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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Le ministre de l’Intérieur évoque ses projets pour la première fois Élias Murr : « Qu’on me juge sur mon travail »

Le ministre de l’Intérieur est un homme de parole. Sollicité il y a un an, il s’était poliment excusé, promettant toutefois d’accorder sa première entrevue à «L’Orient-Le Jour». Aujourd’hui, c’est chose faite. Poli, mais déterminé, l’homme répond calmement à toutes les questions, sans consulter un conseiller en image. Il ne se sent nullement encombré par l’ombre de son père, «ce super ministre», devenu sous les attaques de l’opposition une sorte de repoussoir du régime. Élias Murr défend Michel lorsqu’il l’estime nécessaire, mais ne se présente nullement comme un esprit vengeur. «Je n’ai pas de rancune, dit-il. Et je souhaite qu’on me juge sur mon travail». Et, du travail il compte en accomplir, ayant déjà plein de projets pour ce ministère difficile… Tout autre qu’Élias Murr aurait pu se sentir découragé par la succession d’événements qui ont marqué ses premières semaines à la tête du ministère de l’Intérieur : l’incident entre le député Antoine Haddad et le fils de Nassib Lahoud, l’incendie de Dora, l’effondrement des immeubles à Naamé et l’ouverture tonitruante du dossier des écoutes téléphoniques. Mais le nouveau ministre de l’Intérieur pense au contraire que cette «série noire» lui a permis de faire ses preuves en imposant son style : le respect de la loi, le calme, la discrétion et la rapidité. Dans le premier incident, il a agi selon sa conscience, en appliquant la loi qui exige des mesures disciplinaires à l’encontre du garde du corps, membre de la Sûreté de l’État qui a tiré sur la voiture du fils du député, avant de déférer le dossier devant la justice. On connaît sa réaction rapide dans l’incendie de Dora et dans le drame de Naamé. Pour les écoutes, le jeune ministre s’est contenté de demander l’application de la loi : c’est-à-dire de placer les chambres d’écoute sous le contrôle technique du ministère de l’Intérieur, tout en réclamant un détecteur pour pouvoir déterminer les parties qui font de l’écoute et neutraliser leurs appareils. «À ce moment, nous dresserons la liste des personnes placées sur écoute, soit sur demande du procureur pour des raisons judiciaires soit sous contrôle du ministère pour des raisons de sécurité, qu’il s’agisse de réseaux de drogue, ou d’espionnage. Cette liste sera communiquée au président du Conseil, conformément à la loi». Selon M. Murr, il n’y a actuellement pas d’écoutes dans son ministère, mais il espère que cette affaire sera réglée d’ici à deux semaines, notamment au cours de la prochaine réunion parlementaire consacrée à ce sujet. Ayant effectué une formation de droit international et P-DG d’un important holding dont la plupart des sociétés sont établies en Suisse, Élias Murr aborde le plus épineux des dossiers sans passion. Rien ne semble l’effrayer et surtout pas la conscience d’avoir commencé sa carrière politique par la fin. «Devenir ministre de l’Intérieur est le plus haut poste auquel peut aspirer un grec-orthodoxe. Or, c’est par cela que j’ai commencé», lance-t-il. Comment cet homme plutôt discret a-t-il atterri dans ce ministère et est-il vrai que son père serait mécontent ? «Mon père est fatigué après onze ans d’affilée à un poste important. Il voulait se reposer depuis quelque temps déjà mais je n’avais pas encore décidé de me lancer dans la politique. Le chef de l’État lui en parlé avant d’aborder le sujet avcec moi et c’est mon père qui m’a fait la première proposition. J’ai demandé 48 heures de réflexion. J’ai choisi le challenge». Omniprésents, les services ? Trouve-t-il normal d’être nommé au portefeuille qu’occupait son père ? «Au Liban, en l’absence de partis politiques, les structures familiales sont dominantes. Regardez les Frangié, les Moawad, les Karamé, les Solh, Les Eddé, les Chamoun, les Gemayel, les Joumblatt et même les Lahoud. Nassib Lahoud a par exemple repris la place de son père et son nom a été cité comme ministrable, bien qu’il soit le cousin du chef de l’État». Alors son père ne se sent pas écarté du pouvoir ? «Pas du tout. Aujourd’hui (hier) j’ai déjeuné avec lui et il m’a confié se sentir pour la première fois depuis onze ans un être humain». Ne risque-t-il pas, lui, en assumant de telles responsabilités, de se déshumaniser ? «Il est certain que je travaille beaucoup, mais je ne crois pas que la tâche soit énorme, d’autant que je ne fais pas de politique». Ne craint-il pas de se heurter aux services que l’on dit omniprésents ? «En trois semaines au ministère, je n’ai pas eu le sentiment qu’ils sont omniprésents. Je crois que lorsqu’on est dans l’opposition, on les accuse de tous les maux et lorsqu’on est au pouvoir, on les trouve très bien». Cela s’applique-t-il à lui ? «Non, je connais les officiers depuis 10 ans et je pense qu’on les traite injustement. En tant que ministre de l’Intérieur, j’ai sous ma responsabilité, les FSI, les gendarmes, la police de Beyrouth et la Sûreté générale. Je n’interviens dans les autres services (la sûreté de l’État et les renseignements de l’armée) que dans le cadre du conseil central de sécurité qui se réunit une fois par mois pour assurer la coordination entre tout ce monde. Jusqu’à présent, je n’ai pas senti qu’il y avait des fantômes». Même syriens ? «Bien sûr». À ce sujet, le ministre considère que le climat politique actuel est mauvais. «Le plus grave, c’est la transformation de ce dossier en affaire confessionnelle. Certains ont placé la barre très haut, poussant les autres à faire de la surenchère pour ne pas être en reste, alors que ceux qui ont parlé en premier ont un passé lourd sur le plan des massacres…» N’est-ce pas le patriarche maronite qui a placé la barre si haut ? «Non, cela fait dix ans que le patriarche répète la même chose». Élias Murr estime que les soldats syriens ne doivent pas quitter le Liban pour trois raisons principales, qui ont trait à la sécurité. «Car, s’il y a un dérapage, c’est à moi que l’on demandera des comptes. D’abord, il y a encore des camps palestiniens armés et il est interdit, par des pays occidentaux notamment à l’État libanais, d’y imposer sa sécurité. Deuxième raison, l’existence de mouvements intégristes qui peuvent semer le trouble et raviver le climat confessionnel, les incidents de Denniyé en sont le meilleur exemple. Troisièmement, la situation au Sud est loin d’être rassurante. Après la défaite qui l’a contraint à retirer ses troupes du Liban, Israël souhaite détourner l’attention de ce qui se passe sur son propre territoire en semant le trouble au Liban et en Syrie par le biais des dissensions confessionnelles et en poussant à l’application de la résolution 520. À mon avis, ce sujet doit être étudié à froid et je ne dis pas cela pour préserver ma position». N’est-ce pas la présence syrienne qui ravive les dissensions confessionnelles? «Lorsqu’Israël occupait le Sud, le dossier confessionnel était mis en veilleuse, mais il n’avait jamais été réglé. Aujourd’hui, il revient sur le tapis et le dossier des relations libano-syriennes augmente le clivage. Or, c’est ce qu’il faut éviter». Projets et priorités Murr évoque ces sujets parce qu’ils forment le gros de l’actualité politique aujourd’hui, mais ce qui l’intéresse vraiment ce sont ses projets au ministère. Il a d’ailleurs une vision assez claire de ce qu’il compte faire au niveau de la sécurité, de la route, de l’allègement des formalités administratives et de la réhabilitation des FSI. Sa priorité ? Équiper les FSI et les doter de voitures, de motos, de radars de nuit et de TSF afin qu’elles puissent être présentes sur l’ensemble du territoire. Son rêve ? Obtenir des pays arabes (il compte d’ailleurs entreprendre une tournée à cet effet) 1 000 voitures de police et divers équipements. Mais il espère aussi recruter 1 000 éléments pour les commissariats, afin d’en avoir un pour deux villages. «S’il y a plus de patrouilles et plus de moyens, la sécurité sera mieux assurée». Reste la réhabilitation des FSI. «Je compte demander à des officiers d’effectuer une tournée dans toutes les écoles et les universités pour établir un contact avec les jeunes et les familiariser avec les forces de l’ordre. De même, je projette de créer un centre de formation civique des FSI afin qu’elles apprennent leurs obligations et je compte leur distribuer des cartes avec leur nom qu’elles porteront en même temps que le béret et le revolver pour se rappeler comment se comporter avec les citoyens». Le ministre a entamé une vaste campagne contre les accidents de la route, par le biais d’alcootest (un appareil par personne, jeté après utilisation) etc. Il projette aussi de faciliter les formalités du statut personnel qui pourraient être réalisées par la poste et même celles de la mécanique. Il se fixe même des échéances. «D’ici à six mois, la plupart de ces projets devraient être mis en route». Concernant les manifestations estudiantines de mardi, le ministre affirme qu’elles auraient dû obtenir l’autorisation du ministère de l’Intérieur. «Cette formalité est indispensable pour permettre aux autorités de protéger les manifestants et pour qu’il y ait coordination entre les deux parties afin d’empêcher l’infiltration des fauteurs de troubles. Le ministère ne peut refuser l’autorisation puisque le gouvernement a légalisé les manifestations. Malgré cela, les étudiants ne s’y sont pas pliés au nom de la liberté et non de la démocratie. Pourtant, l’une ne va pas sans l’autre. En tout cas, personnellement, je réagirai en respectant la liberté et la démocratie et j’ai donné des instructions pour que, quelles que soient les provocations, les FSI ne ripostent sous aucun prétexte». Scarlett HADDAD
Le ministre de l’Intérieur est un homme de parole. Sollicité il y a un an, il s’était poliment excusé, promettant toutefois d’accorder sa première entrevue à «L’Orient-Le Jour». Aujourd’hui, c’est chose faite. Poli, mais déterminé, l’homme répond calmement à toutes les questions, sans consulter un conseiller en image. Il ne se sent nullement encombré par...