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Actualités - DOCUMENT

HISTOIRE - Même esprit d’entreprise et d’aventure mais dans un autre équilibre de forces et sous d’autres fois et lois Sur les routes phéniciennes, les Arabes mille ans après

Les musulmans contribuèrent à répandre la civilisation greco-arabo-latine : avec le même esprit d’aventure des Phéniciens, et sur leurs propres centres et bases. La civilisation arabo-islamique a vu celles qui l’ont précédée tantôt avec l’optique religieuse qui opposait la «barbarie» ou la non-croyance à la foi de l’islam, tantôt avec une véritable curiosité culturelle, qui est consciente et qui apprécie les valeurs historique même avant et en dehors de la vraie foi. Ainsi, la civilisation de l’Ancienne Égypte, de la Mésopotamie, de la Perse et de l’Inde (pour cette dernière la grande œuvre d’al-Biruni est célèbre), ils l’ont eue en langue arabe et dans la société et la culture islamiques, appopriées, même si elle comprend des lacunes et si elle est traitée parfois avec déformation ; chose qui s’explique aussi par le fait que, plus d’un historien et géographe médiéval en arabe remontait, de par son origine ethnique, à ces mêmes civilisations prémusulmanes. Parmi elles, naturellement, est incluse la civilisation phénicienne, dont le souvenir revient aujourd’hui parmi nous avec plus d’acuité mais une connaissance claire de cette civilisation, et de la part qu’elle a eu dans l’histoire du monde antique, il est assez rare de la retrouver dans les sources historiques arabes, qui pourtant distinguent bien les phases perse, babylonienne et hellénistique dans leurs tableaux de civilisation préarabe et prémusulmane. L’aventure sémitique spéciale dans la Méditerranée, personnifiée par les Phéniciens et par leur expansion commerciale, avec leur pénétration en Occident et l’empire carthaginois, se reflète faiblement dans les «tables des peuples» que nous offrent des œuvres telles que les Prairies d’or d’al-Masudi (Xe siècle) et les Classes des Gens de Said al-Andalusi, historien de la civilisation et de la culture arabo-hispaniques du XIe siècle. L’historien moderne ne peut pas ne pas être frappé d’une telle affinité entre les deux expansions méditerranéennes du sémitisme, la phénicienne du premier millénaire avant notre ère, et l’arabe du premier millénaire suivant. Le théâtre de l’une et l’autre est la Méditerranée, dans le bassin de laquelle se déroule toute l’aventure phénicienne, tandis que l’arabe en remplit la branche occidentale, débordant en même temps à l’Est également, vers l’Asie centrale et jusqu’à l’Extrême. Une autre différence essentielle entre les deux phénomènes, c’est que le phénomène phénicien fut essentiellement de nature commerciale, et en second lieu religieuse et culturelle, tandis que l’arabe s’est développé sous le signe d’une nouvelle foi religieuse et est resté tel quel pour tout le cours de son histoire, quoique portant avec soi des éléments économiques, artistiques et culturels. Les navires phéniciens qui orientèrent la proue vers l’Occident étaient poussés par la soif d’un bénéfice matériel et non par Melkart ou une autre divinité de ce panthéon sémitique ; tandis que la foi en Allah et l’adoption du livre sacré comme guide, a donné souffle à la diaspora arabe vers l’Orient et l’Occident avec, bien entendu, la volonté de dominer et de constituer des butins, cette volonté exprimée par un historien dans le binôme de «butin et guerre sainte» (le jihad, qui a acquis de nouveau aujourd’hui une telle actualité dans le turbulent monde arabe actuel). L’irrésistible poussée arabe du VIIe siècle se suit en mouvement sous cette double exigence, de propagande religieuse et d’impérialisme arabe ; mais force nous est de noter, que cette poussée, sur le versant méditerranéen, suivit dans une large mesure les directives de l’expansion phénicienne antérieure de plus d’un millénaire. Étrangers à la mer et l’ayant d’abord en horreur, les Arabes en découvrirent à l’improviste les exigences et les hasards dans la première phase de leurs conquêtes. Le premier contact avec la mer eut lieu pour les Arabes en Syrie, et justement sur la côte phénicienne à Beyrouth même. Au génial Muawiya, gouverneur de la province conquise et futur calife, chef de la dynastie des Omayyades, on doit la création de la première flotte de guerre de l’empire arabe, avec laquelle il se lança sur les voies de la Méditerranée. La prévoyance de Moawiya pour le développement de l’empire de l’islam sut tirer profit de la tradition maritime locale, qui remontait, à travers Byzance, Rome et les Seleucides, à la thalassocratie phénicienne, si lointaine mais non oubliée ; les descendants de ces Phéniciens étaient les maîtres-ouvriers qui armèrent les premières flottes méditerranéennes de l’islam. La grande victoire navale de Phoenix sur la côte de Lycie, arrachée par les Arabes aux Byzantins, inaugura la nouvelle phase de domination arabe sur le mare nostrum de Rome (une domination qui, selon Pirenne, marqua la véritable fin du monde antique). Ensuite, la pénétration maritime alla de pair pour les Arabes avec l’avance terrestre vers l’Occident. La Sicile et la Sardaigne, autrefois bases et entrepôts phéniciens, furent plus ou moins solidement incluses dans l’œcuménisme musulman, et la Péninsule Ibérique devint pour cet œcuménisme, comme autrefois pour les Phéniciens, le point extrême d’implantation. Sur ces routes, sur ces côtes, notre Moyen Âge vit s’implanter cette société méditerranéenne, greco-arabo-latine, étudiée de nos jours par Goitein sur des documents d’Égypte, et dépassant dans les trafics toute division ethnique et confessionnelle. Ainsi reprenait vie, à plus d’un millénaire de distance, l’esprit d’entreprise et d’aventure des Phéniciens, dans un autre équilibre de forces et sous d’autres fois et lois.
Les musulmans contribuèrent à répandre la civilisation greco-arabo-latine : avec le même esprit d’aventure des Phéniciens, et sur leurs propres centres et bases. La civilisation arabo-islamique a vu celles qui l’ont précédée tantôt avec l’optique religieuse qui opposait la «barbarie» ou la non-croyance à la foi de l’islam, tantôt avec une véritable curiosité...