandi. Au mois de juin 2000, nous avons repris Littoral à Montréal pour la troisième fois, et nous avons fêté la 122e représentation de ce spectacle qui est devenu le Théâtre Ô Parleur en fait, parce qu’il traduit bien l’esprit dans lequel nous avions envie de travailler et que nous essayerons de garder toujours». Après une tournée mondiale (Québec, France, Belgique et Italie), c’est à Beyrouth que le rideau tombera définitivement sur Littoral . Mouawad sur scène L’histoire de Littoral est celle d’un jeune homme qui décide d’aller enterrer son père dans son pays natal. «Venir jouer cette pièce au Liban revêt un sens particulier pour nous, et surtout pour Wajdi Mouawad», souligne Lucie Janvier. «Car c’est un peu comme si, après 122 représentations, nous venions enterrer la pièce ici, pays natal de l’auteur». Le public libanais aura aussi la chance de voir Wajdi Moawad sur les planches, du moins pour une partie des représentations, en remplacement d’un acteur. «Cela aussi fait de cette aventure quelque chose d’assez exceptionnel, puisqu’elle se termine en famille, comme on l’avait souhaité, en présence de l’auteur, disant quelques mots sur scène», ajoute l’administratrice d’Ô Parleur. L’auteur, qui n’a jamais joué à Beyrouth, ni présenté de spectacles. Les huit acteurs de Littoral se produiront 12 fois sur la scène du Monnot, à partir du 3 février. Par ailleurs, des négociations sont en cours avec d’autres pays de la région (notamment la Syrie, l’Égypte et Chypre) qui, ayant appris que Littoral serait jouée à Beyrouth, se sont précipités pour le demander également. Littoral a été créée en 1997 au «Festival des Amériques» à Montréal. La pièce a également été présentée à Bruxelles, à Chambéry et à Rome, mais c’est à travers le Festival de Limoges 1998 «Les francophonies en Limousin» qu’elle s’est vraiment fait connaître, jusqu’à devenir une référence, voire même un monument. «Wajdi Mouawad connaissait déjà le Festival de Limoges, où il avait présenté une première pièce pour enfants, Alphonse, et où il avait fait une “résidence d’écriture”», note Lucie Janvier. «Il y avait donc déjà une relation d’amitié entre lui et l’équipe». Mais le soir de la première de Littoral, «nous avons été littéralement agressés par certains diffuseurs qui voulaient qu’on revienne jouer dans leurs théâtres», raconte-t-elle. «Nous étions très contents d’être là et ravis de la réaction de tous. Nous ne pensions pas que ce spectacle pouvait avoir un impact pareil sur le public. Nous avons même été dépassés par les événements». C’est ainsi que le Festival de Limoges a proposé à la compagnie de prendre en charge la logistique pour une tournée de la pièce en France. En 1999, pendant presque 3 mois, Littoral a été jouée 36 fois dans 16 villes de France. «Le festival est devenu notre ami, notre collaborateur, et nous avons développé une grande relation de complicité», indique Janvier. La tournée française s’est clôturée en beauté à l’été 99, au Festival d’Avignon. Pour le public comme pour la compagnie Ô Parleur, Littoral est un spectacle d’exception. «C’est le sens de notre compagnie, du regroupement autour d’une troupe», insiste Lucie Janvier. «Je ne crois pas que nous réussirons à refaire un autre spectacle comme celui-là. Cela n’arrive qu’une fois». Raison de plus pour ne le rater sous aucun prétexte. Natacha SIKIAS