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Actualités - BIOGRAPHIE

Rencontre - Son ouvrage est resté six mois bloqué par la censure Gilles Kepel croit ferme au déclin des mouvements islamistes

On s’attend à rencontrer un vieux professeur, quelque peu défraîchi et poussiéreux, et on se retrouve face à un jeune homme calme et pince-sans-rire qui reconnaît avec humour que même si les mouvements islamistes sont son fonds de commerce, il est convaincu de leur déclin. Il a même écrit un ouvrage sur la question, Jihad, expansion et déclin de l’islamisme, qui analyse cette vague depuis sa naissance et son âge d’or jusqu’à son repli ces dernières années. Kepel, qui est professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, est amusé de compter désormais un ministre parmi ses amis libanais. Ghassan Salamé va pourtant lui manquer... La couverture de l’ouvrage est impressionnante avec un extrait d’un texte de sayyed Kotb en guise d’illustration. C’est sans doute ce qui lui a valu de rester six mois dans les tiroirs de la Sûreté générale. Il a fallu que les organisateurs du Salon du livre français insistent pour que le livre de Gilles Kepel puisse être vendu librement. Le contenu est pourtant passionnant et sans porter un jugement de valeur, l’auteur analyse la naissance, l’apogée et ce qu’il appelle le déclin des mouvements islamistes. Car même si la plupart des chercheurs considèrent que l’islamisme est en pleine expansion, étant aujourd’hui la seule idéologie mobilisatrice au Moyen-Orient, Gilles Kepel, lui, est convaincu que son heure de gloire est passée. «En tout cas, précise-t-il, il n’a plus la même dynamique». La dimension révolutionnaire Kepel, qui a passé trois ans en Égypte et qui se rend régulièrement en Iran et dans plusieurs pays de la région, estime que le mouvement islamiste est passé par trois phases : il a émergé dans les années 70, en raison d’un «basculement de la société qui, de rurale, est devenue urbaine, augmentant le fossé entre les générations». Il a connu sa véritable expansion dans les années 80, notamment avec l’avènement de la République islamique en Iran (1979), et a entamé son déclin dans les années 90, avec la guerre du Golfe et la tentative de récupération du mouvement par les régimes dits modérés ou pro-occidentaux. Selon Gilles Kepel, ce qui avait provoqué l’expansion de l’islamisme était la dimension révolutionnaire du discours et la capacité de mobiliser toutes les couches sociales, la bourgeoisie religieuse et certes besogneuse et les classes défavorisées. Or, aujourd’hui, selon lui, malgré (ou à cause de) l’intégration dans les régimes en place, le discours des islamistes a perdu son contenu révolutionnaire et les mouvements ne sont plus capables de mobiliser toutes les couches sociales. «Ce qui était jadis une utopie d’État islamique s’est concrétisé et ne correspond plus aux aspirations des jeunes d’aujourd’hui. En Iran, ils sont fascinés par le Satan américain et au Maghreb par la France». Gilles Kepel s’étend longuement sur la naissance du mouvement qui a correspondu au déclin des idéologies nationalistes arabes et progressistes. L’islamisme a, selon lui, culminé avec la révolution islamique en Iran, mais étant essentiellement une mouvance chiite, les sunnites se sont sentis exclus et ont voulu empêcher les Iraniens d’exporter leur révolution avec la bénédiction des Occidentaux qui craignaient ce raz de marée chiite. Les Séoudiens ont alors financé et mis en place le jihad en Afghanistan, une contrée éloignée où ils pourront, sans crainte de réactions, envoyer les jeunes fanatiques se battre contre l’armée soviétique. Pour les Séoudiens et leurs alliés, il fallait récupérer la vague islamiste et ne plus laisser le monopole de l’héroïsme aux chiites. Selon Kepel, ce sont ces musulmans sunnites séoudiens qui ont financé la guerre entre l’Iran et l’Irak et finalement en 1988, l’Iran a perdu en signant un armistice avec l’Irak. De même, le 15 février 1989, l’Armée rouge a quitté l’Afghanistan, marquant la victoire du jihad sunnite. Mais pour tenter de reprendre l’initiative du mouvement, Khomeyni a lancé une fatwa contre l’écrivain établi à Londres, Salman Ruchdi. Les jeunes rêvent d’autre chose En 1989 aussi, Hassan Tourabi a pris le pouvoir au Soudan grâce à un coup d’État et le FIS a fait son apparition en Algérie. Ce fut, aux yeux de Kepel, l’apogée de la vague islamiste porteuse d’espoirs de changements dans la région. Mais les années 90 ont commencé à voir son déclin. Notamment à cause de la guerre du Golfe, lorsque des soldates américaines ont foulé le sol sacré de l’Arabie séoudite, montrant les limites des mouvements parrainés par ce pays. Certains mouvements ont alors voulu prendre leur indépendance et se sont radicalisés. C’est le cas notamment d’Oussama Ben Laden. D’autres qui avaient combattu en Afghanistan sont revenus dans leur pays d’origine pour s’y implanter. Ce fut le cas par exemple des «Afghans arabes» d’Algérie, d’Égypte et de Bosnie, qui n’ont finalement pas réussi à susciter le fameux élan de solidarité au sein de leurs populations respectives. À cet égard, il faut préciser que l’arrivée au pouvoir des taliban en Afghanistan n’a pas servi la cause islamique, bien au contraire, ce régime servant de repoussoir. Aujourd’hui, selon Gilles Kepel, la mouvance islamique a entamé son déclin, d’abord parce que les radicaux sont rejetés dans toutes les sociétés où ils cherchent à s’implanter, ensuite parce que les autres mouvements cherchent désormais à se faire accepter par l’establishment, non à le renverser. Même au Liban, le Hezbollah se qualifiait auparavant de «révolution islamique», alors qu’aujourd’hui il se veut «la résistance islamique». Le soutien populaire dont bénéficiaient ces mouvements a aussi diminué, estime le chercheur, qui affirme que les jeunes ne veulent plus de cette idéologie. Un constat optimiste ? «Je ne porte pas de jugement de valeur, mais toute ma recherche va dans ce sens». Rendez-vous dans quelques années. Scarlett HADDAD
On s’attend à rencontrer un vieux professeur, quelque peu défraîchi et poussiéreux, et on se retrouve face à un jeune homme calme et pince-sans-rire qui reconnaît avec humour que même si les mouvements islamistes sont son fonds de commerce, il est convaincu de leur déclin. Il a même écrit un ouvrage sur la question, Jihad, expansion et déclin de l’islamisme, qui analyse...