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Actualités - OPINION

Terrorismes

À l’heure où la planète tout entière se mobilise contre le fléau du terrorisme qui, après l’Amérique, après Bali, se déclare aujourd’hui en Russie À l’heure où tous les gouvernements montrent patte blanche ou se refont en toute hâte une virginité, où l’on voit même la Syrie coopérer à fond avec les États-Unis pour recenser et traquer les réseaux d’el-Qaëda, ce qui lui vaut d’ailleurs d’échapper aux foudres du Congrès US, qui a le Hezbollah dans son collimateur À l’heure où le Liban, par les voix conjuguées du président Lahoud et du Premier ministre Hariri, dénonce fermement la gigantesque prise d’otages de Moscou À l’heure où se produit tout cela, et au moment précis où Beyrouth bat le rappel de tous ses amis pour obtenir enfin la réunion de la conférence du salut économico-financier, Paris II, ou pour exploiter en toute sécurité les eaux du Wazzani, à quoi donc se réduit l’actualité dans notre beau petit pays ? Au honteux, au révoltant étalage d’une forme de terrorisme non moins abjecte, dangereuse et condamnable que celle pratiquée par Ben Laden et consorts. Ce qu’on a là aujourd’hui, c’est un terrorisme politique et sectaire dont on serait allé jusqu’à souhaiter qu’il fût pour le moins intellectuel si ne l’interdisait rigoureusement la rhétorique primaire, obscurantiste de ses sombres adeptes. Ce que ces excités veulent faire croire – avec, et c’est bien cela le plus grave, la bénédiction tacite ou explicite des autorités –, c’est que le Rassemblement de Kornet Chehwane n’est qu’un ramassis d’agents manipulés du dehors et qu’en organisant une manifestation pour protester contre la fermeture de la chaîne MTV, il n’a d’autre objectif que de plonger le pays dans les affres de la discorde confessionnelle. Tiens, tiens ! la défense des libertés publiques serait-elle donc la préoccupation des seuls chrétiens, chrétiens suspects de surcroît ? Si la réponse est oui, ce ne serait évidemment pas très flatteur pour ceux qui leur en font reproche avec tant de véhémence. Et si l’on cherche avec tant d’obstination à frapper du sceau d’infamie, à diaboliser un RKC regroupant pourtant des personnalités notoirement modérées dont certaines ont même participé très volontiers aux divers gouvernements de l’après-guerre, pourquoi a-t-on entrepris de le faire à partir de plates-formes aussi ouvertement sectaires que la Rencontre nationale islamique ? Où sont donc les gardiens de la loi face à de telles menées indiscutablement confessionnelles, elles, et qui menacent très directement, très réellement cette fameuse « sécurité de l’État » invoquée à tout bout de champ contre l’opposition ? Une manifestation par-ci, une contre-manifestation par-là, deux contraires qui s’annulent faute de permis de défiler dans la rue – pas de jaloux – et le tour est joué : plus d’une fois, la formule a fait recette et le même mécanisme se trouve déjà enclenché. Pour faire bonne mesure, peut-être même verra-t-on réapparaître dans le centre-ville (et sur les écrans satellites du monde entier) les hordes de fanatiques menaçant les « traîtres » de leurs coutelas, hachoirs et hachettes sous le regard indifférent, pour ne pas dire craintif , des forces de l’« ordre ». Toutes ces dérives, ce n’est pas seulement du déjà-vu : c’est du prévisible, de l’attendu, du convenu, du programmé. Ce qui surprend, qui heurte, qui consterne en revanche, c’est de voir un Walid Joumblatt se mettre soudain au même diapason ou presque que le chœur téléguidé, lui qui fut, l’an dernier, la cible privilégiée de ce même terrorisme politique que l’on dirait élevé désormais au rang d’institution. Mort et enterré le Liban de papa, celui de Michel Chiha, Charles Hélou et Georges Naccache, comme l’affirmait jeudi le chef du PSP ? Peut-être bien, mais n’est-ce pas aller un peu vite – et y aller en tout cas trop fort ! – que de claironner l’avènement d’un Liban « patriotique, islamique et résistant » ? Cela n’équivaudrait-il pas à la négation même d’un pays qui n’est supposé être ni chrétien ni musulman, mais la patrie commune des diverses branches de la grande famille spirituelle libanaise ? Et le leader druze, dont la fibre arabe s’accommode fort bien d’une culture et d’un style de vie très occidentalisés, se reconnaîtrait-il lui-même, conserverait-il le poids politique qui est le sien dans une république qui serait de coloration unique ? Quelle espérance de progrès tous ces tristes développements peuvent-ils laisser subsister parmi notre jeunesse impitoyablement sacrifiée, une fois sur l’autel de la guerre et une seconde fois sur celui de l’après-guerre ? Veut-on leur fourrer dans le crâne à nos jeunes, ce sel de la terre libanaise, ce trésor que nous exhortait il y a quelques jours à préserver Jacques Chirac, qu’il est non seulement malséant mais antipatriotique de rêver d’indépendance, de souveraineté, de liberté et de justice ? Et qu’il leur reste tout juste le choix entre les courants jusqu’au-boutistes et la soumission, entre l’aventurisme et l’aliénation ? Il y a déjà assez de pousse-au-crime qui circulent en toute liberté, en toute impunité, au grand effarement d’une population soucieuse de normalité. S’il faut maintenant y ajouter les semeurs de désespoir et de désillusion... Issa GORAIEB
À l’heure où la planète tout entière se mobilise contre le fléau du terrorisme qui, après l’Amérique, après Bali, se déclare aujourd’hui en Russie À l’heure où tous les gouvernements montrent patte blanche ou se refont en toute hâte une virginité, où l’on voit même la Syrie coopérer à fond avec les États-Unis pour recenser et traquer les réseaux...