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Actualités - OPINION

Spécial francophonie Pluralité, liberté, unité, solidarité

Par Boutros BOUTROS-GHALI Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie Beyrouth se prépare à accueillir le IXe Sommet de la francophonie, du 18 au 20 octobre, sous le signe du dialogue des cultures. Reporté d’un an, en raison de la situation internationale, il est aujourd’hui encore plus d’actualité. Cinq ans après Hanoi, Beyrouth a rendez-vous avec une francophonie plus mûre et plus ouverte, qui vit à l’école du monde et qui se définit comme un «plus» dans la société internationale. Pour leur première rencontre en terre arabe, nos chefs d’État et de gouvernement sont ainsi invités à donner à la francophonie du XXIe siècle sa vraie dimension et sa pleine signification. La francophonie est aujourd’hui aux dimensions de notre planète. La voilà sortie de son monde pour s’inscrire dans le monde. Elle s’incarne dans une véritable organisation internationale forte de ses 55 États et gouvernements. Elle se fonde sur le partage d’une langue de dialogue : non seulement une langue de communication pour réduire les distances et de coopération pour réduire les disparités, mais une langue de médiation pour réduire les tensions. C’est à ce niveau que le dialogue des cultures, inhérent à la francophonie, sera traité à Beyrouth. Il y sera question du dialogue des cultures comme instrument de paix, de démocratie, de création et de développement. Il s’agira également de positionner la francophonie comme forum du dialogue des cultures dans le concert international, à l’heure où le nouveau «Cycle du développement» de Doha appelle une nouvelle lecture des liens entre culture, économie et démocratie. C’est en ce sens que je plaide souvent pour la démocratisation de la mondialisation. La francophonie vise en effet une meilleure insertion de ses membres dans la mondialisation. Elle s’oppose tout à la fois aux phénomènes d’uniformisation et d’exclusion. Nos ministres se sont retrouvés à maintes reprises, au cours du précédent biennum, pour donner corps à ces principes et jalonner les voies de la coopération francophone, que ce soit à Monaco pour l’économie, à Bamako pour la démocratie, à Cotonou pour la culture. Nos chefs d’État et de gouvernement s’attacheront quant à eux à consolider ces voies autour d’axes mobilisateurs touchant à la paix, la démocratie et les droits de l’homme, à la diversité linguistique et culturelle, à l’éducation et la formation et à la coopération économique et sociale. Ce sont là les quatre grands domaines d’intervention de notre Agence intergouvernementale et de nos opérateurs directs que sont l’Agence universitaire de la francophonie, l’Assemblée internationale des maires francophones, TV5 et l’Université Senghor d’Alexandrie. Ces grandes orientations prennent aujourd’hui une autre dimension dans l’action diplomatique de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). C’est ainsi que nous avons considérablement développé nos relations avec les organisations internationales, qu’elles soient mondiales, régionales ou communautaires. De même, nous nous sommes activement impliqués dans l’organisation de conférences mondiales, comme ce fut le cas pour celle de Durban contre le racisme, celle de Bruxelles sur les PMA ou, tout récemment, celle de Johannesburg sur le développement durable. Nous sommes, de plus, engagés dans la préparation du Sommet mondial sur la société de l’information prévu tour à tour à Genève et à Tunis. À l’échelle régionale, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique constitue également un cadre permanent de référence pour la francophonie. Le Sommet de Beyrouth ne manquera pas de renforcer encore la coopération et la concertation francophones avec les organisations internationales, car c’est à la fois l’un des lieux privilégiés du dialogue des cultures et la principale expression de la réforme institutionnelle de Hanoi. Mais encore faut-il que la francophonie trouve pleinement sa place dans les enceintes internationales. Le légitime souci de visibilité de notre organisation suppose un effort préalable de lisibilité. La francophonie existe certes par sa langue et par sa voix, mais elle se définit d’abord par son langage. Elle n’a pleinement de signification que par sa contribution à la communauté internationale. Comme l’exprimait admirablement Léopold Sédar Senghor, le langage de la francophonie relève de l’universel, qui se fonde précisément sur le dialogue des cultures. Je suis moi-même convaincu que l’apport original de la francophonie réside avant tout dans la promotion de valeurs communes. Il faut admettre que les intérêts de nos membres se recoupent mais ne se confondent pas, qu’il soit question de résistance culturelle, d’influence politique, d’émergence économique ou d’assistance technique. Il y a là des motivations dominantes, certes convergentes, voire partagées à des degrés variables, mais qui demeurent distinctes et qui appellent une alliance francophone. C’est donc dans l’ordre des valeurs qu’il faut rechercher les fondements de cette alliance. La francophonie n’a bien sûr le monopole d’aucune valeur mais il apparaît qu’elle a vocation à en illustrer certaines. C’est ce «plus» francophone, fondé sur des valeurs indissociables, que je me propose de décliner ici en «Pluralité», «Liberté», «Unité» et «Solidarité», dans l’espoir que ces valeurs fondamentales du dialogue des cultures puissent éclairer nos travaux dans quelques jours. La pluralité est à l’évidence inhérente à la francophonie : pluralité des langues et des cultures qui cohabitent avec le français tant à l’échelle francophone qu’à l’échelle mondiale, pluralité des variétés du français lui-même, pluralité des cultures que celui-ci véhicule, pluralité des modèles sociopolitiques. Voilà une valeur qui prend une forte résonance au pays du Cèdre où langues, cultures et confessions coexistent à tous les niveaux. Je veux rappeler, ici, au carrefour de l’Orient et de l’Occident, l’importance du dialogue arabo-francophone. N’oublions pas que l’arabe est, en dehors du français, la langue la plus parlée dans notre communauté et qu’il est, avec le français, l’une des six langues officielles des Nations unies. C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative d’organiser la première rencontre institutionnelle entre la francophonie et le monde arabe, comme je l’ai fait avec l’hispanophonie et la lusophonie notamment. C’est dans la même optique que nous nous sommes employés à redéfinir notre politique de promotion du plurilinguisme dans les organisations internationales. Il faut cesser de se replier sur soi et de poser la question des langues en termes de coûts de fonctionnement. Il ne s’agit pas simplement d’un problème technique, mais d’une grande cause internationale comme le sont, dans des registres différents, les droits de l’homme, l’environnement ou le développement. Le plurilinguisme est à la fois reflet de la diversité culturelle et gage de la démocratie internationale. C’est pourquoi je me plais à souligner que le plurilinguisme à l’échelle internationale relève de la même exigence démocratique que le pluripartisme à l’échelle nationale. C’est dire que pluralité rime avec liberté. Certes, la liberté ne s’incarne pas plus en francophonie qu’ailleurs mais, outre qu’elle est portée avec un souffle et un crédit particuliers par certains de ses membres, elle fonde l’ambition de notre communauté de permettre à chacun d’y accéder, grâce à une action collective et solidaire. De ce point de vue, la francophonie a connu des avancées considérables tant sur le plan normatif qu’opérationnel. Pour la première fois, elle a produit, en novembre 2000, à Bamako, un bilan sans concession de ses pratiques et mis au point un dispositif d’observation vigilante des libertés publiques dans son espace. Il appartiendra à nos chefs d’État et de gouvernement de conférer force et vigueur à la Déclaration et au projet de Plan d’action de Bamako. Il reste que sans unité, pluralité et liberté ne sauraient suffire à préserver notre communauté des divisions et des conflits, de l’incompréhension et de l’isolement. Ce qui fait l’unité de la francophonie, c’est bien entendu d’abord la langue française qui en constitue à la fois le ferment et le ciment. Elle est notre patrimoine vivant et indivisible mais elle est, à nos yeux, davantage un capital à valoriser qu’un héritage à préserver. Il suffit de songer à la diaspora libanaise pour mesurer sa vitalité dans le monde. Le Sommet de Beyrouth devrait être l’occasion de réaffirmer le rôle du français comme critère d’appartenance à la francophonie et de participation à la société internationale. L’unité de la francophonie prend aussi corps dans la solidarité. Il n’y a guère d’autres communautés qui regroupent un ensemble aussi disparate de pays aux richesses très inégales et aux appartenances multiples. Plus de la moitié des pays les moins avancés comme des pays africains sont membres de l’OIF. Dans ce contexte, la solidarité est non seulement une valeur, mais un impératif catégorique pour le développement et pour la paix. Là encore, le dialogue des cultures apparaît comme la réponse politique la plus urgente. Il a inspiré les efforts de facilitation et de bons offices que nous avons menés ces dernières années, en particulier en Afrique. Nous savons combien le Liban est proche de ce continent, notamment de la Côte d’Ivoire où nombre de ses ressortissants vivent actuellement, aux côtés du peuple ivoirien, les événements douloureux que traverse ce pays. Je suis certain qu’ici même, chacun ressentira de façon pressante la nécessité de ce dialogue pour la paix dans le monde, singulièrement au Proche-Orient. Face aux graves tensions qui pèsent sur la région et aux interminables crises et conflits dont elle souffre, le Sommet de Beyrouth sera, je l’espère, vécu comme un gage d’espoir. Il est capital qu’il fasse signe au monde, en puisant dans le dialogue des cultures et l’alliance francophone, la force, la lucidité et la générosité nécessaires pour répondre aux attentes que portent les valeurs illustrées par la francophonie. L’éditorial de M. Boutros-Ghali clôt notre série d’éditoriaux dédiés à la francophonie et qui a été entamée le 3 octobre avec Kofi Annan, puis Tahar ben Jelloun, Slimane Benaïssa, Amin Maalouf, Jean Daniel, Carlos Ghosn, Marc Lambron, Dominique Baudis, Jean-Paul Cluzel et Jean-Marie Rouart.
Par Boutros BOUTROS-GHALI Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie Beyrouth se prépare à accueillir le IXe Sommet de la francophonie, du 18 au 20 octobre, sous le signe du dialogue des cultures. Reporté d’un an, en raison de la situation internationale, il est aujourd’hui encore plus d’actualité. Cinq ans après Hanoi, Beyrouth a...