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Actualités - REPORTAGES

REPORTAGE - Le calme du Sud tranche avec l’effervescence dans les camps palestinens De Fatmé à Aïn el-Héloué, un seul vœu : la poursuite de l’intifada

Libanais et Palestiniens boudent la frontière avec Israël et la pluie n’en est pas la seule cause. Pour la première fois depuis la libération, les civils ne sont pas venus en masse à la porte de Fatmé et aux positions de Tall Abbad, de Tabrikha et Ramié. En cette période de troubles, la ligne bleue jouit d’un calme étrange, une sorte de trêve avant la tempête. D’ailleurs, soldats libanais et membres du Hezbollah font tout pour empêcher les visiteurs de s’attarder sur les lieux. Ils ne veulent pas qu’un incident détourne l’attention générale de la récente prise d’otages par la Résistance et de l’intifada dans les territoires occupés. La carte libanaise doit rester pour l’instant un atout de réserve dans le terrible jeu qui secoue le Proche-Orient. Depuis le retrait israélien le 24 mai dernier, les positions les plus proches de la frontière sont régulièrement prises d’assaut par les citoyens avides de voir un peu de ce pays longtemps terrifiant. Mais ce week-end, il n’y avait presque personne à Fatmé, Tall Abbad, Tabrikha ou Ramié. Quelques Sudistes nostalgiques des jours bénis de la libération et de rares émigrés de passage à Beyrouth, désireux de participer à la gloire des derniers mois. À Nakoura, la Sûreté générale a installé un poste d’observation à quelques mètres de la grille tenue par les Israéliens. En principe, il s’agit de vérifier les papiers de ceux qui entrent et sortent par cette frontière, mais comme à part les ex-miliciens retournant au pays personne ne passe, la Sûreté générale n’a pas grand- chose à faire, son rôle essentiel étant de vérifier les noms des soldats et officiers de la Finul qui font la navette entre Israël et le Liban, depuis que selon certaines sources de sécurité libanaises, elle a découvert que des officiers israéliens s’infiltraient au Liban avec les Casques bleus. L’abcès de fixation… Au loin, deux points gris dans la mer agitée : deux vedettes israéliennes qui surveillent les côtes libanaises. Selon un élément de la sécurité libanaise, elles sont là depuis l’enlèvement des trois soldats israéliens il y a dix jours. Pour les Libanais, il n’est pas question de tirer sur elles, même si elles entrent dans les eaux territoriales libanaises, car le principal mot d’ordre est d’éviter toute provocation et tout incident avec Israël. C’est vrai pour les autorités libanaises qui ne veulent pas que leur pays redevienne l’abcès de fixation de la région, surtout à l’heure des tournois de la Coupe d’Asie de football, mais c’est aussi vrai pour le Hezbollah qui ne veut pas être entraîné dans un dérapage incontrôlé et pour les Palestiniens qui ne veulent pas détourner l’attention générale de ce qui se passe dans les territoires palestiniens. D’ailleurs, à la porte de Fatmé, tous les tréteaux vendant des souvenirs, des friandises et des portraits de sayyed Hassan Nasrallah ont été enlevés. L’endroit, transformé récemment en promenade obligée de tous les amateurs de sensations fortes, n’est plus qu’une route crevassée et déserte, longeant la frontière. Le ministère des Travaux publics a d’ailleurs projeté de l’asphalter et des membres du Hezbollah en civil découragent les citoyens de s’y aventurer pour l’instant. Même spectacle à Tabrikha et à Ramié, les deux points où la frontière israélienne est accessible. Des deux côtés, pas âme qui vive, excepté quelques journalistes en quête d’un événement. Un vendeur de café et de rafraîchissements plie son kiosque, les clients boudant les lieux. Le Sud libéré retombe dans la routine du quotidien. Ces jours-ci, il ne fait plus l’actualité. Et si le Hezbollah a récemment enlevé un ressortissant israélien à l’étranger, c’est justement pour épargner des représailles au Sud, tout en montrant l’ampleur de ses moyens. Des camps survoltés L’actualité aujourd’hui, c’est plutôt du côté palestinien qu’il faut la chercher, notamment dans les camps survoltés où jeunes et vieux sont plantés devant leur poste de télévision fixé sur la chaîne palestinienne sur satellite. Ils ne veulent perdre aucune miette de ce qui se passe là-bas et en regardant les images retransmises par la chaîne, ils passent sans cesse de la révolte à la douleur mélangée à une immense fierté. Les oubliés des accords d’Oslo renouent enfin avec leur terre et se sentent impliqués dans le combat pour Jérusalem et pour le droit au retour. Après les années d’exclusion, ils redécouvrent une identité et le rêve palestinien qui se nourrit de sang reprend vie. Jeunes et vieux, ils sont tous unanimes : il faut que l’intifada se poursuive, les Israéliens, selon eux, ne comprenant que ce langage. Les Palestiniens du camp de Aïn el-Héloué sont tous prêts à mourir pour leur terre, que, depuis deux semaines, ils ne sentent plus si lointaine. Ils ont même repris confiance en Yasser Arafat, jadis qualifié de traître. Mais leur grande angoisse est qu’il puisse céder aux pressions américaines à Charm el-Cheikh. Le chef des milices du Fateh au Liban, le colonel Mounir Maqdah, est convaincu, de son côté, que le sommet de Charm el-Cheikh n’a aucune chance de réussir. Selon lui, le détournement de l’avion séoudien et l’enlèvement du colonel de réserve israélien ainsi que l’attentat du Yémen ne sont que des messages adressés au sommet prévu : pas question de faire la moindre concession de la part des Palestiniens. Ahmed, un officier du Fateh, est encore plus explicite. Selon lui, deux options totalement opposées s’affronteront à Charm el-Cheikh : la volonté américano-israélienne d’aboutir à une trêve pour se donner le temps de contrôler de nouveau les régimes arabes actuellement ébranlés par la pression populaire et la volonté palestinienne de poursuivre l’intifada jusqu’à obtenir d’importantes concessions de la part d’Israël. Pour les Palestiniens de Aïn el-Héloué, le plus important est de continuer la pression sur le terrain. Sinon, les 100 morts et les quatre mille blessés auront été des victimes inutiles. Ahmed est convaincu que si le mouvement se poursuit, les Jordaniens et les Égyptiens ne pourront plus contrôler leurs propres populations et devront ouvrir leurs frontières aux actions de résistance. Sinon, Ahmed est convaincu qu’Israël profitera de la trêve pour préparer une attaque de grande envergure contre le Liban, notamment les collines stratégiques sur la route de Damas de façon à dissocier le Liban de la Syrie et à porter un coup fatal au Hezbollah. Maqdah est aussi convaincu que le Hezbollah est devenu une cible essentielle pour Israël. «Depuis que la télévision Al-Manar diffuse sur satellite et est captée en Palestine, elle pose un véritable problème aux Israéliens qui veulent à tout prix la détruire tant elle donne du punch aux Palestiniens». Toutes allégeances confondues, les Palestiniens du Liban semblent aujourd’hui plus unis qu’ils ne l’ont jamais été. Tous ont les yeux et le cœur en Palestine et veulent à tout prix aider leurs frères là-bas, sans compromettre leur situation au Liban. Que Yasser Arafat, jadis l’ennemi à abattre, en tire le principal profit puisqu’il sort renforcé de cette intifada, leur importe peu. Ce qui compte, c’est que pour la première fois depuis longtemps, ils sentent que les choses bougent dans le bon sens. «La précédente intifada a duré huit ans, déclare le colonel Maqdah, et a abouti à la création de territoires autonomes divisés et affaiblis. Celle-ci devrait aboutir à un État palestinien sur un territoire unifié avec Jérusalem pour capitale». L’essentiel est que les Palestiniens de l’intérieur tiennent bon. Mais pour cela, il leur faut de l’argent puisqu’ils sont sans travail. «C’est pourquoi, affirme Oussama, un Palestinien du camp, le sommet arabe devra nous accorder des fonds. Nous ne leur en demandons pas plus». Le formidable élan de solidarité des populations dans le monde arabe n’est pour eux qu’une suite logique de l’intifada et de la politique partiale des Américains dans la région. «Le processus du réveil des populations arabes a commencé, commente le colonel Maqdah. Désormais, tous les intérêts américains dans la région seront menacés. La prochaine étape sera celle des bombes humaines… » Pour ces Palestiniens qui se sont longtemps considérés comme les exclus du processus d’Oslo, ce qui se passe maintenant est la confirmation de la justesse de leurs convictions. «Aujourd’hui, explique l’un d’eux, les Israéliens doivent faire face à trois problèmes essentiels : le mythe de l’intégration des Arabes israéliens (ceux de 1948) est tombé. De même, ils doivent affronter le problème des Arabes de 67 et le Hezbollah libanais. La coexistence est devenue pratiquement impossible et ils doivent donc revoir leurs plans puisque même affaiblis, divisés et privés de ressources, les Palestiniens sont encore capables de réagir de la sorte. La seule solution, pour eux, est de les pousser à l’exode. C’est ce à quoi, avec l’aide des Américains, ils vont s’employer. Et nous, nous devons nous opposer à leurs projets. Au moins, maintenant, les choses sont claires… » Pour la première fois depuis longtemps, un vent d’optimisme souffle sur le camp de Aïn el-Héloué. Rasé en 1982 lors de l’invasion israélienne, ce camp a repris difficilement vie, sans cesse montré du doigt par les Libanais. Mais aujourd’hui, il n’est plus qu’un immense cœur qui bat avec la Palestine, ce rêve que certains croyaient oublié. Scarlett HADDAD
Libanais et Palestiniens boudent la frontière avec Israël et la pluie n’en est pas la seule cause. Pour la première fois depuis la libération, les civils ne sont pas venus en masse à la porte de Fatmé et aux positions de Tall Abbad, de Tabrikha et Ramié. En cette période de troubles, la ligne bleue jouit d’un calme étrange, une sorte de trêve avant la tempête....