Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Roumieh - Le patriarche Sfeir a célébré la messe, remettant en question l’efficacité de la sanction Le reliquaire de sainte Thérèse a transfiguré la prison et illuminé les cœurs des détenus(photos)

Sainte Thérèse de Lisieux a réussi hier un miracle : toucher le cœur des détenus les plus endurcis et donner une lueur d’espoir à tous ceux qui se sentent rejetés, abandonnés, exclus du monde des vivants. La patronne des plus démunis et des prisonniers ne pouvait terminer son séjour au Liban, sans une escale au centre de détention de Roumieh, transformé pour l’occasion en église de plein air. Sous les feux agressifs des projecteurs braqués sur la cour intérieure et les rayons pâles de la lune, le patriarche maronite, le cardinal Sfeir, a célébré une messe servie par des prisonniers vêtus de blanc, en présence des représentants du président Lahoud, du Premier ministre Hariri et du ministre de l’Intérieur. Un grand moment d’humilité, où les hommes libres – ou qui croient l’être – et les autres se sont unis dans une même ferveur, celle du besoin de rédemption. Les drapeaux, les banderoles, les portraits de sainte Thérèse et les bougies installées sur le toit ne parviennent pas à donner un air de gaieté à la prison centrale de Roumieh, qui connaît pourtant une animation inhabituelle. Ce 15 novembre est un jour à marquer d’une pierre blanche pour les quelque 5 000 prisonniers. Leur triste routine est bouleversée et, une fois n’est pas coutume, ils pourront voir de près le patriarche maronite, les officiels et des civils venus saluer le reliquaire de sainte Thérèse, la patronne des détenus. Suivant l’exemple du pape Jean-Paul II qui a, à plusieurs reprises, visité les prisonniers en France et en Italie, le patriarche a tenu à célébrer personnellement la messe dans la cour de la prison. Caritas et l’association qui s’occupe des prisonniers, présidée par le père Élie Nasr, ont veillé sur l’organisation, en collaboration étroite avec la direction de la prison, qui a tout fait pour que cette occasion soit pour les détenus un souvenir mémorable. Mais, en dépit de toutes les bonnes intentions, il n’est pas question de mélanger les genres. Les invités au milieu et les détenus des deux côtés, interdits de communiquer avec les hommes libres. Comme la cour est trop petite pour contenir tous les détenus, il a fallu en choisir près de 500. Selon des informations recueillies un peu au hasard, les détenus auraient été sondés et choisis en fonction de leur bonne conduite, et de leur motivation. La plupart sont donc chrétiens, mais des musulmans ont aussi demandé à assister à la messe. Les autres resteront collés aux grillages de leurs cellules regardant avidemment l’extraordinaire scène qui se déroule dans ce lieu sinistre où ils traquent chaque jour pendant quelques minutes les rayons du soleil. Soudain, la cour triste semble illuminée À 15h30, les préparatifs sont terminés, les invités installés avec quelques entorses au protocole et le reliquaire trône devant l’autel. On n’attend plus que le patriarche maronite qui arrive à 16h, accueilli par les applaudissements des détenus. La prison semble brusquement illuminée : tous ces hommes de religion, toutes ces roses, toute cette émotion, on en oublierait presque les murs gris, l’odeur d’humidité et le grillage noir qui laisse à peine entrevoir des mains tendues et des yeux brillants. Le ministre Georges Frem, représentant le chef de l’État, le ministre Ghassan Salamé, le président du Conseil, et le commandant en chef des FSI, le général Saïd Eid, le ministre de l’Intérieur, sont au premier rang et la messe peut commencer. Les voix pures de la chorale Saint-Élie et celle, puissante, de Wadih Safi s’élèvent vers le ciel, alors que les détenus essaient de se concentrer. Vêtus de longues robes blanches, certains prisonniers sont choisis pour servir la messe et, avec leur air grave, on leur donnerait le Bon Dieu sans confession. Mais tous ceux qui assistent à la messe sont des détenus jugés pour des crimes divers, dont le trafic de drogue, l’assassinat d’un proche, un accident de voiture, ou des affaires confuses, voire injustes, comme c’est le cas de Habib Younès, qui finira mardi de purger sa peine. Younès lira d’ailleurs une partie de l’épître, consacrée à l’amour et au pardon, comme un message adressé aux autorités et destiné à montrer que son cœur est purifié de toute rancœur. Remise en question du bien-fondé de la détention Mais le plus beau message est l’homélie du patriarche, largement inspirée du discours de Jean-Paul II aux prisonniers de Paris, en 1998. Le cardinal Sfeir remet ainsi en question le principe de la sanction par la prison, qui, dans la plupart des cas, a montré ses limites, puisque la détention n’a pas réussi à réduire le crime et, parfois, a transformé un petit criminel en professionnel du meurtre. Sfeir parle aussi de sainte Thérèse qui a choisi elle aussi la prison, mais celle de l’amour de Dieu et se trouve aujourd’hui au Liban, accueillie par les musulmans et les chrétiens, pour aider ce pays et ceux qui l’habitent à trouver la voie de la rédemption. Comme l’heure de l’iftar approche, des prières musulmanes se font entendre. Elles viennent de la cellule des détenus de Denniyé, qui rappellent ainsi leur existence à cette foule recueillie. Quelques gardes froncent les sourcils, se regardent entre eux, mais l’incident est vite oublié et la messe se poursuit dans la plus grande ferveur. En fait, la ferveur est surtout du côté des détenus, émerveillés de pouvoir vivre un tel instant et de croire, ne serait-ce que le temps d’une messe, à leur possible réinsertion dans la société. C’est d’ailleurs ce point que retiendra le député Ghassan Moukheiber, avocat des causes difficiles de son métier. « C’est une merveilleuse leçon contre l’exclusion, dit-il, la preuve que, pour tout homme, il y a toujours une seconde chance, mais aussi que chaque individu, même le plus coupable, a droit à la dignité. » L’espace d’une messe, les détenus de Roumieh ont eu l’illusion d’être des hommes comme les autres, égaux devant Dieu et non plus jugés par les tribunaux et par la société. Grâce à la petite sainte, ils ont pris conscience que le reste du monde ne les a pas vraiment oubliés et tous se sont précipités pour communier, poussant même les gardes qui voulaient le faire avant eux. Ce sont même des prisonniers qui ont passé la bénédiction aux présents, civils ou militaires, par le serrement des mains. Mais la parenthèse s’est très vite refermée et alors que le patriarche et les autres officiels inauguraient un dispensaire de la prison, financé par les évêques d’Italie, les prisonniers ont pu se recueillir devant le reliquaire avant de regagner leurs cellules. Débarrassée de cette foule en prière, la cour de la prison est redevenue froide et triste, presque hostile sous la lumière crue des projecteurs. Mais ce soir, la magie d’une messe et l’amour de sainte Thérèse permettront aux détenus de se sentir moins seuls. Il en faut bien plus, toutefois, pour qu’ils s’ouvrent de nouveau à la vie. Scarlett HADDAD
Sainte Thérèse de Lisieux a réussi hier un miracle : toucher le cœur des détenus les plus endurcis et donner une lueur d’espoir à tous ceux qui se sentent rejetés, abandonnés, exclus du monde des vivants. La patronne des plus démunis et des prisonniers ne pouvait terminer son séjour au Liban, sans une escale au centre de détention de Roumieh, transformé pour l’occasion...