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Actualités - CHRONOLOGIE

Détenus - Les 54 personnes relâchées par la Syrie passent leur nuit à Yarzé Pour les familles, une interminable attente

«Je veux le serrer dans mes bras, sentir son odeur et entendre battre son cœur». Dans la brume glaciale de Masnaa, enveloppée dans son manteau fatigué, Antoinette imagine les retrouvailles avec son fils Joseph. Elle n’a plus eu de ses nouvelles depuis dix ans et elle espère qu’il fera partie des détenus libérés par la Syrie. Antoinette se voit déjà se jetant devant le bus pour le contraindre à s’arrêter. Mais la réalité ne correspondra pas à son attente. Les sources officielles commencent par laisser entendre que les deux bus envoyés par le Liban pour ramener au pays les 54 détenus ne passeront pas avant minuit afin de décourager les familles qui se préparent à les accueillir et c’est en coup de vent, comme dans un rêve, que les deux autocars traverseront la frontière sous bonne escorte, alors que leurs passagers ont les yeux bandés. La liberté, ce n’est pas encore pour tout de suite. Ils sont donc passés, sans comité d’accueil, ni vivats, comme l’ont voulu les autorités, dans deux bus dont les phares ont troué la brume du soir. Les familles qui attendaient depuis le matin sont reparties à la tombée de la nuit, frigorifiées, mais convaincues que l’aube sera porteuse de bonnes nouvelles. Les agents de la Sûreté générale en charge du poste-frontière regardent cette foule avec compassion. «Ces gens feront mieux de s’en aller. On ne les laissera pas voir leurs proches avant que leurs dossiers ne soient examinés. C’est une torture inutile». Lentement et à contrecœur, les familles remontent dans les voitures et prennent le chemin du retour. Ce sera, pour elles, la nuit la plus longue depuis des années, une de celles où le sommeil désespérément sollicité ne viendra pas, tant elles sont anxieuses de savoir si leur fils, frère ou mari fera partie du lot. Le suspense maintenu par les autorités sur l’identité des personnes rapatriées est d’une cruauté intenable et personne n’en comprend les mobiles. L’insoutenable attente Depuis l’annonce par le président syrien de sa décision de relâcher les détenus libanais, des dizaines de familles vivent dans l’attente. Certaines, qui avaient gardé un contact avec le proche emprisonné en Syrie, sont pratiquement sûres de le revoir bientôt. Mais les autres, celles qui ne savent rien mais ont procédé par déduction, ont l’angoisse au cœur. En 1998, déjà, lors de la dernière relaxation par les Syriens de plus de cent détenus, ces familles avaient cru aussi leur cauchemar terminé et elles avaient dû bien vite déchanter. Aujourd’hui encore, le même scénario se reproduit. Le rapatriement des prisonniers se fait dans la plus grande discrétion, comme si ceux-ci étaient de dangereux terroristes qu’il faut maintenir dans l’isolement le plus total. Les familles ne savent plus à qui s’adresser pour avoir des nouvelles. Elles appellent sans cesse le procureur général près la cour de cassation, dans l’espoir que ce magistrat aura pitié de leur angoisse. Mais là aussi, les instructions sont très strictes. Impossible de briser le mur du silence. Addoum est d’ailleurs lui aussi mal à l’aise. Selon lui, les exigences de la sécurité doivent primer et quand on a attendu des années, on peut patienter encore quelques heures. Il faut que les dossiers soient bien préparés et les 46 Libanais et 8 Palestiniens qui sont arrivés de Syrie ont été immédiatement emmenés au ministère de la Défense où ils passeront leur nuit pour y subir un premier interrogatoire primaire afin de vérifier s’ils ont un dossier judiciaire au Liban. Certains croient qu’on leur demandera aussi de ne pas parler de leurs conditions de détention en Syrie mais de toute façon, Yarzé semble être un passage obligé avant la liberté. Les proches le comprennent très bien, mais ce qu’ils ne comprennent pas c’est la raison pour laquelle la liste des noms est gardée secrète. Les familles commencent à craindre le pire, le mutisme officiel leur paraissant de mauvais augure. Ce qui aurait dû être un immense moment de joie est en train de devenir un cauchemar de plus dans la longue tragédie que vivent ces familles. Mais tout le monde a le sentiment qu’en voulant faire preuve de bonne volonté, les Syriens ont déclenché un processus qui semble les dépasser. Ils pensaient que les Libanais applaudiraient à cette initiative sans poser de questions, mais la vérité est que les familles en ont un millier qui ne demandent qu’à jaillir et qui resteront cette nuit encore sans réponses. Trois dames du comité des parents des personnes détenues en Syrie rencontreront ce matin le procureur Addoum pour obtenir la liste des personnes relâchées et celle des personnes qui seront déférées devant la justice libanaise. Auparavant le procureur devra présider une réunion de la commission chargée par le gouvernement de suivre le dossier des détenus relâchés par la Syrie. À tous ceux qui l’ont contacté, Addoum a d’ailleurs promis que les autorités concernées feront de leur mieux pour accélérer les formalités et mardi soir, toutes les zones d’ombre seront éclaircies. Baabda ne répond pas Mais comment demander encore aux parents de patienter jusqu’à cette nouvelle échéance ? Dans un acte désespéré, quelques familles décident de se rendre au palais présidentiel pour rencontrer le président et lui demander les noms des personnes relâchées. Un barrage de sécurité les arrête. Les mères à bout de nerfs ont beau hurler, crier, supplier, rien à faire, les soldats demeurent intraitables. «S’il vous plaît. Nous n’en pouvons plus. Chaque minute compte pour nous», sanglotent-elles. Mais les soldats restent de marbre. «Allez voir le procureur. Nous ne pouvons rien pour vous». Seul Dieu pourra leur donner la force de patienter jusqu’à l’aube, mais dès les premières lueurs du matin, les parents iront se pointer devant le palais de justice, puisque c’est de là que viendront les informations. Comme tant d’autres, Antoinette ne dormira pas cette nuit. Elle compte les minutes. Son fils Joseph avait été muté à la position militaire de Beit-Méry le 13 octobre 1990. Et c’est de là qu’il a disparu. À cette époque, son père a visité tous les hôpitaux, toutes les morgues. Il a même été voir ses supérieurs qui lui ont confirmé qu’il ne faisait pas partie des victimes de l’opération du 13 octobre. Sa famille en a déduit qu’il était en Syrie. En dix ans, elle n’a jamais réussi à lui rendre visite, devant se contenter de vagues promesses et d’affirmations dans le genre : «Il est bien là, mais n’en demandez pas plus». En 1998, Antoinette est venue attendre. En vain. Joseph ne faisait pas partie du lot. «Je n’ai pas été très déçue, précise-t-elle, car ses camarades soldats comme lui n’ont pas non plus été libérés. Mais cette fois, c’est différent». Que fera-t-elle si une fois de plus, il ne figure pas parmi les personnes relâchées ? «Elle attendra le prochain lot, lance une autre mère. Ils en gardent visiblement un groupe pour chaque mandat afin de faire plaisir à chaque président. Déjà, ils annoncent que seuls les détenus politiques ont été libérés, ceux de droit commun devant purger leurs peines jusqu’au bout». C’est effectivement l’information rapportée en soirée par des sources de sécurité. Antoinette, elle, ne veut même pas évoquer cette possibilité. «Mon cœur me dit que cette fois, il sera libéré», dit-elle, en essayant de retenir ses larmes. Un cœur de mère peut-il se tromper ? La réponse est désormais entre les mains des autorités. Scarlett HADDAD
«Je veux le serrer dans mes bras, sentir son odeur et entendre battre son cœur». Dans la brume glaciale de Masnaa, enveloppée dans son manteau fatigué, Antoinette imagine les retrouvailles avec son fils Joseph. Elle n’a plus eu de ses nouvelles depuis dix ans et elle espère qu’il fera partie des détenus libérés par la Syrie. Antoinette se voit déjà se jetant devant le...