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Actualités - BIOGRAPHIE

REGARD - Catherine Chidiac : « Explosition » Détruire, dit-elle ?

Dans le «conflit» huntchinsonien «des civilisations», l’américaine vient de remporter une nouvelle victoire sur l’iranienne : les efforts désespérés pour convaincre les petites filles de Téhéran et d’ailleurs de jouer avec deux poupées islamiques dûment entchadorées plutôt qu’avec les innombrables avatars de Barbie ont abouti à un constat d’échec : les autorités viennent d’annoncer officiellement l’arrêt de la production des poupées du cru. Il semble que ces mêmes autorités aient renoncé à doter la garde-robe de Barbie de vêtements de stricte observance, ce qui eut constitué une sorte de compromis dans ce que le président Khatemi, antihuntchinsonnien notoire, appelle le «dialogue des civilisations» : le comble du kitsch américain revu et corrigé par le comble de la rigueur iranienne. La force des archétypes Mais un tel compromis aurait été également une compromission avec le Grand Satan dont Barbie est l’une des incarnations, des visages ou des émissaires, et, pour les conservateurs, une défaite aux points devant les réformateurs et une porte ouverte à d’autres douteuses entreprises de rapprochement culturel, voire politique. Mieux valait reconnaître la défaite devant Barbie, en laissant les petites filles s’empoisonner l’esprit, que devant les thèses d’ouverture vers l’Occident de Khatemi : telle est la force des archétypes – même en plastique – que Barbie est devenue, sans effort particulier de la CIA, non seulement un véritable cheval de Troie culturel mais aussi et surtout un symbole et un enjeu de la bataille politique intérieure entre les camps retranchés des conservateurs et des réformistes. Peut-être est-ce moins la force des archétypes que celle des satellites et des antennes paraboliques qui répandent partout, même chez les plus récalcitrants, les modèles de comportement américains. La crise de la vache folle est peut-être, à cet égard, une bénédiction : elle pourrait inciter les jeunes, obsédés de «fast-food» et de «burgers» de toutes les dénominations à redécouvrir les charmes du méchoui-tabboulé ou, pour le dire dans des termes intelligibles pour eux, du «slow- food» : même la manière traditionnelle de s’alimenter a besoin maintenant d’une étiquette made in USA pour recouvrer un peu de son crédit en chute libre «O tempora, O mores» : sans doute déplorait-on déjà ainsi les innovations au paléolithique, et on continuera à en faire de même à chaque génération. Meurtre rituel et rite de passage Pour revenir aux archétypes : le peintre Mohammed Rawas n’a pas trouvé mieux, en 1996, pour évoquer les relations entre le sculpteur roumain Brancusi et sa maîtresse américaine rencontrée à Paris que de mettre en scène et de photographier des moments de complicité amoureuse entre Barbie et Ken (mais celui-ci ne semble pas posséder le même pouvoir de séduction et de fascination que sa compagne) pour les besoins de sa lithographie The Lover Whispers. Il y avait là une sorte de distanciation ironique et souriante, une gentille mise en boîte de l’aspect idyllique de l’amour, comme si les amoureux étaient des poupées, des marionnettes manipulées par Éros représenté par Cupidon, archer aveugle. Catherine Chidiac, jeune étudiante en publicité, est plus radicale dans sa démarche : il s’agit pour elle, dans un retour vengeur et destructeur sur les poupées de son enfance, de remettre en question «l’idéal de beauté» qu’elles véhiculent et, du même coup, les valeurs sociales et les «limites de pensée» qui en sont tributaires. Dans un parfait mouvement sadomasochiste lucide et maîtrisé, Catherine Chidiac détruit non seulement ses poupées, mais aussi, symboliquement, la société ou le système qui les impose, y compris le système familial, mais laissons la psychanalyse de côté, et son propre corps, son visage, son ego même puisqu’elle est censée s’identifier à ses poupées comme toutes les petites filles modèles. Pour cette petite fille qui n’est pas sage du tout et qui a de la cervelle, il s’agit en quelque sorte d’un meurtre rituel (elle parle de «purification») associé à un rite de passage auto-imposé : elle liquide l’enfance qu’elle a vécue et l’enfant qu’elle a été en revendiquant, au seuil de la vingtaine, l’autonomie de l’adulte qui s’assume à nouveaux frais, en sacrifiant le passé sur l’autel de l’avenir : «Je me démembre pour me remembrer à ma façon... pour reconstruire mes pensées comme je veux, comme il me conviendrait...». Un bordel landruesque Chacun, à un certain moment, opère la même révision des valeurs, mais peu le font en pleine conscience, et peut surtout d’une manière aussi littéralement déchirante, à travers un effectif et systématique démembrement de ce qui représente symboliquement le passé dépassé, dans une opération qui a un caractère prononcé de magie archaïque. Catherine Chidiac traite Barbie avec la dernière rigueur, comme on ferait d’un poulet à cuisiner : déplumée, décapitée, dépecée, écrasée en bouillie, réduite en confiture, en molécules, les jambes, les bras, les troncs mis en bocaux. Son «Explosition» est une véritable chambre de torture, une démonstration de toutes les horreurs qu’un esprit pervers peut imaginer pour accommoder ses semblables – ou se venger de lui-même, de sa propre image conventionnelle mise au pilori et vouée aux gémonies. Et dans une démarche on ne peut plus kitsch à son tour, le kitsch de l’antiperfection, celui du bricolage avec les moyens du bord, le kitsch du laid et du bâclé. Si les peintures sont, au-delà de leurs intentions, franchement mauvaises, le reste est ce qu’il doit être : un bordel landruesque, un musée grand-guignolesque. Catherine Chidiac sait exactement ce qu’elle veut, le formule clairement et le réalise sans sourciller, avec une secrète jubilation. Et, à vrai dire, toutes ces affreuses choses faites à Barbie ne laissent pas de réjouir puisqu’elles célèbrent à leur manière sinistrement drôle la libération de l’emprise des modèles de la société de consommation du kitsch universel, et cela à la veille des plus grands excès de potlatch consommateur – de Barbie à la bouffe – de l’année. Un nouveau titre de gloire ? Aussi est-il difficile de comprendre comment, ayant subi les affres des modèles de consommation incarnés par Barbie, Catherine Chidiac se prépare, à travers ses études de publicité, à les propager à son tour, à infliger à d’autres la «barbisation» systématique dont elle se débarrasse par cette «explosition», ce geste de révolte et de refus. Croit-elle exorciser les démons du passé alors qu’elle s’apprête à mieux les tirer par la queue ? Barbie la tient-elle par où elle ne pensait pas, par cela même qui lui a donné les moyens de la récuser ? Tout cela n’est-il qu’un nouveau titre de gloire de Barbie, une campagne publicitaire d’un autre genre ? Détruire, dit-elle ? (Zico House). Joseph TARRAB
Dans le «conflit» huntchinsonien «des civilisations», l’américaine vient de remporter une nouvelle victoire sur l’iranienne : les efforts désespérés pour convaincre les petites filles de Téhéran et d’ailleurs de jouer avec deux poupées islamiques dûment entchadorées plutôt qu’avec les innombrables avatars de Barbie ont abouti à un constat d’échec : les autorités...