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Actualités - OPINION

Le récit d’un médecin libanais Il y a cinquante ans, un miracle de Noël : la greffe du rein

Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1952, à l’heure du réveillon de Noël, un événement majeur se produisait. Une équipe chirurgicale prélevait pour la première fois, dans l’histoire, le rein d’une mère vivante pour le greffer à son fils. Les circonstances et les conséquences de cet événement méritent d’être rappelées avant que ne s’évanouisse son souvenir de notre mémoire collective. Quelques jours avant Noël 1952, un jeune charpentier, Marius Renard, âgé de 16 ans, tombe d’un échafaudage. Il se reçoit sur le flanc. À l’hôpital où il est admis d’urgence dans un état grave, on diagnostique une rupture du rein. Lors de l’intervention, le rein éclaté doit être enlevé. Son état général se rétablit rapidement. Les jours suivants, il est ambulatoire et commence à se nourrir, mais il n’a point d’urine. On comprend alors qu’il était né avec un rein unique, ce rein qui a été traumatisé et enlevé. Cette éventualité arrive une fois sur 2000 naissances et est compatible avec une vie normale. La dialyse n’existait pas à l’époque et la survie sans fonction rénale ne dépassait pas une dizaine de jours. La maman insiste pour qu’on lui prélève un de ses reins et qu’on le greffe à son fils. Les médecins sont réticents. Ils lui expliquent que, bien que techniquement bien réglée, la greffe n’avait pas encore permis chez l’animal des survies durables, autorisant son application chez les humains. Mais devant l’insistance acharnée de la maman et la détérioration rapide de l’état de son fils, ils procédèrent, sans beaucoup d’illusions, à l’intervention. Celle-ci eut lieu à l’hôpital Necker, à Paris dans la nuit de Noël, sous la supervision du professeur J. Hamburger. L’équipe chirurgicale comprenait les docteurs Michon, Vaysse et Oeconomos. Un interne libanais, le docteur Assaad Rizk, aidait à l’opération de prélèvement. Le rein greffé se mit rapidement en marche et pendant trois semaines, tout alla bien pour la donneuse et son fils. L’événement fit sensation dans le monde. La grande presse s’empara de l’événement, mais malheureusement, les choses tournèrent mal vers la 3e semaine. Voici, pour la petite histoire, une version de cette fin tragique. Le professeur Michon était à l’aéroport attendant l’avion pour Stockholm où il devait recevoir un prix Nobel spécial, quand il reçut un coup de fil de son interne, l’informant que Marius s’est arrêté d’uriner. Il revint sur ses pas et pratiqua une réintervention qui montra un rein œdématié, étranglé par sa capsule. Il pratique une décapsulation qui se révéla inefficace et le patient décéda. C’était un rejet dû à une réaction immunitaire du receveur contre le corps étranger représenté par le rein du donneur. On n’en connaissait pas le mécanisme et on ne savait pas le maîtriser comme on le fait actuellement à l’aide des médicaments immunosuppresseurs puissants qui, maintenant, préviennent et contrôlent les rejets dans la plupart des cas. Mme Gilberte Renard était toujours vivante 50 ans après son don, menant une vie normale avec son rein unique et elle avait présidé en 1972 à San Francisco un Congrès de donneurs d’organes dont elle était la doyenne, et où je devais avoir l’occasion de la rencontrer. Elle était, dans sa peine, consolée d’avoir largement contribué à paver la voie qui devait mener à la guérison d’innombrables personnes. Les réactions à cette tentative incomplètement réussie étaient discordantes. D’abord, les médias qui avaient loué, à outrance, la prouesse de l’équipe chirurgicale n’a pas ménagé ses critiques, relevant l’aspect quasi expérimental de cette greffe. Doute, déception et découragement hantaient l’esprit des médecins soignants. D’outre-Atlantique, par contre, vint une approbation sans réserve de la part des néphrologues américains, exprimant leur compréhension et leur admiration à leurs collègues parisiens. Cette épreuve fut le déclic qui déclencha la course vers de rapides progrès. Les succès à Boston dès 1954 de la greffe entre jumeaux vrais, l’identification à Paris des groupes tissulaires par Dausset, la découverte des immunodépresseurs, en Angleterre, sont parmi les quelques performances qui ont rendu la transplantation d’organes une thérapeutique bien codifiée avec des résultats durables. Des centaines de milliers de personnes sont aujourd’hui vivantes grâce aux organes qu’on leur a greffés : rein, foie, cœur, pancréas, etc. Parmi les grands contributeurs à cette « épopée « médicale, figure le nom de Peter Medawar, de père libanais et de mère anglaise. Ses travaux sur l’immunologie permirent de comprendre le mécanisme des rejets. Il obtint, en 1960, le prix Nobel de médecine et fut, à cette occasion, invité par le regretté Émile Boustani, à visiter le Liban. Une rue de Beyrouth près de l’Unesco porte le nom de Peter Medawar. Un prix International spécial appelé « Medawar Prize » est octroyé tous les deux ans à des chercheurs en transplantation. En ce Noël 2002, les milliers de personnes dans le monde qui attendent un organe et dont la vie est suspendue à un coup de fil ne devraient point oublier ce Noël de 1952, le Noël chirurgical de l’hôpital Necker, Noël du courage et de l’espoir. Professeur Antoine GHOSSAIN
Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1952, à l’heure du réveillon de Noël, un événement majeur se produisait. Une équipe chirurgicale prélevait pour la première fois, dans l’histoire, le rein d’une mère vivante pour le greffer à son fils. Les circonstances et les conséquences de cet événement méritent d’être rappelées avant que ne s’évanouisse son souvenir de...