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Actualités - ANALYSE

Le Sommet de Beyrouth fera date dans l’histoire de la francophonie ; le jugement contre la MTV brise l’élan Vingt-quatre heures après les réussites et les espoirs, le Liban affiche sa désolante schizophrénie

En sept jours, chaque événement, chaque discours, chaque poignée de main aura été à la hauteur des espérances. Le Sommet de Beyrouth est une réussite incontestable, il fera date, certainement, dans l’histoire de la francophonie. Sauf qu’hier, en totale contradiction avec la Déclaration de Bamako, qui a été une des épines dorsales de ces assises, le Liban a montré son autre visage. Après avoir brillé de tous ses feux, autorisé les rêves les plus inattendus, il a rejeté le recours introduit par les avocats de la MTV, prohibée depuis le 4 septembre dernier. Chronique d’un bel élan – brisé. Dimanche 13 octobre : « Une semaine ample commence aujourd’hui. » L’homme qui a tout conçu, tout réglé, Ghassan Salamé, ne pensait pas si bien dire. Beyrouth allait accueillir, gérer, des dizaines de chefs d’État, de gouvernement, de délégation, des centaines et des centaines de ministres, de conseillers, de collaborateurs, des milliers de journalistes. Des dizaines de réunions, de minisommets parallèles, le politique, le social, l’économique, le culturel, la coopération, tout bouillonnait. Dimanche 13 octobre : « La francophonie, une tribune pour un nouvel humanisme. » Ces mots sont ceux du chef de l’État, Émile Lahoud. Les Libanais applaudissent, mais demandent à voir, au-delà des mots, la mise en pratique quotidienne d’un quelconque humanisme – ancien, nouveau, peu importe. Dimanche 13 octobre : L’Assemblée internationale des instituts et des réseaux francophones des droits de l’homme annonce la prochaine et louable création d’un centre francophone pour l’analyse et la prévention des conflits. Paix, démocratie et droit de l’homme à l’honneur, dans le sillage de la Déclaration de Bamako (une des épines dorsales du Sommet de Beyrouth). Dimanche 13 octobre : Le dialogue francophone entre jeunes de 15 à 19 ans avec Boutros-Ghali, Hamadé, Salamé, à l’Unesco tourne au débat sur la situation des libertés au Liban. La télévision du Hezbollah lance un bulletin d’informations en français – une langue, ultime rempart contre la déferlante yankee ? Dimanche 13 octobre : Boutros-Ghali à L’Orient-Le Jour : « Un peu plus d’ambition n’aurait pas fait de mal, au contraire. » Il parlait, bien évidemment, de la francophonie pré-Beyrouth. Préhistorique... Lundi 14 octobre : Ghassan Salamé, toujours à L’Orient-Le Jour : « La pire menace, ce n’est pas l’hégémonie, c’est la marginalisation. » Le ministre de la Culture est parmi ceux qui ont le plus œuvré pour l’indispensable politisation de l’institution francophone, sa survie donc. D’autant plus que l’on a déjà une idée de certains des thèmes de la future Déclaration : le P-O, la Côte d’Ivoire, le terrorisme, le dialogue des cultures. Lundi 14 octobre : Une conférence de presse commune avec plusieurs ONG, organisée par la Fédération internationale des droits de l’homme, dresse un bilan affligeant des libertés publiques au Liban. Pendant que des membres des services de renseignements faisaient irruption dans le centre de conférences où se tenaient les travaux de l’Assemblée francophone des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix. Pour récupérer toute la littérature utilisée, ainsi que les noms des avocats libanais qui y participaient. Mardi 15 octobre : Jacques Chirac à L’Orient-Le Jour : « Les jeunes du Liban sont extraordinaires, redonnez-leur confiance ! » Le président français a souhaité que le Liban tire toutes les conséquences de la Déclaration de Bamako qui renferme, entre autres préceptes politiques, « une certaine idée des droits de l’homme et de la défense de ces droits ». Il a indiqué que les réformes et le budget Hariri étaient « indispensables pour le succès de Paris II », soulignant que l’accord de Taëf « doit être poursuivi jusqu’à son terme », dans l’intérêt du Liban et de la Syrie. Mardi 15 octobre : Le premier round de la Conférence ministérielle de la francophonie (CMF) confirme ce que d’aucuns pensaient, prévoyaient et désiraient : les premiers pas de la francophonie vers une salvatrice politisation. Tandis que certains points de la Déclaration de Beyrouth faisaient déjà l’objet d’âpres querelles. Mardi 15 octobre : Ghassan Salamé livre sa conception de la nouvelle francophonie – un laboratoire, une tribune, une antichambre à la mondialisation –, Boutros-Ghali rappelle qu’elle doit exister pour promouvoir l’État de droit, et Pierre-André Wiltzer, au nom de la France, se félicite que cette francophonie « sait muer, qu’elle accroît sa crédibilité et démontre de mieux en mieux son utilité ». Quant au patron de TV5, l’un des opérateurs de la francophonie, il estime que celle-ci est un « espace de solidarité ». Mardi 15 octobre : Le principal pôle d’opposition, Kornet Chehwane, dans l’implacable collimateur du pouvoir depuis des jours, condamne la campagne de répression, en rappelant les valeurs de la francophonie. Mercredi 16 octobre : La CMF termine ses travaux, un large consensus entre les ministres se dessine, les points en suspens seront tranchés par les chefs d’État. Mercredi 16 octobre : Les étudiants en sit-in à l’USJ s’adressent à la planète francophone : « Sauvez-nous de la Syrie. » Quatre d’entre eux seront blessés à l’issue d’affrontements avec les forces de l’ordre. Mercredi 16 octobre : La XXIIe assemblée générale des capitales et métropoles ayant le français en partage confirme les soutiens qui ont été ou qui seront offerts aux villes de Beyrouth et de Zahlé. Mercredi 16 octobre : La Semaine de la gastronomie des pays francophones, organisée pour la deuxième année consécutive à Beyrouth, a remporté un grand succès. Au menu : spécialités françaises, libanaises, marocaines, vietnamiennes, belges, suisses, etc. Jeudi 17 octobre : Jacques Chirac sous l’hémicycle. Aux dirigeants du pays, aux responsables libanais, il demande de « ne laisser personne au bord du chemin ». Il estime que c’est « l’évolution vers la paix qui permettra un retrait complet des forces syriennes », et annonce Paris II « dans les toutes prochaines semaines ». Enfin, surtout, il appelle les députés « à défendre la démocratie, les droits de l’homme et les libertés ». Le seul problème : la grosse majorité de ces députés a l’oreille particulièrement dure. Jeudi 17 octobre : « Il faut donner une chance à l’initiative arabe », demande Émile Lahoud. « La tolérance et le dialogue régissent les relations entre les Libanais », insiste Nabih Berry. Si seulement... Vendredi 18 octobre : Le politique s’installe enfin en francophonie. Les discours de six chefs d’État représentant les quatre coins de la planète au cours de la cérémonie solennelle d’ouverture du IXe Sommet. Pour Jacques Chirac, la francophonie « a vocation à faire la paix », « le recours à la force ne saurait être qu’un ultime recours », « la logique du droit doit tous nous inspirer, car elle seule nous garantira durablement contre les tentations aventuristes », et, une nouvelle fois, ce credo, qui résonne encore dans l’espace beyrouthin : « Il n’y a pas d’authentique dialogue des cultures sans liberté et sans démocratie (...), il est grand temps de mettre en application la Déclaration de Bamako. » Réponse indirecte à son homologue Émile Lahoud qui l’a précédé à la tribune ? « Le Liban, lieu privilégié du dialogue des cultures », avait-il déclaré. Vendredi 18 octobre : Amr Moussa rend hommage à la position franco-canadienne sur l’Irak, la FIDH souligne une nouvelle fois que les libertés « sont en danger » au Liban et prie le Sommet de Beyrouth d’activer le mécanisme prévu par la Déclaration de Bamako. Reporters sans frontières accuse le Liban de bafouer la liberté de la presse. Vendredi 18 octobre : Remarquable et remarqué discours du président algérien, Abdelaziz Bouteflika. L’Algérie invitée pour la première fois à un sommet francophone. « Le français est un atout, pas une menace », dira-t-il en ouverture du premier round des travaux entre chefs d’État. Un premier round qui donne déjà le ton, mais les concertations ont été bon train. Samedi 19 octobre : Le huis clos politique (c’est une première) pleinement consacré aux affaires (politiques) de famille. Notamment africaines. Ce qui avait été décidé : la Déclaration de Beyrouth appuiera l’initiative arabe de paix pour le P-O, mais aucune allusion ne sera faite concernant l’Irak et le terrorisme. Et jusque tard dans la nuit, Abdou Diouf n’était pas assuré de succéder à Boutros Boutros-Ghali. « Des débats chaleureux, mais il ne faut pas attendre de miracles », prévenait, en conférence de presse, le porte-parole du chef de l’État. Samedi 19 octobre : Abdelaziz Bouteflika entretient le suspense sur l’adhésion de l’Algérie à l’OIF – mais un suspense positif. « Le terrorisme politique est battu en Algérie, il reste une forme de banditisme », assurera-t-il. Samedi 19 octobre : Les épouses des chefs d’État donnent un peu de joie aux orphelins beyrouthins. Samedi 19 octobre : Reporters sans frontières estime à raison que le journaliste franco-israélien, Gédéon Kutz, a « pris des libertés avec la légalité ». Bafouant sans vergogne toutes les lois de la bienséance, il avait envoyé, au vu et su de nombre de ses collègues, des correspondances en Israël. Dimanche 20 octobre : L’institution francophone a réussi sa mutation, en confirmant son avenir politique. Beyrouth, qui a accueilli le Sommet le plus politisé sans aucun problème majeur, a gagné son pari. La Déclaration de Beyrouth, in extremis et sur impulsion franco-libano-arabe, inclut l’Irak et le terrorisme, s’engage à mettre en œuvre la Déclaration de Bamako. Le plan d’action de Beyrouth insiste sur les quatre points cardinaux de la francophonie – ce sur quoi elle devrait travailler sans relâche : paix, démocratie et droits de l’homme ; promotion de la langue française, de la diversité culturelle et linguistique ; éducation de base, formation professionnelle et technique, enseignement supérieur et recherche ; coopération économique et sociale au service du développement durable et de la solidarité. Dimanche 20 octobre : Abdou Diouf désigné, également in extremis, pour la succession de Boutros Boutros-Ghali. « Priorité au dossier économique », déclare l’ancien président sénégalais. Dimanche 20 octobre : Ghassan Salamé explicite le succès du Sommet de Beyrouth, ainsi que celui, plus personnel, de Jacques Chirac, dans son face-à-face avec Washington. « Le Sommet a servi de tribune à l’expression d’une double peur : celle de l’unilatéralisme et de l’hégémonisme américains dans un monde unipolaire, et, avec encore plus de vigueur, la peur des plus faibles et des plus démunis d’être marginalisés par l’accélération de la mondialisation. » Lundi 21 octobre : Après avoir prouvé qu’il pouvait montrer sa face civilisée, soucieuse de surfer, le plus visiblement possible, sur les vagues des valeurs francophones, le Liban, le(s) chat(s) parti(s), se remet à danser cette danse que les Libanais ont désormais en horreur. Le recours introduit par les avocats de la MTV pour autoriser sa réouverture. La MTV ne sera-t-elle rouverte, ses employés ne recommenceront-ils à travailler, que lorsque les actions de la chaîne seront vendues, en majorité, à un allié libanais de la Syrie ? Si tel est le cas, que le Liban se dépêche de retirer sa signature du bas de la Déclaration de Bamako. Et que la planète francophone demande son renvoi. Ziyad MAKHOUL
En sept jours, chaque événement, chaque discours, chaque poignée de main aura été à la hauteur des espérances. Le Sommet de Beyrouth est une réussite incontestable, il fera date, certainement, dans l’histoire de la francophonie. Sauf qu’hier, en totale contradiction avec la Déclaration de Bamako, qui a été une des épines dorsales de ces assises, le Liban a montré son...