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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Justice biaisée, libertés massacrées, démocratie délabrée, estime l’ancien chef du gouvernement Hoss : « Je suis prudent mais non pessimiste quant aux effets de Paris II »

Depuis sa défaite aux élections législatives de 2000, l’ancien Premier ministre, Sélim Hoss, se consacre à l’action nationale qu’il mène désormais hors des institutions étatiques, tout en précisant qu’il ne cherche plus à reconquérir le pouvoir. Aujourd’hui, il incarne une opposition qui se veut « constructive », et qu’il pratique quotidiennement par ses multiples écrits et prises de position critiques à l’égard du gouvernement. Dans une entrevue accordée à L’Orient-Le Jour, M. Hoss fait le point sur les derniers développements survenus sur la scène politique. De la politique économique du gouvernement au projet de budget 2003, en passant par le problème des libertés et de la justice, autant de thèmes sur lesquels l’ancien Premier ministre a fini par développer une réflexion mûrie, détachée de toute considération politicienne. Concernant Paris II, et contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, M. Hoss n’est pas nécessairement pessimiste. Il reste « prudent », comme il dit, dans la mesure où le succès ou l’échec (relatif) de cette rencontre dépendra de la nature des décisions et des mécanismes mis en place, qui, dans certains cas, seraient plutôt bénéfiques à l’économie libanaise. C’est par contre un tableau sombre que dresse l’ancien chef du gouvernement sur la situation des libertés, reflétée notamment par la fermeture de la MTV qu’il dénonce avec virulence. Ses propos sont également teintés de morosité lorsqu’il parle de l’opposition. Avec son calme légendaire, toujours égal à lui-même, cet ancien ténor de la politique nous parle à cœur ouvert d’un Liban fragilisé, certes, mais qui a toujours des chances de remonter la pente. Sélim Hoss commente, d’abord, le plan de réformes financières élaboré par le Premier ministre, Rafic Hariri, dans le cadre des préparatifs de la conférence de Paris II. Il applaudit au « premier plan enfin établi par le gouvernement Hariri ». Bien qu’il arrive en retard – « voilà plusieurs années que je reproche à ce gouvernement l’absence de planification » – l’important est qu’un plan en bonne et due forme ait finalement été adopté, dit-il. Par la suite, il incombera au Parlement de demander des comptes à la lumière de ce document, relève M. Hoss, qui reste convaincu que le Premier ministre a été acculé à présenter ce plan qui constituait une des conditions préalables à la tenue de Paris II. Rappelant que M. Hariri a de tout temps boudé tout ce qui s’appelle planification à long terme « croyant, à tort d’ailleurs, que seuls les régimes socialistes recourent à de tels plans », M. Hoss se félicite du fait que le gouvernement ait finalement changé d’avis. Sélim Hoss est-il de ceux qui croient que Paris II ne résoudra pas pour autant les problèmes financiers du pays ? Contrairement à son ministre des Finances de l’époque, Georges Corm, qui estime que cette conférence n’est que « de la poudre aux yeux », M. Hoss nuance ses propos à ce sujet. « Les aspects positifs dont on parle sont parfois exagérés, affirme-t-il. Mais Paris II a des chances d’aboutir à des résultats concrets. Toute la question est de savoir dans quelle mesure on peut parler de véritable réussite », souligne-t-il. Une position réaliste L’ancien Premier ministre distingue trois types d’attitude à l’égard de Paris II. Une attitude pessimiste, une attitude optimiste et une dernière, qui est la sienne, qu’il qualifie de « réaliste ». « Les pessimistes tentent d’en minimiser à l’avance les résultats estimant que le maximum que le Liban espère tirer de cette rencontre est un plafond de 5 milliards de dollars en prêts ou garanties à un taux d’intérêt de 5 %. Cela signifie une baisse du taux d’intérêt de 7 % sur le service de la dette » (qui est de 12 % actuellement), affirme M. Hoss. Ainsi, dit-il, on économisera près de 350 millions de dollars annuellement sur les trois milliards de dollars de déficit, c’est-à-dire 10 % du service de la dette. « Ce sera déjà un acquis ». Quant aux plus optimistes, ils estiment que l’afflux de fonds au Liban se répercutera positivement sur les taux d’intérêts qui vont automatiquement baisser. L’État pourra par la suite contracter des dettes en dehors de Paris II à des taux d’intérêt plus bas, assure l’ancien chef du gouvernement. D’où une réduction consécutive des taux d’intérêt sur les dépôts bancaires et une redynamisation des investissements et de l’économie dans son ensemble. « Il y a enfin la position dite réaliste, qui est la mienne », dit-il. Pour M. Hoss, il faudra d’abord savoir si « l’aide » promise se fera sous forme de prêts directs ou de garanties. Dans le premier cas, il s’agit de nouveaux flux de capitaux en provenance de l’étranger. « Cela va inéluctablement entraîner une baisse du taux d’intérêt, mais dont on exagère toutefois l’importance », souligne-t-il. Dans le second cas, qui est, selon lui, l’hypothèse la plus probable, l’État pourra s’endetter sur la base des garanties qui lui seront octroyées à des taux réduits. Dans ce cas de figure, deux possibilités sont à envisager, poursuit M. Hoss : soit l’État émet des bons du Trésor auxquels pourraient souscrire la Banque centrale ou les banques libanaises et, dans les deux cas, il n’y aura pas de nouvelles rentrées d’argent, donc pas d’influence sur les taux d’intérêt. Soit l’État émet des eurobons qui seront souscrits par des étrangers, une formule dont les répercussions seront plus positives sur les taux d’intérêt. Sur l’efficacité des mesures supplémentaires prévues par le gouvernement, telles que les privatisations, l’ancien Premier ministre souligne que quelles que soient les actions envisagées, tant que celles-ci ne s’intègrent pas dans un plan économique de sauvetage, elles ne serviront à rien. « Une privatisation sans plan permettra de récupérer 5 milliards de dollars qui permettront de réduire le service de la dette sur un an et demi, déclare M. Hoss. Puis, ce sera le retour à la case départ, sauf que l’État aura perdu entre-temps tous les secteurs vitaux ». M. Hoss revient à la charge pour critiquer le manque de transparence dans la présentation du budget. Il rappelle à ce titre qu’il existe près d’un milliard de dollars d’impayés ( pour la CNSS, les municipalités, les hôpitaux, etc.) qui n’ont pas été comptabilisés dans le nouveau budget. Ainsi, le déficit n’est plus de 25 %, comme le prévoit le gouvernement, mais de 35 à 37 %, souligne-t-il. L’ancien Premier ministre, qui se dit être aux antipodes de la politique haririenne, reconnaît toutefois que l’actuel gouvernement a adopté, depuis quelque temps, des mesures « positives » en vue de la réduction du déficit budgétaire. Interrogé sur les rumeurs faisant état d’une éventuelle réconciliation avec M. Hariri à l’occasion d’un dîner, M. Hoss affirme : « Ce n’est pas un dîner qui me fera abandonner mes positions. Un grand fossé me sépare de M. Hariri qu’une simple rencontre ne saurait combler ». Il relève toutefois qu’au cours de ces dîners – « car il y en a eu plusieurs » – il n’a véritablement pas eu l’occasion de discuter avec M. Hariri. Ce qu’il lui reproche exactement ? « Sa politique de dépenses outrancières, et son abus de l’argent politique », souligne-t-il. L’opposition doit être nationale Sélim Hoss n’est pas moins critique par rapport à la situation politique interne, notamment la question des libertés et l’attitude de l’opposition qu’il accuse d’être « à caractère confessionnel ». Mettant Kornet Chehwane, la Rencontre parlementaire de concertation et la Cellule Hamad dans le même sac, il reproche à tous ces rassemblements de se comporter en véritables ghettos communautaires. Même si leurs discours sont en apparence dénués de toute connotation confessionnelle, « leur attitude prouve le contraire », dit-il. Il déplore en outre le fait que KC « se soit regroupé sous l’égide d’un responsable religieux » et n’ait jamais accueilli un non-chrétien. À la question de savoir pourquoi les musulmans dits de l’opposition (Omar Karamé, Hussein el Husseini et lui-même ) n’ont jamais pris d’initiative pour se rapprocher de KC, ou du moins fonder une opposition nationale, M. Hoss répond en disant que, pour lui, il n’est pas question de faire partie d’un rassemblement qui, dès le départ, se voulait monochrome. « D’ailleurs, je n’ai jamais été invité à rejoindre KC. Par contre, j’ai été sollicité par un rassemblement musulman auquel j’ai refusé d’adhérer ». « Je dois toutefois avouer que nous avons tenté tous les trois (Husseini, Karamé, Hoss) de mettre sur pied une opposition nationale sur le modèle de la rencontre parlementaire qui existait au temps où j’étais encore député. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé nos pendants chrétiens, dont la plupart étaient déjà regroupés au sein de KC », dit-il en allusion à Boutros Harb, Nayla Moawad et Nassib Lahoud qui faisaient partie du regroupement parlementaire auquel appartenait M. Hoss. M. Hoss n’écarte pas toutefois l’éventualité d’un rapprochement entre les divers pôles de l’opposition – chrétiens et musulmans – suite à un éventuel effritement de KC, que certains milieux loyalistes prédisent. « Le Liban a plus que jamais besoin d’un rassemblement national et démocratique doté d’un programme précis », affirme-t-il. Cependant, l’ancien Premier ministre n’a pas que des reproches à faire à KC. « Je les rejoins sur certaines positions, telles que leur soutien à la MTV dans son épreuve de force avec le pouvoir. Dès le début, j’ai affirmé que la décision judiciaire était erronée », souligne-t-il. Une position qu’il partage avec l’Ordre des avocats et les plus grands juristes tels que Edmond Naïm et Hassan Rifaï, qui ont unanimement dénoncé la position de la justice, fait remarquer l’ancien chef du gouvernement. « Est-il donc possible que tous ces gens-là aient tort et que l’avis du juge (déclarant la décision de fermeture) soit le seul valable ? », s’interroge-t-il. Va-t-il jusqu’à dire, comme certains, que la justice est politisée ? « Ce n’est pas moi qui le dit. C’est le président (sortant) du Conseil supérieur de la magistrature, Nasri Lahoud, qui l’a clamé haut et fort (jeudi dernier) en déclarant que la justice était devenue semblable à n’importe quelle administration, complètement inféodée au pouvoir exécutif ». Sélim Hoss persiste et signe : « La justice n’est pas encore parvenue à s’imposer en tant que pouvoir indépendant. Tant que les nominations des juges, leur promotion et leur transfert dépendent du pouvoir exécutif qui peut les sanctionner ou les récompenser, on ne peut pas parler d’indépendance », dit-il. À l’origine de l’hérésie qui a abouti à la fermeture de la MTV, le fameux article 68 appliqué arbitrairement à la télévision de l’opposition, alors que plusieurs infractions avaient été commises par d’autres médias. Il reconnaît ainsi que Télé-Liban ainsi que la Future TV auraient dû subir le même sort, pour avoir fait respectivement sa propre promotion (celle de M. Hoss) ainsi que celle de M. Hariri. Quoi qu’il en soit, précise l’ancien Premier ministre, on ne comprend toujours pas cette « condamnation à mort » de la MTV alors que l’article 68 prévoit une fermeture totale et non définitive. Selon lui, plus rien ne justifie aujourd’hui la répression des libertés, en tout cas certainement pas les arguments sécuritaires avancés par le pouvoir. « Il ne s’agit là que de simples prétextes », conclut M. Hoss. Jeanine JALKH
Depuis sa défaite aux élections législatives de 2000, l’ancien Premier ministre, Sélim Hoss, se consacre à l’action nationale qu’il mène désormais hors des institutions étatiques, tout en précisant qu’il ne cherche plus à reconquérir le pouvoir. Aujourd’hui, il incarne une opposition qui se veut « constructive », et qu’il pratique quotidiennement par ses...