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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - Les résultats des fouilles ont comblé certaines lacunes mais ont suscité de nouvelles interrogations Tripoli n’a pas encore livré tous ses secrets et trésors archéologiques

Tripoli est une des villes de la côte libanaise qui reste encore à découvrir archéologiquement et historiquement. Les excavations et les fouilles n’ont vraiment été quelque peu poussées que dans certains sites tels que ceux de Byblos, de Tyr, de Sidon et de Baalbeck. Les autres villes n’ont pas encore livré tous leurs secrets et leurs trésors archéologiques. On a longtemps cru que Tripoli était la plus récente des fondations phéniciennes, datant de l’époque grecque comme son nom l’indique : Tri-polis : les trois villes ou les trois quartiers groupant les entrepôts des marchandises des trois principaux ports de l’époque, Tyr, Sidon et Arwad. Mais les fouilles qui y ont été entreprises allaient démontrer le contraire. D’après les résultats préliminaires de ces fouilles, d’ailleurs inachevées, il semblerait qu’il y avait à l’emplacement de Tripoli une installation urbaine plus ancienne remontant au IIe millénaire avant J-C. Ce qui a poussé à reconsidérer la question et à relire plus attentivement les textes remontant à la deuxième moitié du IIe millénaire et au début du Ier millénaire av. J-C soit les tablettes de Tell el-‘Amarna et les annales d’Assurnazirpal II. En effet dans les parties de ces deux documents qui traitent de la région du Liban-Nord, il est fait mention dans le premier d’une localité du nom de Wahlia et dans le second d’une ville du nom de Mahallâta. On a longtemps hésité à localiser ces deux villes qui sont toujours citées parmi des sites actuellement identifiés sans plus aucun doute tels que Enfé, Chekka, Ardé, Arqa, etc. Le rapprochement entre les deux noms se fait de lui-même quand on sait que le W au début des mots en babylonien et en assyrien ancien est transformé en M dans les textes plus récents. Il y a un autre rapprochement à faire du point de vue linguistique entre le mot Mahallâta et le terme arabe Mahallat ou Mahallât au pluriel ou places, quartiers. Les langues sémitiques étant en général très proches les unes des autres, on pourrait aisément expliquer le terme assyrien par l’arabe. On arriverait, à ce moment, à la même conclusion, à savoir que le site de l’ancienne Tripoli a, de tout temps, intéressé les autres villes phéniciennes de la côte par son emplacement stratégique, que ce soit pour la navigation ou le stockage des marchandises. Il est très difficile de penser que les Phéniciens, qui étaient à cette époque les maîtres de la mer et de la navigation, avaient laissé inexploité un site comme celui de Tripoli d’autant plus qu’ils étaient à l’apogée de leur civilisation et que l’ère de l’expansion commerciale et de la colonisation allait commencer pour eux, et ce aux XIIIe et XIIe siècles av. J-C. Lorsque les relations avec les Grecs devinrent très poussées avant et après les guerres médiques et à une époque où le roi de Sidon était surnommé le Philhellène, ce qui veut dire l’ami des Grecs, il était tout à fait normal, pour faciliter les échanges et les transactions, d’helléniser le nom de la ville qui groupait les entrepôts des principales villes phéniciennes et où les commerçants grecs venaient régulièrement puiser leurs marchandises. C’est probablement ainsi que Mahallâta, les quartiers, devint Tripolis. Tripolis ne tarda pas à prospérer et devint très vite une ville cosmopolite habitée par les différents peuples de la région qui étaient attirés par l’appât du gain et l’importance du mouvement commercial. À l’époque romaine, les Iturréens dominaient la ville. Le général Pompée, qui commençait la conquête de l’Orient, s’opposa à eux en une courte bataille au cours de laquelle leur chef fut tué. La ville tomba alors aux mains des Romains. Tripoli resta sous domination romaine puis byzantine jusqu’à la conquête arabe ; elle tomba aux mains du général arabe Soufian en 635 et fit partie de l’État omayade puis de l’État abbasside jusqu’à l’arrivée des Croisés, sauf pour une courte période entre 685 et 705. En effet, en 685, les autochtones chrétiens se révoltèrent et réussirent à soustraire la cité et sa région au gouvernement central de Damas et proclamèrent une indépendance éphémère. Et de l’année 705 jusqu’à sa chute aux mains des Croisés, Tripoli fut ballottée entre les Omayades, les Abbassides et les petites principautés qui se formèrent dans la région en marge du Califat central profitant de sa faiblesse et de son effritement. Le 15e jour du mois de juillet 1099 reste une des dates les plus importantes de l’histoire de cette région, puisqu’elle marque la prise de Jérusalem par les Croisés qui avaient à leur tête les plus prestigieux chefs de guerre de l’Occident : l’un d’eux, et non des moindres, est Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse qui briguait le trône du royaume latin de Jérusalem. Ses pairs lui préférèrent Godefroi de Bouillon. Dépité, il quitta Jérusalem et s’en fut vers le nord à la recherche d’un territoire qu’il pourrait s’approprier pour en faire son fief personnel. Après avoir pris Byblos et le nord du Liban, il s’empara de Tartous en 1102 bouclant ainsi la ville de Tripoli et sa région, but ultime de sa campagne, car il comptait en faire la capitale de sa principauté. Tripoli était à cette époque une ville fortifiée et très bien défendue. Pour pouvoir l’investir et en venir à bout, Raymond de Saint-Gilles occupa en 1102 la colline qui domine la ville, connue actuellement sous le nom d’Abou Samra. Il s’y installa avec ses gens et y construisit un fortin qu’il appela «Mont-Pèlerin», après l’avoir nettoyé de toute trace d’occupation antérieure. Il effaça ainsi les vestiges des civilisations qui se sont succédé sur ce Tell depuis le IIe millénaire av. J-C jusqu’à l’époque fatimide en passant par les époques perse, romaine et byzantine. À l’époque fatimide s’était développé sur le sommet de la colline un cimetière chiite groupé autour d’un monument octogonal qui n’était autre qu’un machhad dédié à la mémoire d’un imâm. On a longtemps cru que ce monument était destiné à la dépouille de Raymond de Saint-Gilles ; mais, à la lumière des fouilles et des textes de l’époque, il est apparu que cette construction octogonale, «dédiée au cours d’une époque révolue au culte impie des païens», servit de base à la construction d’une église du Saint-Sépulcre apparentée aux basiliques de Terre sainte que Raymond de Saint-Gilles avait encore en mémoire. Et c’est autour de cette église que se développa le nouveau cimetière chrétien. En 1105, Raymond de Saint-Gilles meurt des suites de ses blessures dans son château dominant Tripoli, et sa dépouille est transportée à Jérusalem où elle est enterrée. Ses successeurs, après la prise de Tripoli-Mina en 1109, entreprennent l’agrandissement du château. L’octogone subit alors une série de transformations et devient la crypte d’une nouvelle église à nef unique en voûte en berceau, probablement brisée. Le château resta entre les mains des Francs jusqu’en 1267, époque à laquelle il tomba sous la domination des musulmans conduits par Baïbars qui trouvait beaucoup de difficultés à assiéger Tripoli-Mina. Celle-ci ne devait tomber entre les mains des Mameluks qu’en 1289. C’est alors que la ville antique fut entièrement détruite et l’on construisit une nouvelle ville au pied du château, dans un endroit qui n’était encore qu’un simple faubourg marchand, contrôlant la route côtière qui traversait le cours du fleuve. Les Mameluks, dès la fin du XIIIe siècle, portèrent leur attention sur le château qu’ils remirent en état. Celui-ci fut restauré et agrandi. Les Ottomans firent de même et, en 1520, il fut doté d’une porte que l’on encastra dans les ouvrages nord de l’époque mameluke. Toutefois, les travaux de restauration les plus importants que subit le château datent du début du XIXe siècle, à l’époque où Moustafa Aga Barbar gouvernait Tripoli. En effet, un bon nombre d’inscriptions en arabe ou en karchouni sont remployées dans ces ouvrages et sont toutes datées du XVIIIe siècle. Mais grâce aux fouilles archéologiques, on sait maintenant qu’il ne faut plus confondre l’église du château avec celle de Saint-Jean du Mont-Pèlerin, située à quelque 200 m au sud du château et autour de laquelle s’est développé le cimetière qui porte son nom. Cet ensemble culturel a été construit entre 1113 et 1127. Le cimetière Saint-Jean semblable en tous points à celui du château se développe autour d’une église double, constituée de deux chapelles adjacentes. La chapelle sud semble avoir été achevée et semble avoir servi de chapelle funéraire ; celle du nord, par contre, présente tous les aspects d’un édifice inachevé. Le troisième problème est celui de la localisation de l’église de Saint-Thomas. Cette église se trouvait sur une île située en face de Tripoli. Abul-Fida’ la signale comme un endroit de refuge pour les Croisés qui s’échappèrent de Tripoli en 1289 et décrit le carnage qui s’y est produit : «Près de la ville était une petite île dans laquelle s’élevait une église dite de Saint-Thomas... Après la prise de Tripoli, une foule immense de Francs, hommes et femmes, s’enfuirent dans l’île et dans l’église qui s’y trouvait. Les musulmans se précipitèrent à cheval dans la mer et atteignirent l’île à la nage…». Si la description d’Abul-Fida’ est exacte, l’île devait être située tout près, à quelques dizaines de mètres du port. Toutefois, l’existence dans l’île des palmiers, à près de 6 km du port, de vestiges des Croisés, de traces d’occupation antérieures et d’une tuile appartenant à la toiture d’une église auraient peut-être permis d’avancer l’hypothèse qu’il s’agit là de l’île et de l’église Saint-Thomas. Mais les indications précises d’Abul-Fida’ exigent, pour le moment, une prudence quant aux conclusions. Si les résultats des fouilles ont comblé certaines lacunes concernant l’identification des sites de Tripoli, ils ont par contre suscité d’autres problèmes. En effet, s’il nous est possible de constater que les églises de Terre sainte, à l’époque des Croisades, ont repris sinon le plan, du moins l’emplacement d’églises plus anciennes qui furent reconstruites selon les principes de l’architecture occidentale de l’époque, les exemples de transformation de monuments islamiques en lieux de culte chrétiens sont plutôt rares, sinon inexistants. Or c’est bien ce parti-là qui fut adopté à Tripoli puisqu’un machhad fut transformé en église. De plus, nous ne connaissons pas d’églises de Croisés comportant de crypte (octogonale ou autre), alors que ce plan est attesté dans les hauts lieux du culte chrétien de Terre sainte, et assez fréquemment dans le haut Moyen Âge européen. La seule différence qui existe entre ce groupe de monuments et le Saint-Sépulcre du Mont-Pèlerin réside dans le fait que dans le premier cas, c’est la nécessité du culte qui a imposé l’adoption d’un tel plan et d’une telle dénomination, tandis qu’à Tripoli c’est plutôt le plan du monument préexistant qui a imposé la dénomination et peut-être même, en conséquence, le rituel.
Tripoli est une des villes de la côte libanaise qui reste encore à découvrir archéologiquement et historiquement. Les excavations et les fouilles n’ont vraiment été quelque peu poussées que dans certains sites tels que ceux de Byblos, de Tyr, de Sidon et de Baalbeck. Les autres villes n’ont pas encore livré tous leurs secrets et leurs trésors archéologiques. On a...