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Actualités - CHRONOLOGIE

Institutions - L’Université américaine de Beyrouth a célébré hier son 134e anniversaire Petite histoire des grands hommes qui ont fait l’AUB

Ils auraient pu faire carrière chez eux, aux États-Unis. Ils auraient pu s’enrôler dans l’armée, et faire la guerre de sécession. Ils auraient pu surtout échouer sous d’autres cieux, peut-être plus cléments. Il n’en fut rien. Le destin de ces sept Américains s’est confondu avec celui de l’un des plus grands établissements universitaires du Moyen-Orient, l’Université américaine de Beyrouth qui, cent trente-quatre ans plus tard, commémore en grandes pompes ceux qui l’ont fondée, tant sur le plan matériel qu’intellectuel. En effet, plus qu’un campus et de simples bâtiments, ces hommes-là ont su instaurer, au prix d’interminables luttes, une tradition de libéralisme intellectuel et de dialogue qui ne s’est jamais démentie. Des fondateurs de l’AUB, le révérend Daniel Bliss est probablement le plus connu, et à juste titre. C’est à lui que les missionnaires américains de la région demandèrent en 1862 de fonder un établissement d’enseignement supérieur qui inclurait la médecine comme discipline première. Le révérend Bliss repartit donc aux Éats-Unis pour rassembler les fonds nécessaires à son entreprise et, en août 1864, il avait déjà réuni plus de 100 000 $. Mais l’Amérique était alors en pleine guerre de Sécession et le dollar était dévalué. Bliss se rendit donc en Angleterre où il rassembla 4 000 £ (environ 10 000 $) et retourna à Beyrouth. Le lundi 3 décembre 1866 fut donné le premier cours à la faculté des arts et des sciences. Il y avait seize étudiants. Mission accomplie pour le révérend Bliss, le Syrian Protestant College, ancêtre de l’AUB, était né. En 1867, l’école de médecine est créée et en 1870, cinq premiers étudiants reçoivent leur diplôme. Jusqu’en 1902, Daniel Bliss poursuivra, inlassablement, sa mission au sein de l’université qu’il a édifiée. Durant près de quarante ans, il tentera, d’après ses propres termes, de «jeter les bases sur lesquelles on pourrait bâtir la grandeur». Assurément, encore une mission non moins réussie que la précédente pour le révérend Bliss, si l’on jette un coup d’œil au palmarès des étudiants qui, avant de devenir chefs d’État, éminents écrivains ou chercheurs, sont passés par les bancs de l’AUB. Bliss ne serait probablement pas venu au bout de ses peines sans le soutien des autres pères fondateurs, à savoir David Stuart Dodge, professeur de langues modernes, Harvey Porter, professeur d’histoire et John Wortabet, professeur de dissection et de physiologie, qui ont tous conduit en terre libanaise femmes et enfants, par amour du savoir et de la transmission de ce savoir, par fascination de ces terres d’Orient et par goût de l’aventure. D’ailleurs, tous ces professeurs, quoique initialement anglophones, étaient des puristes de la langue arabe qu’ils possédaient parfaitement – jusqu’en 1882, les cours seront donnés en arabe à la SPC. Cependant, le rapport avec les populations autochtones n’était pas toujours le même. En effet, si Cornelius Van Alen Van Dyck, professeur de pathologie, de médecine interne, de chimie et d’astronomie s’était complètement intégré à la culture arabe dont il arborait la tenue vestimentaire, en revanche George Edward Post, professeur de chirurgie et de botanique, reconnu pour son zèle religieux et messianique, essayait souvent de modifier certains us et coutumes locaux. L’affaire Darwin L’affaire Darwin est entrée dans les annales de l’histoire de l’AUB et même celle du Liban, tant par ses faits que par ses répercussions ponctuelles et futures. C’était en 1882, lors d’un discours donné par l’un des pères fondateurs, Edwin Rufus Lewis, professeur de chimie et de géologie, dans lequel il cite Charles Darwin en tant qu’homme de science. Il n’en fallut pas plus pour susciter l’ire des enseignants les plus orthodoxes, qui rejetaient les théories évolutionnistes, car contraires à leurs convictions religieuses. Après une sourde lutte entre conservateurs et libéraux au sein de l’université et la division des pères fondateurs en deux camps, le professeur Lewis démissionna. Son départ entraîna celui de plusieurs enseignants et étudiants, qui constituèrent par la suite le gros des effectifs d’une école de médecine qui venait d’ouvrir à l’époque, l’Hôpital grec-orthodoxe. Une autre conséquence majeure de cette affaire fut l’arrêt des cours en langue arabe, vu le fait que la majorité du corps enseignant bilingue avait démissioné et qu’il ne fut pas aisé par la suite de trouver une qualité identique d’enseignants. Quelques années après le départ du professeur Lewis, la théorie darwiniste fut rétablie et, avec elle, le respect accordé de manière inhérente à toute théorie, idéologie ou simple idée même minoritaire, même a priori choquante et indécente. Par peur de rééditer l’affaire Darwin, l’AUB a su devenir le lieu où les idées les plus folles, les plus absurdes coexistent en toute sérénité. Joyce LIYAN
Ils auraient pu faire carrière chez eux, aux États-Unis. Ils auraient pu s’enrôler dans l’armée, et faire la guerre de sécession. Ils auraient pu surtout échouer sous d’autres cieux, peut-être plus cléments. Il n’en fut rien. Le destin de ces sept Américains s’est confondu avec celui de l’un des plus grands établissements universitaires du Moyen-Orient,...