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Actualités - OPINION

L’appel du vide

 «Unpresidented» : le titre barre la couverture de l’hebdomadaire «Time» comme un constat – dépoussiérée par le plumeau yankee, la langue anglaise vous a de ces raccourcis… –, celui d’une situation qui, après avoir surpris, fait sourire, parfois ricaner le pays, et avec lui l’univers entier. Eh oui ! Plus de trois semaines après le scrutin du 7 novembre, les Américains en sont encore à guetter le nom de leur futur chef, quelque part entre un bulletin mal troué au fond de l’urne d’un vague comté de Floride et l’addenda à un article de la Constitution. Cela, semble-t-il, qu’il soit vendeur de voitures d’occasion, gourou à Wall Street ou même «blue collar», l’Américain n’en a cure. Plus important à ses yeux est la persistance de cette étonnante croissance économique ininterrompue depuis neuf ans et qui devrait afficher cette année le taux enviable de 5%. Ce désintérêt pour la politique, un maître de forges sud-coréen l’exprimait fort bien l’autre jour : «Ce n’est, disait-il réaliste, qu’un président que l’on change, non pas Alan Greenspan». Dès lors, peu lui chaut à l’homme de la rue que l’emporte demain George W. Bush ou Al Gore si les taxes peuvent baisser, l’assurance médicale coûter moins cher et la technologie de pointe retrouver un souffle nouveau. Comment donner tort à l’opinion publique, lasse de toutes les vaines joutes dont elle est presque malgré elle témoin, quand l’issue de cette bien étrange consultation dite populaire – alors qu’il appartient à une poignée de 271 décideurs de se prononcer au nom de l’ensemble du corps électoral – se joue devant les tribunaux et que les deux candidats, d’hommes politiques, se muent en plaideurs ? On aurait tort cependant de se gausser d’une situation qui aurait fait les joies, en d’autre temps, des chansonniers, tant il est vrai que ce qui est mauvais pour les États-Unis l’est aussi pour le reste de notre pauvre planète. A peine oubliées les galipettes clintono-lewinskiennes, point si méchantes, nous voici tous ensemble, pour cause de non-présidence, plongés dans une situation que n’aurait osé imaginer Kafka lui-même. Déjà à la suite d’un scandale qui, somme toute, n’en était pas un – ou si peu – l’aigle américain, alors même qu’il apparaissait comme le fier symbole de l’unique surpuissance, avait commencé à perdre quelques plumes dans le ciel de Bosnie, puis au Kosovo, en Afrique, dans une moindre mesure au sein des pays latins. Au Proche-Orient plus récemment, le résultat de cette baisse d’influence, on le constate plus douloureusement dans la débâcle du processus de paix et dans les bouleversements qu’elle entraîne en Israël mais aussi dans nombre de pays de la région. Ou encore à maints signes qui ne sauraient tromper : ici, retour en force des mouvements disons point très pro-occidentaux à la faveur de législatives ; là, difficulté à imposer un ordre nouveau, à défaut carrément d’une pax americana. A l’orée d’un XXIe siècle que l’on nous annonçait riche de promesses à venir de l’horizon outre-Atlantique, voici que nous nous retrouvons embarqués dans l’ère des plus inquiétantes turbulences. D’autant plus inquiétantes et redoutables que sur le Vieux Continent, la Russie a définitivement renoncé à chausser les bottes de l’ancienne Union soviétique; que l’Europe – à quinze aujourd’hui et demain à vingt et un – ne parvient pas à chasser ses vieux démons isolationnistes et traîne comme un boulet cet euro un peu plus exsangue chaque jour ; que d’autres comme l’Allemagne ou bien le Japon (bientôt la Chine ?) ne font pas le poids. Notre monde ainsi mis sous vide risque de voir, s’il ne le constate déjà, l’émergence de ce que l’on pourrait appeler des sous-puissances régionales qui prétendent à jouer un rôle à une échelle immanquablement réduite et donc forcément brutale, car elles n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Avec les risques inhérents à une telle aventure : accélération d’un processus de perte d’une identité souvent chèrement acquise et ralentissement du passage à l’état adulte du pays ainsi placé sous coupe réglée, effet boomerang au plan économique surtout, etc. Au lendemain du scrutin présidentiel, Bill Clinton notait, un rien amusé : «Le peuple s’est prononcé. Mais il faudra quelque temps encore pour savoir ce qu’il a dit». Quel Alexis de Tocqueville pourra-t-il le dire ? Et dire les dangers d’un décryptage mal opéré ?
 «Unpresidented» : le titre barre la couverture de l’hebdomadaire «Time» comme un constat – dépoussiérée par le plumeau yankee, la langue anglaise vous a de ces raccourcis… –, celui d’une situation qui, après avoir surpris, fait sourire, parfois ricaner le pays, et avec lui l’univers entier. Eh oui ! Plus de trois semaines après le scrutin du 7 novembre, les...