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Actualités - BIOGRAPHIE

PORTRAIT D’ARTISTE - Greta Naufal travaille sur le thème de la destruction et de la reconstruction Entre l’art et la vie, une brèche

«Je ne veux pas qu’on oublie que je suis une artiste de la guerre» : entre ceux qui sont prêts à tout pour oublier 20 ans d’affrontements et ceux qui, au contraire, les revendiquent et cherchent à les comprendre, Greta Naufal fait partie de la seconde catégorie. Pour enfoncer le clou, elle affirme que la guerre lui a «donné la chance de vivre dans les extrêmes». «Ce que je faisais à cette époque, explique-t-elle, c’était des collages à partir de papiers déchirés, des peintures qui coulaient le long de la toile. Nous étions tous comme ça : nous essayions de nous recoller, dans les larmes». Greta Naufal, qui aime la danse, les rythmes africains, le bois et encore le bois, le papier journal, crée son univers à partir de sa propre vie et de ce qu’elle observe, jour après jour. «Je ne peux pas être indifférente à tout ce qui m’entoure», s’exclame-t-elle. Hors cadre La guerre, l’absurdité de la mort, les objets qui la composent : l’artiste a réalisé plusieurs «portraits de guerre» avec de la gaze. La guerre enferme ? L’artiste l’oublie le temps de la danse, dansant elle-même sur les rythmes noirs et travaillant le thème sur ses toiles. «C’était ma façon à moi de défier l’immobilité de la mort par la mobilité du corps», explique-t-elle tout en montrant un travail réalisé dans un abri : une toile travaillée en largeur, grattée, peinte, n’exprimant que le désarroi de femmes, d’enfants et d’hommes attendant le cessez-le-feu. Greta Naufal redécouvre le grattage du papier avec la même démarche que celle de la gravure, qu’elle a étudiée pendant ses études aux Beaux-Arts de l’Université libanaise. «C’était comme une blessure très silencieuse qu’on faisait au métal, se souvient-elle. Sans doute que j’aimais cette blessure parce que je suis incapable de blesser». Avant 1990, l’artiste travaillait aussi sur les thèmes de la maternité, des survivants. Comme tous les rescapés de la guerre, elle est claustrophobe, détestant les limites du cadre. «Je me sentais envahie, raconte-t-elle, envahie par les amis, parents ou connaissances que je recevais constamment pendant les accalmies. Les maisons, dans ces moments-là, étaient pleines, pour reprendre un semblant de vie sociale». Chercher quelque chose Alors elle établit elle-même les limites de son œuvre. «Avec mon papier, je créais mon propre espace», poursuit-elle. «Je le choisis toujours usé, déchiré. Je n’aime pas les surfaces blanches», dit l’artiste en déroulant une peinture dont elle montre le papier jauni, oublié dans un coin de boutique et marqué par l’eau dans laquelle il a apparemment longtemps trempé. En quête de soi : une série, très certainement la plus accomplie, de sept tableaux réalisés entre 1996 et 1997. Greta Naufal a fait son propre portrait, après des années à avoir couvert des toiles «à la recherche de quelque chose». Une recherche qu’elle a faite et qu’elle fait toujours, en écrivant : «Avec l’écriture, on peut creuser plus profondément». Des pages entières qu’elle ne relit jamais, jetées de côté de la même façon qu’elle détruit sans hésiter les peintures qu’elle n’aime pas. Après la folie de la guerre exprimée sur la toile, et sans doute sa propre folie née de l’absurde qu’elle combattait sans relâche, Greta Naufal s’est trouvée, et c’est elle-même qu’elle cherchait. «Avec la maturité, j’ai découvert mes limites, c’est-à-dire pouvoir m’arrêter à temps dans l’œuvre». Un ensemble de toiles évoquant la «lisibilité des choses», à partir d’un plan vers le bas, très inattendu. «J’ai été très surprise par ce que j’y voyais». Sensible à l’image, elle affirme aborder les gens comme elle les aborde sur la toile : en close-up. La vie en mots L’artiste de guerre s’est aussi réconciliée avec cette période capitale de sa vie en travaillant, dès 1991, sur le thème de la destruction et de la reconstruction. «J’ai fait près de 1 000 photos du centre-ville pour m’en servir dans des techniques mixtes». Des photos, mais aussi des morceaux de vieux journaux et d’autres tristes souvenirs trouvés dans les ruines. Le journal, une des textures préférées de l’artiste. «On ne peut pas vivre sans journal, affirme-t-elle. C’est grâce à lui qu’on est tenu informé de ce qui se passe, la vie s’y transforme en mots, en lettres qui parlent d’elles-mêmes». Elle l’utilise pendant ses cours comme dans ses propres œuvres, peignant sur les caractères, transformant une lettre en détail du visage, comme elle l’a fait pour la pièce Mara la wahda, jouée par Julia Kassar au théâtre de Beyrouth, il y a quelques semaines. Noir et blanc du quotidien auxquels s’ajoutent les couleurs de l’artiste. «Je n’emploie que les monochromes et les ocres, explique-t-elle. Trop de couleurs cachent les sentiments». L’autoportrait, puis la musique et plus exactement le jazz : sans doute, dans cette série qu’elle vient de terminer, une pensée discrète pour son père, le musicien et chef d’orchestre Georges Naufal. à partir de photographies, l’artiste fait jouer Ella, Duke, Louis avec un talent et des couleurs accomplis. Vert est la couleur du jazz, double, rectangulaire ou carré est la forme de la toile. Abattoir Mais sortir du cadre, c’est ce qui l’amuse ou, selon les jours, la met en colère, encore aujourd’hui. Alors elle a donné au Salon d’automne du musée Sursock une œuvre intitulée Nature écorchée, qui a dérangé le public. Explication : «En 1999, j’ai trouvé ces deux planches d’eucalyptus posées contre le mur de la boutique d’un grossiste, raconte-t-elle. J’ai été attirée par leur odeur et leur épaisseur. Instinctivement, j’ai regardé le haut des pièces, en cherchant une tête sur ces cous. C’est la violence avec laquelle ces planches ont été découpées qui m’a émue. Elles sont restées un an dans mon atelier sans que je sache quoi en faire. Et maintenant qu’elles sont accrochées dans un musée, l’une à côté de l’autre, exactement comme je les ai trouvées, elles sont l’image exacte de ce que je vis en rapport avec le monde, l’environnement : on abat les arbres comme on abat les vaches folles. On ne peut pas ignorer ce qui nous entoure, et la brèche qui, jusqu’à une époque récente, qui séparait l’art et la vie, est en train de se refermer lentement». Diala GEMAYEL
«Je ne veux pas qu’on oublie que je suis une artiste de la guerre» : entre ceux qui sont prêts à tout pour oublier 20 ans d’affrontements et ceux qui, au contraire, les revendiquent et cherchent à les comprendre, Greta Naufal fait partie de la seconde catégorie. Pour enfoncer le clou, elle affirme que la guerre lui a «donné la chance de vivre dans les extrêmes». «Ce que...