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Actualités - OPINION

Le vent d’hiver souffle sur les relations Bkerké-Baabda

Selon ses confidents, le président Lahoud assistera bien cette année à la messe de Noël à Bkerké, pour sacrifier à la tradition, mais n’aura pas à cette occasion un aparté avec le patriarche Sfeir. Cela sans doute pour marquer qu’à ses yeux, le prélat représente un recours purement spirituel et non politique. Qui devrait limiter son attention aux questions ecclésiales. Le chef de l’État ne se rendrait donc au patriarcat que pour des dévotions religieuses. Ses visiteurs ajoutent qu’il attend d’ailleurs des hommes de la foi de toutes confessions un intérêt exclusivement consacré aux affaires du culte. En vertu de la devise messianique : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Les mêmes sources relèvent que pour Baabda, il ne faut plus que l’on voie un religieux diriger un mouvement politique et un autre en faire de même en face. Car de la sorte, le Liban se présente comme un puzzle confessionnel disloqué, au lieu d’être une seule et même entité nationale. Pour sa part, le patriarche Sfeir répète depuis des années qu’un religieux ne fait en aucun cas de la politique, mais ne peut absolument pas se désintéresser des problèmes vitaux des gens. C’est une obligation première dans un Orient où les membres d’une communauté se tournent naturellement vers son guide pour lui confier leurs soucis, leurs souffrances. Il ne peut faire autrement que de répercuter leur voix, surtout quand ils se plaignent de tourmentes graves comme l’injustice et l’oppression. Bien évidemment, l’Église n’est étrangère à rien de ce qui est humain. Qu’il soit chrétien ou musulman, l’homme de religion ne vit pas dans une tour d’ivoire, mais parmi les fidèles. Il les écoute, et il a le devoir de transmettre aux autorités l’appel recueilli. Sans se mêler de politique professionnelle, il lui incombe de presser les responsables afin d’améliorer une situation qui donne lieu à des plaintes. Il ne s’occupe pas de tracer la ligne que l’État doit suivre, c’est-à-dire sa politique. Il n’intervient pas pour des nominations ou pour des portefeuilles. Il se fait simplement l’écho de ceux qui viennent à lui dans l’épreuve. C’est pourquoi Kornet Chehwane et d’autres groupements ont pris corps. Le patriarche Sfeir a toujours appelé à la solidarité entre tous, chrétiens et musulmans, car la nation ne peut s’édifier que dans une telle unité, confortée par un système démocratique égalitaire, où personne ne doit avoir l’impression d’être un vainqueur ou un vaincu. Le cardinal n’a pas cherché à jouer de rôle public d’ordre politique, mais des circonstances historiques l’y ont obligé. Il souligne qu’en tout cas il n’a ni armes ni milice comme d’autres... En réalité, c’est toujours lorsque le rôle des leaderships chrétiens s’efface, ou se trouve gommé, que Bkerké s’efforce de combler le vide. Le patriarche Arida s’était élevé contre le Mandat français et contre les monopoles. Le patriarche Méouchy s’était dressé contre la reconduction du président Chamoun. Le cardinal Sfeir lui-même a contribué d’une manière primordiale à faire passer Taëf. Il a beaucoup enduré pour aider le Liban à franchir la porte d’une nouvelle République. La disparition des figures de proue chrétiennes ou leur mise à l’écart ont projeté Bkerké sur le devant de la scène publique. Les loyalistes, à de rares exceptions près, évitent de l’affronter directement et les opposants prennent soin de se placer sous son ombrelle. Chacun attend le sermon dominical du patriarche ou le communiqué mensuel de l’assemblée des évêques qu’il préside. La religion ne s’entend plus sans politique, ni l’inverse. Cela ne signifie pas cependant que le patriarche monopolise le leadership chrétien ni qu’il prétend assumer le pouvoir. Il est avec Kornet Chehwane tant que cette formation suit la voie juste. Il ne voit pas pourquoi Mgr Béchara devait cesser d’héberger la Rencontre dans son diocèse et cesser d’en faire partie. Car ce n’est une question ni de personne ni de site, mais de discours politique national. Sans le poids de Bkerké, le déséquilibre aurait été encore plus prononcé, le désespoir aurait régné à l’Est. Le patriarche a toujours combattu pour que l’on corrige les failles graves, les dérapages dans l’application des accords de Taëf. Or, ni la parité dans les nominations n’a été assurée, ni un code électoral équitable établi, ni une participation effective obtenue, ni une même loi appliquée à tous, ni une réforme accomplie, la corruption restant souveraine. L’on a attisé les ressentiments confessionnels au lieu de promouvoir la solidarité nationale. Il y a eu le manifeste épiscopal de septembre 2000, cette sonnerie d’alarme qui a fait retenir tout haut ce que tout le monde murmurait. À l’heure actuelle, les ponts sont donc rompus entre Bkerké et Baabda. Il y a quelque temps on parlait de dialogue. Mais cela a buté sur des conditions, comme le désistement de Mgr Béchara. Les médiateurs tentent de mettre un prix à une telle exigence, de manière à sortir de l’impasse. Ils souhaitent qu’à l’occasion de la Noël le président et le patriarche puissent se parler en tête à tête, briser le gel, afin qu’un vrai dialogue puisse s’engager. C’est ce même objectif que des parlementaires loyalistes se sont fixé. En précisant qu’ils sont prêts à discuter de tout, présence syrienne comprise. Le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, souligne que l’Église reste la colonne vertébrale du rôle chrétien au Liban, ajoutant que Bkerké assume une tâche qui est en rapport avec une logique nationale politique. À savoir, tout simplement, que l’existence même du Liban est la question qui compte le plus. Émile KHOURY
Selon ses confidents, le président Lahoud assistera bien cette année à la messe de Noël à Bkerké, pour sacrifier à la tradition, mais n’aura pas à cette occasion un aparté avec le patriarche Sfeir. Cela sans doute pour marquer qu’à ses yeux, le prélat représente un recours purement spirituel et non politique. Qui devrait limiter son attention aux questions ecclésiales....