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Actualités - CHRONOLOGIE

Justice - La Cour de justice poursuit le procès du « tueur de l’Unesco » « Ils m’ont achevé, j’ai voulu les achever à mon tour », avait déclaré Ahmed Mansour avant de sortir sa mitraillette, affirme un témoin

À la deuxième audience de son procès devant la Cour de justice, Ahmed Mansour, le « tueur de l’Unesco », reste une énigme. Après avoir invoqué au cours de son précédent interrogatoire des mobiles confessionnels, suite à des insultes contre l’islam proférées par un de ses collègues et aux encouragements de certains autres, il s’est présenté hier comme un malade, souffrant de maux divers, dus – cerise sur le gâteau – au traumatisme provoqué par le débarquement israélien dans son village en 1997. Il retrouve toutefois sa lucidité pour donner des leçons de morale aux témoins, s’écriant, quand leurs dépositions ne lui conviennent pas : « C’est un blasphème de proférer des mensonges devant la Cour de justice. » Au bout de cinq heures, le président Nasri Lahoud, qui a commandé des médicaments pour l’inculpé, lève l’audience, fixant le prochain rendez-vous au 4 novembre pour la poursuite de l’audition des témoins. Dans la salle de la Cour de cassation, rénovée depuis quelques mois et plongée dans une agréable lumière, grâce à ses vitres peintes en bleu, Ahmed Mansour attire tous les regards. Ceux de la cour, bien sûr, qui essaie de comprendre ses mobiles sans le juger avant la fin de son procès, des représentants du parquet, le procureur Addoum et Mme Ammache, des avocats de la partie civile, de l’avocat de la défense Ibrahim Hariri, mais aussi de ses collègues survivants du massacre et des proches des victimes, vêtus de noir, dont certains ne cessent de s’essuyer les yeux. Se sachant l’objet de l’attention générale, Ahmed Mansour multiplie mimiques et poses, dans l’espoir d’attendrir l’assistance. Il se tient le front, se masse les muscles, met la main sur le cœur ou baisse la tête, tout en s’arrangeant pour bien vérifier qu’on le regarde. Après son interminable interrogatoire, à l’audience précédente, lorsqu’il a lancé sa bombe confessionnelle dans la salle, il choisit désormais de se taire, sans quand même se faire oublier. D’emblée, son avocat, Me Ibrahim Hariri, déclare d’ailleurs à la cour qu’il n’est pas d’accord avec la théorie développée la dernière fois par son client, mais si ce dernier y tient, cela le regarde. Toutefois, l’avocat a visiblement conseillé à son client de se taire cette fois. Me Hariri essaie de montrer que son client n’est pas sain d’esprit et qu’il a agi sous le coup de la folie et Ahmed Mansour, par ses plaintes constantes, tente d’accréditer cette thèse. Le mythe s’est écroulé, il veut se venger Pour le procureur Addoum, par contre, Ahmed Mansour est tout à fait sain d’esprit et son mobile principal est l’effondrement du mythe qu’il avait créé autour de sa personne, dans son village de Loubié, en se faisant passer pour un notable et en roulant dans une Mercedes « chabah ». En perdant cette voiture, qu’il a été contraint de rendre à son propriétaire, il a perdu cette identité dont il était si fier. D’ailleurs, interrogé par son avocat, qui souhaite le montrer sous le jour d’un honnête homme, capable de s’endetter pour payer les frais de scolarité des pauvres de son village, Mansour révèle que beaucoup de villageois se rendaient chez lui pour lui demander de l’aide. Il était même le président honoraire du club sportif de Loubié et il parrainait des festivals pour les enfants, allant même jusqu’à payer la banderole accrochée en son honneur et portant la mention suivante : « Ce festival est organisé sous le patronage d’oustaz Ahmed Mansour. » Lorsqu’il est entré à la mutuelle des enseignants des écoles privées, il y a 24 ans, Mansour touchait 450 livres. Au moment du drame, le 31 juillet, il percevait un million de livres. Mais malgré cela, il trouvait moyen d’aider les pauvres, de sponsoriser des activités sportives et de jouer au notable. Il affirme pourtant ne pas avoir d’autres ressources que son salaire (et les dettes), jusqu’à ce que Addoum lui rappelle, preuves à l’appui, qu’il travaillait aussi dans une boulangerie, touchant 30 000 LL par jour. Mansour finit par le reconnaître, précisant que la boulangerie appartient à ses frères et qu’il y travaille quelques jours par mois. Addoum lui demande encore si le mouvement Amal payait la scolarité de ses enfants et il répond : « Je ne payais qu’un forfait symbolique de 250 000 LL par enfant » (il en a quatre), bien que l’école ne soit pas publique. L’avocat continue à lui poser des questions sur ses relations avec ses collègues. Il répond qu’elles étaient parfaites, puisqu’il avait même ramené des cadeaux à deux d’entre eux de son voyage en Égypte, en juillet. Il s’agissait de Carlos Salamé qu’il a tué quelques jours plus tard, et de Yola Salamé, sur laquelle il a tiré, mais celle-ci l’a frappé, faisant tomber la mitraillette, qui s’est enrayée, mettant ainsi un terme au massacre. Mais tous ces détails, nous les saurons plus tard, en écoutant les témoins. « Nous étions comme des frères » Pour l’instant, Ahmed Mansour répond à une question de son avocat : a-t-il senti une persécution confessionnelle à la mutuelle ? Il répond le plus calmement du monde : « Nous étions tous des frères et même plus. » Lorsque le 25 juillet, la directrice de la mutuelle le convoque dans son bureau pour le sommer de rembourser ce qu’il doit à la caisse, il est parfaitement calme et accepte l’idée de faire une procuration à Sami Ammache, pour qu’il encaisse ses indemnités (grâce auxquelles il pourra rembourser ses dettes), et de rendre la Mercedes à celui qui la lui a vendue moyennant un chèque de 13 000 dollars. À la cour, il dit toutefois qu’il a été retenu prisonnier dans le bureau de la directrice, pendant que les autres allaient chercher la voiture, puis le vendeur. Ces propos seront contredits par le témoin Sami Ammache. Le 25 juillet, Mansour rentre chez lui en taxi-service et à ses proches qui lui demandent où est passée la « chabah », il répond qu’elle est au garage, ne voulant pas gâcher sa belle image au village. Et à la question de savoir s’il avait des problèmes de santé, il affirme commencer à avoir des « maux de tête » et prendre des calmants, après le débarquement israélien dans son village. D’ailleurs, il se trompe de version, commençant par parler du massacre de Cana, mais c’était en 1996. Il se trouble et finit par parler du débarquement à Loubié, en 1997. Après avoir voulu passer pour un héros auprès de sa communauté, comme étant celui qui venge les chiites opprimés, il joue la carte du résistant, marqué par les horreurs israéliennes dans son village. Mais son avocat, lui, préfère la version de la maladie. Le Dr Zein Mouawiya est alors introduit. Médecin des FSI, il a examiné le tueur lorsqu’il était aux arrêts à la caserne de Ramlet el-Beida. Selon le médecin, Mansour était parfaitement sain d’esprit et de corps, ne donnant aucun signe d’une grande émotion, d’une fatigue ou de la moindre faiblesse. Ce qui pousse l’avocat à lui demander si un médecin généraliste peut, après un examen d’une heure, décider qu’un patient est sain d’esprit. Et le médecin répond que s’il avait été sous le coup d’une grande émotion, cela se serait traduit par une certaine fébrilité. Le médecin légiste Loutfallah Abou Sleimane est ensuite introduit et explique que, selon les balles retirées des corps des victimes, il peut dire que dans certains cas, il y a eu acharnement et dans d’autres, une certaine clémence. Il précise que le tueur a probablement tiré à plusieurs reprises sur certaines victimes. Des calmants C’est ensuite le tour du Dr Ali Dghaylé, originaire de la même région que Mansour et qui l’a opéré de la rate en 1998. Visiblement très proche de l’inculpé, le Dr Dghaylé précise que ce dernier lui parlait de maux de tête et qu’il lui faisait une ordonnance pour un calmant, le Dianxid, que lui avait prescrit un autre médecin. Le président lui demande s’il lui établissait l’ordonnance pour qu’il se fasse rembourser par la Sécurité sociale et le Dr Dghaylé répond par une dénégation offusquée. Comment un chirurgien pouvait-il prescrire des calmants ? Le témoin répond que son patient les lui demandait. Défilent ensuite les collègues d’Ahmed Mansour, certains ne voulant même pas le regarder, d’autres essayant de le défendre. Chacun raconte le drame à sa manière, mais tous tremblent en évoquant ces moments terribles. La défense cherche par ses questions à montrer qu’il n’était pas dans son état normal en tirant à bout portant sans réfléchir et le parquet veut prouver le contraire, montrant qu’il a bien choisi ses victimes, toutes liées à ses problèmes d’argent. En tout cas, les 5 témoins qui ont défilé à la barre ont catégoriquement nié qu’il y ait eu un esclandre entre Roméo Kabalan et des solliciteurs, au cours duquel le premier aurait insulté l’islam et les musulmans, provoquant l’ire de ses collègues qui ont poussé Ahmed à réagir. Par contre, tous ont eu vent de ses problèmes d’argent. Si Salaheddine Zein cherche visiblement à le protéger, tout en ne se mouillant pas, d’autres précisent qu’il a bien cherché ses victimes, demandant où est Roméo pour le tuer. Avant de commettre son crime, Ahmed Mansour est entré dans le bureau de Zein et lui a dit : « Ils m’ont achevé. Je vais les achever à mon tour. » Puis il a sorti sa mitraillette et son revolver de sa mallette et comme Salaheddine lui disait : « Ma fille est dehors », il lui a demandé de l’appeler pour la prévenir, avant de se diriger vers le bureau de Moussa Chouéri pour le tuer. « Menteur », crie Mona en tremblant de colère Interrogée, sa fille, Ghina, donne sa version, précisant qu’elle avait tellement peur qu’elle n’osait même pas regarder pour voir ce qui se passait. Mais le témoignage le plus émouvant est celui de Mona Kanso, qui raconte comment elle était avec Aminé Zein, Yola Salamé et Gisèle Ghostine lorsqu’il est entré, recherchant Roméo Kabalan, le dernier qui restait sur sa liste. Il tire sur Yola Salamé, qui, blessée, trouve moyen de le frapper, faisant tomber la mitraillette. Il en a alors pris une autre qui s’est enrayée. Il est ensuite sorti, prenant le temps d’allumer une cigarette et au moment où il descendait l’escalier, la police l’a arrêté. Mansour s’écrie alors : « C’est infâme de proférer des mensonges devant la Cour de justice. Rafraîchis ta mémoire, Mona. Cesse de mentir. » Mona se fâche et prend son sac avant de se diriger vers la sortie, mais la cour la rappelle. « Vous ne pouvez pas partir comme cela. Confirmez-vous ce que vous avez dit ? » « Oui », dit-elle d’une voix ferme, et elle s’en va. À la porte de la salle, elle crie de toutes ses forces : « Menteur ! », avant d’être poussée vers l’extérieur. Les échos de son cri résonnent dans la salle, mais l’audience doit se poursuivre. Il n’y a plus d’éléments nouveaux. Mansour et son avocat se débattent avec des détails macabres sur le nombre de balles tirées, la distance entre le tueur et sa victime, le parcours de l’assassin, etc. Les questions de la défense paraissent tellement inutiles au président qu’il demande à l’avocat de les résumer et celui-ci s’énerve, puis décide de bouder, inaugurant une nouvelle stratégie de défense. Il est vrai que sa mission est particulièrement difficile : huit personnes assassinées pour un mythe... Même si le tueur est fou, il ne peut être excusé. Mais le plus insupportable est que dans le box des accusés, Ahmed Mansour ne montre à aucun moment le moindre signe de remords. Non, le seul regret qu’il manifeste pour l’instant, c’est celui d’avoir été pris. Scarlett HADDAD
À la deuxième audience de son procès devant la Cour de justice, Ahmed Mansour, le « tueur de l’Unesco », reste une énigme. Après avoir invoqué au cours de son précédent interrogatoire des mobiles confessionnels, suite à des insultes contre l’islam proférées par un de ses collègues et aux encouragements de certains autres, il s’est présenté hier comme un malade,...