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Actualités - INTERVIEWS

Liban-Syrie - La justice étudiera le cas de chacune des personnes livrées à Beyrouth Pour Addoum, le dossier est clos, mais pour des dizaines de familles, c’est le deuil sans nom

Les 54 personnes relâchées par la Syrie ont enfin un nom, mais pas encore un visage. Dans une conférence de presse tenue à son bureau, rythmée par les cris des parents en colère massés à l’extérieur de la pièce, le procureur Adnane Addoum a divulgué la liste des détenus livrés par Damas, répondant à toutes les questions, sans être pour autant particulièrement convaincant. Il a promis que les autorités libanaises accéléreront les procédures par souci humanitaire et justifié les yeux bandés des 54 personnes par des considérations militaires. Selon lui, les autorités syriennes ont affirmé qu’il n’y avait plus de détenus politiques en Syrie, la liste des prisonniers libanais de droit commun dans ce pays (environ 80) devant être communiquée au cours des prochains jours. Le dossier est officiellement clos, mais des centaines de cœurs continuent de saigner. Après une nuit d’incertitude cruelle, les familles des détenus ont, dès le matin, pris d’assaut le Palais de justice, leurs pathétiques portraits en main, dans l’espoir d’avoir enfin des nouvelles de leurs chers disparus. Malgré le dispositif de sécurité, les familles réussissent à atteindre l’étage du bureau du procureur afin de pouvoir le rencontrer, lui ou un des membres de la commission formée par le gouvernement pour suivre ce dossier. Mais l'heure passe et la réunion de la commission terminée, les responsables quittent précipitamment les lieux pour se rendre à la seconde réunion en deux semaines du Conseil central de sécurité. La colère des parents MM. Addoum, Azar et Sayed n’ont pas un regard pour les malheureux parents qui commencent à imaginer le pire. Hanna Hayeck dont le frère a disparu il y a 20 ans a un malaise. Il chancelle et manque de s’affaisser sous les regards consternés des forces de l’ordre. «Supportez-nous quelques heures, nous endurons depuis 20 ans», leur lance-t-il et ceux-ci l’installent sur un fauteuil. Hanna pleure doucement et les larmes silencieuses qui coulent sur ses joues congestionnées, s’enfonçant dans les sillons de l’âge et de la peine, sont plus poignantes que la plus triste des confessions. Dehors, d’autres parents crient leur colère. «Ce n’est pas possible. Nous ne demandons que les listes. Nous voulons connaître le sort de notre chair et de notre sang», hurle une femme. Une autre, voilée, les yeux durcis par la colère, assène froidement. «Que les autorités nous donnent les noms et nous disent que les autres sont morts. Moi je serais fière que mon fils soit mort en Syrie, je veux juste le savoir». La fierté, c’est justement ce dont les autorités ne veulent pas entendre parler. Traiter le dossier des détenus avec humanité soit, comme le dira Addoum plus tard, «ce sont nos fils et nous nous soucions du sort de tous ceux qui portent la nationalité libanaise», mais qu’ils soient considérés comme des héros, c’est hors de question. Pour le Liban officiel, les choses sont claires : Israël est l’ennemi, la Syrie l’alliée. Mais ces considérations n’empêcheront pas les autorités de faire preuve de clémence, considérant que les ex-détenus en Syrie ont assez souffert comme cela. Mais nous n’en sommes pas encore là et il faudra attendre 14h pour connaître enfin les noms des personnes relâchées. Nerveux et débordé par cette masse de journalistes et de parents qui envahissent son bureau, Addoum tient à lire la liste en entier, d’autant que les télévisions font une retransmission en direct. Le moment est solennel et les dizaines de personnes qui écoutent retiennent leur souffle. Chacune guette le nom qui lui bouleversera le cœur, avec la terrible peur de ne pas l’entendre. Croire à la bonne nouvelle La lecture achevée, les questions fusent, axées sur ceux qui manquent à l’appel. Dans l’antichambre du bureau du procureur, certaines familles sont atterrées. Comme chaque fois qu’elles entendent parler d’une relaxation, elles espèrent, attendent, prient, voulant à tout prix croire à la bonne nouvelle et à chaque fois, la déception est un peu plus grande, un peu plus terrible. Conscient de ce que sa liste peut avoir d’intolérable pour les familles de ceux qui n’y figurent pas, Addoum essaie de rationaliser. Selon lui, lorsque le président syrien a lancé son initiative, le gouvernement libanais a formé une commission pour étudier le dossier. Celle-ci a consulté les listes des associations. Après avoir constaté les divergences dans les chiffres et les noms, Addoum et Azar se sont rendus en Syrie pour voir ce qu’il en est sur place. Il fallait garder les entretiens secrets pour ne pas donner de faux espoirs. Addoum déclare avoir été impressionné par le sérieux et la précision des dossiers établis par les Syriens. Il ajoute que les autorités syriennes lui ont affirmé ne plus détenir de prisonniers politiques libanais. Tout comme elles auraient déclaré ne pas avoir eu de décès pendant les périodes de détention. Alors que sont devenus les autres, ceux dont les familles sont sûres qu’ils se trouvent en Syrie ? Addoum précise qu’il existe encore des prisonniers de droit commun en Syrie. Leur nombre varierait entre 80 et 85 et leurs noms seront communiqués au cours des prochains jours et leurs familles pourront les visiter. Quant aux autres, ils feraient, selon lui, partie du grand dossier des personnes disparues pendant la guerre, un dossier douloureux s’il en est. «Il faut se rappeler, ajoute le procureur, que pendant des années, les milices contrôlaient la rue. Des dizaines de personnes ont été liquidées dans des circonstances obscures. On ne peut faire assumer à l’État la responsabilité de ces disparitions. C’est un dossier qui ouvre de nombreuses blessures. Les parents doivent se résigner». Mais certaines familles ont des assurances ? «Ce sont des témoignages vagues. Malheureusement, il y a de nombreux escrocs dépourvus de la moindre parcelle d’humanité qui ont nourri des familles entières de faux espoirs pendant des années, moyennant parfois de l’argent. D’autres ont choisi d’utiliser ce dossier terrible pour régler leurs comptes avec la Syrie. Pour eux, c’est une affaire politique et peu leur importe si en mettant les noms de personnes disparues pendant la guerre dans leurs listes, ils donnent de faux espoirs à des familles éplorées». Addoum cite ainsi plusieurs personnes dont les noms figurent dans des listes, alors qu’elles ont été libérées et se trouvent au Liban, comme 7 membres de la famille Solh ou encore Hassan Sahili, etc. Il estime ainsi que certaines parties veulent à tout prix saboter l’initiative du président syrien. La procédure qui sera suivie Mais la commission pour les personnes disparues avait par exemple demandé à la mère de Naji Harb de le déclarer mort, alors qu’il fait partie du lot. Comment explique-t-il cela ? Selon le procureur, en se penchant sur des milliers de cas, la commission (formée par le précédent gouvernement et présidée par le général Jamil Sayed) a pu se tromper, même si pour les familles cela peut paraître inhumain. Addoum évoque ensuite le sort des 54 personnes relâchées par la Syrie. Selon lui, les autorités étudieront les dossiers cas par cas. Seront probablement relâchés ceux dont les crimes sont couverts par la loi d’amnistie (accomplis avant 1991), ceux qui ont été jugés en Syrie pour le même crime et ceux contre lesquels aucune charge n’est retenue au Liban. Les autres seront déférés devant les tribunaux et la période de leur détention en Syrie sera défalquée de leur peine libanaise. Quant à ceux qui n’ont pas été jugés en Syrie, les autorités libanaises mèneront leur propre enquête. Comment ces personnes ont-elles été arrêtées au Liban, par des services non libanais après que l’État eut repris le contrôle du territoire ? Addoum s’énerve et se demande comment les journalistes décident qu’elles ont été arrêtées au Liban. «Elles ont pu se réfugier en Syrie», lance-t-il. Après avoir accompli un attentat contre ce pays ? La réponse reste évasive. Le procureur veut absolument rassurer les familles : tout ira très vite et les personnes qui ne seront pas relâchées pourront recevoir des visites, conformément au règlement des prisons. Il répète : «Pour nous, le dossier des détenus politiques libanais en Syrie est clos». Une phrase lapidaire qui jette des dizaines de familles dans le désespoir. Si, depuis cet après-midi, chez les Harb et les Tanios, on fait le grand ménage et on achète des douceurs pour recevoir ceux qu’on n’osait plus attendre, chez des dizaines d’autres, c’est la détresse qui règne, une détresse d’autant plus terrible qu’il n’y a pas de mort, ni de sépulture, ni de deuil. La détresse des cœurs qui ne connaîtront jamais de repos. Scarlett HADDAD
Les 54 personnes relâchées par la Syrie ont enfin un nom, mais pas encore un visage. Dans une conférence de presse tenue à son bureau, rythmée par les cris des parents en colère massés à l’extérieur de la pièce, le procureur Adnane Addoum a divulgué la liste des détenus livrés par Damas, répondant à toutes les questions, sans être pour autant particulièrement...