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Actualités - ANALYSE

Querelles réglées autour de la Déclaration de Beyrouth ; discours-surprise de la France en écho aux recommandations libanaises Le premier pas de la francophonie vers une salvatrice politisation

Ils étaient plus de cinquante, hier, dans les sous-sols du Phoenicia, représentant à eux seuls six cent millions de femmes et d’hommes ayant en partage une langue – le français –, et des valeurs – la francophonie. Plus de cinquante ministres (Affaires étrangères, Culture, Coopération ou Francophonie) qui se réunissent entre chaque sommet (au sein de la Conférence ministérielle de la francophonie, CMF), pour en assurer la continuité politique. Généralement, les ministres francophones préparent l’ordre du jour, en débattent, en règlent les moindres détails, et le proposent à leurs chefs d’État ou de gouvernement respectifs. Cet ordre du jour, cette moelle substantifique du sommet, était même, aux huit derniers sommets, carrément prémâché : les dirigeants francophones n’avaient plus, en gros, qu’à opiner de la tête en direction de la Déclaration finale en un OK condescendant et un tantinet fatigué. La galerie, ravie, applaudissait. Sauf que pour le IXe Sommet, qui s’ouvrira après-demain vendredi à Beyrouth, il semblerait que les choses ne se passeront pas exactement de la même manière. Certes, les ministres auront planché avec le même dévouement, la même énergie, voire la même abnégation. Mais cette fois ils n’auront pas l’apanage des palabres et des sueurs : les chefs d’État et de gouvernement travailleront tout autant. Ils se réuniront deux fois cinq heures à huis clos pour débattre des grands problèmes politiques de l’heure, quelle que soit l’étroitesse de leur(s) lien(s) avec la planète francophone. Pour la première fois dans l’histoire des sommets francophones, le politique se taillera une grosse part. Une part largement méritée. Premier signe probant que la francophonie institutionnelle a enfin décidé de commencer à se politiser. Lentement, mais sûrement. Il n’en était que temps. Et puisqu’il est de bon ton, comme toujours, de rendre à César ce qui est bien à lui : le Liban, par les bons soins de son ministre de la Culture chargé de la Francophonie Ghassan Salamé (également président en exercice de la CMF), a notablement contribué à cette nécessaire politisation. Cette nécessaire transformation de l’institution francophone en véritable organisation internationale, plutôt que sa pérennisation, somme toute bien suicidaire, en une simple agence de coopération. Discordes politiques Une politisation donc, qui s’est largement ressentie au cours des discussions vespérales des ministres. Puisque certains points de la Déclaration de Beyrouth ont provoqué d’âpres polémiques entre les différents participants. Et que ces pommes de discorde sont éminemment politiques. Sur la formulation de la diversité culturelle d’abord – en se souvenant qu’il est désormais clair, pour tous, que le culturel est aujourd’hui, encore plus depuis le 11/09/2001, foncièrement politiques : « Certaines délégations y ont vu un droit à l’ingérence culturelle. Les délégations arabes notamment (i.e. l’Égypte, la Tunisie, le Maroc, Djibouti, les îles Comores, la Mauritanie...), qui ont tout de même abondé dans le souverainisme primaire », a indiqué à L’Orient-Le Jour une source (évidemment) francophone, présente dans la salle de réunions et qui a requis l’anonymat. Second point de litige, encore plus politique : la question de Bamako. Dont la Déclaration, rendue publique le 3 novembre 2000, a insisté sur l’indispensable respect de la démocratie, des droits de l’homme, de la bonne gouvernance, des libertés publiques, etc., au sein des pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie. Une déclaration qui a fait, et qui a continué de faire, hier au Phoenicia, l’objet de nombreuses critiques de la part de certains de ces mêmes États membres – notamment les africains d’entre eux. Qui y voient un prétexte à de l’ingérence politique pure et simple dans les affaires internes d’un pays tiers. « Hier, les Africains n’ont pas été les seuls à critiquer la formulation de l’article de la future Déclaration de Beyrouth relatif à Bamako. Ils ont été soutenus, notamment, par les Tunisiens, les Vietnamiens et les Laotiens. Mais une formule de sortie de crise à été trouvée, vers 22 heures (hier), grâce à la pugnacité et à la diplomatie du ministre Salamé », a ajouté la source précitée. Il est clair, et les achoppements d’hier le prouvent, que cette politisation ne pourra pas naître sans douleurs, sans bruits, sans fureurs. Des cris qui pourraient se révéler particulièrement bénéfiques, pourvu que les décideurs de la planète francophone s’en inspirent pour consolider encore mieux les bases de la future (et on ne le répétera jamais assez) véritable organisation internationale que devra être la francophonie. Mais il est clair également que cette politisation salvatrice ne se concrétisera jamais sans la bonne volonté et la convergence de toutes les énergies de ces mêmes décideurs. France en tête. Et c’est en quoi l’intervention (qui a donné le la au seize autres hier) du ministre français délégué à la Coopération et à la Francophonie, Pierre-André Wiltzer, a heureusement surpris. Puisque ses mots, ses allusions, ses constats ont montré que la France, sans réelles concertations préalables avec Beyrouth (à l’exception de la rencontre de juin Salamé-De Villepin), a épousé la vision et les prévisions libanaises. Vœux pieux La preuve par A + B : « Au-delà de ces réformes indispensables à la croissance et à la plus grande efficience de notre coopération, nous devons nous interroger sur la composante politique de notre action, singulièrement dans le domaine que nous dicte l’actualité, et qui est celui de la gestion des crises. Il serait de l’intérêt de la Francophonie de faire avancer la réflexion dans le sens d’une meilleure capacité de décision des instances. Que pouvons-nous envisager ? Tout d’abord, la Déclaration de Bamako nous offre des possibilités d’action que nous n’exploitons peut-être pas à leur juste mesure. » Pierre-André Wiltzer laisse tout juste sous-entendre, en chuchotant, ce qu’un très grand nombre de francophones pensent tout bas ou disent tout haut : la Déclaration de Bamako reste souvent le triste et malheureux équivalent d’une kyrielle de vœux plus pieux les uns que les autres. Mais il continue : « Ensuite, nous pourrions nous interroger sur le mode de fonctionnement du (Conseil permanent de la francophonie) et, dans le strict respect de la Charte, voir quelles pourraient être les formules qui lui permettraient de réagir avec encore plus de célérité lors des situations de crise. Enfin, peut-être pourrions-nous aussi mener une réflexion, même si la question est large et délicate, à la constitution d’un groupe restreint d’action ministérielle au sein de la francophonie. Le Commonwealth a une telle structure, souple et efficace, composée d’une douzaine de ministres... », ajoute-t-il. Et lorsque l’on sait que ce Commonwealth qu’il évoque en ayant l’air de ne pas y toucher (et qui a dû faire grincer quelques dents, notamment belges ou québécoises) s’est trouvé, depuis quelques années, une seconde jeunesse bien joliment politisée... Et que la politisation de la francophonie n’irait pas sans quelques sacrifices de la France... C’est bon signe. « Je souhaite marquer d’entrée mon intervention en faisant part de la satisfaction de la France devant les progrès majeurs que connaît la francophonie institutionnelle depuis le Sommet de Hanoi de 1997. La preuve est apportée que la francophonie sait muer, qu’elle accroît sa crédibilité et démontre de mieux en mieux son utilité. » Les mots utilisés sont lourds de sens : « muer », « crédibilité », « utilité ». Comme un étrange écho au discours d’ouverture du président de la CMF, Ghassan Salamé. Qui, au lendemain d’une interview accordée à L’Orient-Le Jour et au cours de laquelle il avait expliqué l’urgence de la politisation de la francophonie, « la pire menace ce n’est pas l’hégémonie, mais la marginalisation », a donné en partage, hier au Phoenicia, sa conception, sa définition, de cette francophonie new-look. Après avoir évoqué la nécessité d’un « engagement plus ferme sur la voie de la réflexion politique et de la coopération solidaire » ; celle « d’établir une stratégie à long terme (dont le but serait d’)affirmer la place qui nous revient sur la scène internationale » ; après avoir affirmé que « l’initiative du Liban d’organiser un huis clos politique devrait sans doute être adoptée par les prochains sommets » ; après avoir salué la présence et le travail de l’Assemblée parlementaire francophone ; après avoir asséné, dans une allusion à peine voilée au locataire de la Maison-Blanche, qu’une « leçon bien constestable du 11 septembre est que les guerres préventives pourraient devenir une partie intégrante du droit international ou, du moins, de la pratique du droit par les plus forts » ; après avoir déclaré qu’il n’était « d’autre chemin que le dialogue interculturel pour faire entendre la voix de l’humanisme que la francophonie entend maintenir et transmettre » ; après avoir accusé Israël de refuser ce dialogue-là, et de bloquer un processus de paix « par la négation même des droits les plus légitimes de tout un peuple qui souffre, le peuple palestinien » ; et de la mondialisation « loin d’être le mal absolu parfois décrié ». Et cette définition d’une « nouvelle » francophonie, Ghassan Salamé l’a résumée en trois mots : une tribune, un laboratoire, une antichambre de la mondialisation. Quoi qu’il en soit, les travaux de cette CMF se poursuivront et se termineront aujourd’hui. En parlant terrorisme, Proche-Orient, Côte d’Ivoire. Et, surtout, en confirmant – on l’espère – la tendance, qui s’est nettement ébauchée hier, de cette mutation de l’entité francophone à laquelle ont notamment appelé Ghassan Salamé et Pierre-André Wiltzer. Une mutation pour une politisation accrue. Une mutation pour une renaissance. Un ancrage dans les exigences de l’actualité d’un troisième millénaire essentiellement culturel. « J’ai toujours pensé que l’avenir de notre mouvement ne dépendait pas seulement de la qualité du diagnostic qu’il faisait de la réalité, mais aussi de l’ardeur qu’il déploie pour la changer. Je suis persuadé que vous partagez avec moi cette double exigence », a conclu Ghassan Salamé à l’adresse de ses cinquante et quelque collègues. À eux tous, désormais, de s’employer à convaincre ceux sans qui aucun changement ne saurait ni ne pourrait être pérenne : les six cents millions de terriens francophones. Joli mais bien difficile challenge. Ziyad MAKHOUL
Ils étaient plus de cinquante, hier, dans les sous-sols du Phoenicia, représentant à eux seuls six cent millions de femmes et d’hommes ayant en partage une langue – le français –, et des valeurs – la francophonie. Plus de cinquante ministres (Affaires étrangères, Culture, Coopération ou Francophonie) qui se réunissent entre chaque sommet (au sein de la Conférence...