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Actualités - OPINION

Le désenchantement, ce mal que génèrent les déséquilibres chroniques

Comment traduire fidèlement le terme de « ihbat », devenu synonyme du bulletin de santé de l’Est sociopolitique ? C’est un mélange d’amertume, de découragement, de révolte rentrée, face aux retombées d’une certaine oppression. Mais aussi face à un manque d’union interne, aggravé pendant des années par l’absence d’une ferme direction collégiale. L’Est a connu sa première lourde désillusion avec l’assassinat de Béchir Gémayel. Il y a eu ensuite la guerre fratricide intestine, suivie de l’éviction de Michel Aoun et de la capture de Samir Geagea. Il y a eu l’application tronquée, discriminatoire, de Taëf, qui a provoqué le boycott des élections de 92, point de départ d’une mise à l’écart de la vie politique. Le « ihbat » a été chanté comme un fado par des artistes, il a inspiré des œuvres littéraires, des envolées de chaire académiques ou religieuses. Et les professionnels l’ont analysé d’une manière exhaustive, dans des articles, dans des essais, dans des discours, dans des déclarations. Rien n’en est venu à bout, bien qu’il y ait eu de notables sursauts d’espoir. Comme lors de la visite du pape en 97 ou du fameux retour de Sfeir d’une tournée aux Amériques, sans compter sa tournée dans la montagne. Mais ces épisodes d’éclaircies ont été rapidement gommés. Soit par de nouvelles élections préfabriquées, soit par des réactions immédiates, brutales, comme en août 2001. Cependant, l’émergence de Kornet Chehwane a redonné un peu d’espoir à l’Est politique. La crainte, maintenant, est de voir ce groupe s’effondrer sous les coups qui lui sont portés ou se disloquer par suite de divergences accentuées entre ses membres. Le camp dit chrétien se retrouverait une fois de plus sans direction. Ou, plus exactement, sans un porte-parole habilité à en répercuter les revendications. En pratique, cela signifierait sans doute que le mouvement d’exode, d’émigration des chrétiens, jeunes en tête, deviendrait irrépressible. En 92, Karim Pakradouni constatait tout à la fois que les chrétiens traversaient une phase redoutable mais qu’ils étaient habitués, par leur histoire, à vivre les crises. Il ajoutait en substance que les mahométans devaient réaliser que s’ils n’ouvraient pas la participation aux chrétiens, ce serait la partition, avec son cortège de guerres confessionnelles interminables. Dès cette époque, Pakradouni notait que l’environnement mahométan se trouvait marqué par trois tendances: les islamistes qui voyaient dans le recul chrétien une occasion pour de nouveaux acquis; les fondamentalistes pour qui ce mouvement allait permettre d’accélérer la mise en place d’un État à caractère musulman ; les civistes, enfin, pour qui la déroute chrétienne risquait d’entraîner de sévères difficultés pour les musulmans eux-mêmes, comme pour le Liban. C’est cet avis, évidemment, que Pakradouni partage. Et il lançait alors aux responsables : « Ne perdez pas le partenaire chrétien. Sauvegardez les chrétiens, vous sauvegarderez les musulmans. Les chrétiens sont, les chrétiens doivent être. S’ils n’existaient pas, il vous faudrait les inventer. » Et à ses coreligionnaires, il conseillait, toujours en substance, de ne pas désespérer, ni d’eux-mêmes ni de la patrie. De comprendre qu’ils étaient une partie indissociable du Liban comme de la région. En ce temps-là, il y a dix ans, Pakradouni estimait que la régression chrétienne avait commencé en 1973, lorsqu’un président aussi fort que Frangié avait dû faire machine arrière face aux Palestiniens, en ordonnant à l’armée de regagner ses casernes, pour laisser les organisations palestiniennes se répandre hors des camps. Frangié avait conseillé à Pierre Gémayel que les chrétiens ne comptent plus que sur eux-mêmes et ils avaient commencé à s’armer, pour contrer les Palestiniens fortement armés. Plus tard, Élias Sarkis avait essayé de rétablir les équilibres. Il répétait qu’il ne voulait rien arracher à personne ni rien céder non plus à quelqu’un. Qu’il n’était pas contre la convention du Caire, mais pour son application effective. Qu’il ne souhaitait pas voir les Syriens se retirer par la force ou par des traités qui lui seraient imposés. Mais qu’il fallait entre les deux pays des relations d’États véritablement indépendants. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, mais ce thème reste d’actualité. Quant aux rapports intérieurs, dès 92 Pakradouni demandait aux musulmans de ne pas rééditer l’erreur commise avant eux par les chrétiens, à savoir le refus de la participation de l’autre au pouvoir. Émile KHOURY
Comment traduire fidèlement le terme de « ihbat », devenu synonyme du bulletin de santé de l’Est sociopolitique ? C’est un mélange d’amertume, de découragement, de révolte rentrée, face aux retombées d’une certaine oppression. Mais aussi face à un manque d’union interne, aggravé pendant des années par l’absence d’une ferme direction collégiale. L’Est a...