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Actualités - CHRONOLOGIE

Forum - À la Maison de l’Onu, rencontre entre Boutros-Ghali et des jeunes Le dialogue francophone se transforme en débat sur la situation des libertés au Liban(photo)

La liberté et la démocratie se portent mal au Liban. Et les jeunes des écoles des Saints-Cœurs l’ont crié haut et fort hier devant le secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Boutros Boutros-Ghali. C’est sur le thème « Les jeunes ont la parole », initiative prise par l’association des anciens des Saints-Cœurs et soutenue par l’Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF), qu’un débat a rassemblé à la Maison des Nations unies, place Riad el-Solh, des jeunes âgés de 15 à 19 ans et des responsables francophones libanais et étrangers. Officiellement, les jeunes étaient au nombre de 128, le même chiffre que celui de nos parlementaires siégeant place de l’Étoile, mais officieusement ils étaient beaucoup plus nombreux, venus avec leurs professeurs et leurs supérieurs des 17 collèges des Saints-Cœurs présents sur tout le territoire libanais. Et ils s’étaient bien préparés pour poser dix questions relatives à la francophonie et donner sept propositions aux francophones qui les écoutaient. Des questions et des propositions basées sur une enquête effectuée auprès des jeunes élèves des collèges des Saints-Cœurs. Une enquête qui montre que 24,6 % des jeunes interrogés attendent de la francophonie « un appui politique pour la liberté et l’indépendance ». Cette requête occupe la première place d’une liste de dix-sept propositions. C’est dire que le ton avait déjà été donné. Hormis les jeunes, en majorité des filles coiffées, maquillées et habillées pour l’occasion, qui se sont relayés pour poser des questions et présenter des propositions, on comptait, à la tribune, M. Boutros-Ghali, les ministres Marwan Hamadé et Ghassan Salamé, représentant respectivement le président de la République et le chef du gouvernement, M. Roger Dehaybe, administrateur général de l’Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF), M. Denis Gervais, délégué général du Québec en France, M. Éric Pinon, du ministère français des Affaires étrangères, et M. Paul Ismaël Ouedraogo, ancien ministre burkinabé et secrétaire général de la Commission de la francophonie pour la préparation du prochain sommet qui se tiendra à Ouagadougou. Mme Mervat Tallawy, secrétaire générale adjointe des Nations unies et secrétaire exécutive de l’Escwa, le sociologue Abdo Kahi, l’économiste Kamal Hamdane et le PDG d’an-Nahar, Gebrane Tuéni, étaient également présents à la tribune. La psychanalyste et ethnologue Viviane Germanos Ghazali, qui avait préparé, décrypté et commenté l’enquête effectuée auprès des adolescents, a merveilleusement rempli son rôle de modérateur. Prenant la parole, Mme Tallawy a souhaité la bienvenue à M. Boutros-Ghali, « l’homme qui était un jour maître des lieux (des Nations unies) et qui, pour essayer d’établir une paix dans toutes les perspectives politiques, économiques et sociales, a lancé deux visions clefs dans l’histoire moderne des nations : l’Agenda pour la paix (1992) et l’Agenda pour le développement (1994) ». Elle a souhaité que « le Sommet de la francophonie puisse pousser le monde vers la promotion de la paix, qui est devenue un besoin urgent pour tous les pays du monde et particulièrement pour les peuples de notre région ». S’adressant aux jeunes, M. Boutros-Ghali a relevé que « toutes les conférences, tous les programmes, tous les slogans resteront vains si la francophonie n’a pas l’assurance qu’elle est, d’ores et déjà, portée par les jeunes générations ; c’est vous qui incarnez l’avenir de la francophonie ». « La francophonie n’est pas seulement l’affaire des gouvernements, des diplomates et des experts, elle est aussi et surtout l’affaire de ceux qui la vivent au quotidien, sur le terrain, l’affaire des citoyens que vous vous apprêtez à devenir », a-t-il dit. Et le secrétaire général de l’OIF de poursuivre : « La francophonie incarne une volonté : celle de ne jamais abdiquer, ne jamais abdiquer devant l’accroissement de la misère et des inégalités dans le monde et devant le long et difficile chemin qui conduit à la démocratie, à l’État de droit, aux droits de l’homme, au nom de la liberté. » Dix élèves du collège des Saints-Cœurs se sont ensuite relayés à la tribune pour poser leurs questions. Que fait la francophonie pour contrer la mondialisation, pour sauvegarder le patrimoine et l’identité francophone, pour faire face à la progression de la langue anglaise ? Quel est le rôle de l’OIF dans le règlement des conflits mondiaux, dans la promotion de la femme, dans l’échange entre jeunes de la planète francophone ? Ce sont les hôtes du Liban qui ont expliqué aux élèves venus des 17 collèges des Sacrés-Cœurs le rôle joué par la planète francophone dans ces divers domaines. Soulignant que l’OIF intervient politiquement depuis le sommet de Hanoi (1997) dans plusieurs zones du monde, M. Boutros-Ghali a relevé que l’organisation a déjà surveillé le bon déroulement des élections dans divers pays de la planète francophone. Les jeunes ont également demandé quel rôle le Liban devrait jouer dans l’OIF, comment sa société pluraliste peut contribuer au dialogue des cultures. M. Salamé a pris la parole pour indiquer que bien avant le 11 septembre, le Liban avait été critiqué pour le choix du thème du sommet. Il a évoqué les événements du Liban, notant que le pays avait payé un lourd tribut quand le dialogue avait été rompu. Une rupture qui a coûté 130 000 vies. « Vivre dans un pays privé d’autonomie » Et puis, les jeunes se sont penchés sur les valeurs francophones, celles qui portent en elles la justice, l’État de droit, la démocratie, les droits de l’homme. Il a été question des rapports d’Amnesty international et de Human Rights Watch sur le Liban, la rafle du 7 août 2001 et d’autres exactions encore. Et ce sont les Libanais à la tribune, certes plus versés dans le sujet relatif aux atteintes aux libertés et à la démocratie, plutôt que MM. Boutros-Ghali, Dehaybe, Gervais et Pinon, qui ont pris la parole. M. Tuéni a souligné la nuance entre indépendance et souveraineté, M. Hamadé, représentant le président la République, a relevé que malgré tout, le Liban reste plus libre et plus démocratique que les autres pays de la région. Ensuite sept propositions pour le Liban ont été présentées à la tribune. Elles sont relatives notamment à un partenariat entre les écoles francophones, aux aides que la planète francophone devrait accorder aux étudiants, à la sauvegarde du patrimoine, au développement des régions ainsi qu’à la subvention et à la création d’une chaîne de télévision francophone. Avant de présenter l’une des propositions, une jeune fille s’est adressée à l’assistance pour rappeler l’histoire récente du Liban « quand les francophones ont été traités d’isolationnistes et mis au ban de la société alors que la France les a délaissés au profit d’autres priorités. Actuellement, ce sont ces mêmes francophones qui voient leurs pouvoirs politique, économique et social réduits », a-t-elle dit, confondant probablement les francophones avec la communauté chrétienne qui parle français grâce aux écoles missionnaires depuis plus de 150 ans, bien avant le Mandat français (1920-1943). C’est devant l’insistance des élèves présents hier qu’un débat a été institué, les questions-réponses et les propositions ayant pris plus de temps que prévu. Grâce au concours de M. Boutros-Ghali, dix minutes supplémentaires ont été accordées aux jeunes, qui ont tout simplement voulu présenter aux délégués francophones les problèmes internes du Liban, « un pays, selon eux, privé d’autonomie ». Des jeunes aux horizons bouchés, qui ont peur d’être « confrontés dans quelques années au chômage » et qui veulent quitter le Liban, « non seulement pour chercher un emploi, mais pour trouver un pays où leurs droits seront respectés et où ils vivront librement ». Âgés de 15 à 19 ans, ils « ne sentent plus que le pays leur appartient » et ils le crient haut et fort. Ils contestent les propos des officiels libanais présents. « Ce n’est pas la rupture du dialogue entre Libanais qui nous a coûté 130 000 vies car le Liban n’a pas connu de guerre civile, c’était la guerre des autres sur notre territoire », lance par exemple une jeune fille répondant à l’intervention de M. Salamé. Tentant de nouer le dialogue avec un jeune qui affirmait avoir baissé les bras, M. Tuéni brandit le thème du sommet (dialogue des cultures) et s’exprime en langue arabe pour lui demander : « Le pays t’appartient ou non ? » La réponse vient toute simple : « Non ! » En aînés, le représentant du président de la République et le PDG d’an-Nahar décident alors de s’adresser aux jeunes. Ils parlent de leur propre fougue, il y a des d’années, disent qu’ils comprennent les jeunes, les accusent de ne pas connaître l’histoire ou encore les us et coutumes du pays. Ils citent en exemple les manifestations des années soixante ou encore la tradition de l’émigration chez les Libanais qui cherchent depuis toujours d’autres horizons pour faire leur vie. Dans la foulée, M. Hamadé indique qu’il est pour le vote des émigrés et relève encore que, de tout temps, au Liban, il y a eu « des excès, des poussées de fièvre des services de sécurité et de renseignements ». C’est en chercheur que l’économiste Hamdane s’adresse à l’assistance. Il donne les résultats d’une étude récente : « 85 % des jeunes diplômés au Liban sont confrontés au chômage. » « Uniquement 600 000 Libanais ont quitté définitivement le pays entre 1975 et 2000 », indique-t-il encore sans pour autant préciser, aux étrangers présents, que le Liban compte seulement trois millions et demi d’habitants. Faut-il en vouloir aux jeunes d’avoir transformé un débat sur la francophonie en discussion sur les problèmes internes du Liban ? Faut-il leur en vouloir parce qu’ils appellent à la liberté d’expression et au respect des droits de l’homme dans un pays qui perd, de jour en jour, un peu plus de ce qui faisait sa particularité au Moyen-Orient ? Faut-il les blâmer s’ils ont remis sur le tapis la rafle du 7 août 2001 quand plus de 250 militants de l’opposition avaient été emprisonnés, s’ils sont passés à tabac à chaque manifestation estudiantine revendiquant le retrait syrien, la libération des prisonniers politiques, ou encore la réouverture d’une chaîne de télévision ? Le Liban, multiculturel et pluriconfessionnel, reçoit le IXe Sommet de la francophonie sur le thème « dialogue des cultures ». Oui, le Liban avec ses chrétiens et ses musulmans, ses francophones, ses anglophones et ses arabophones, ses Beyrouthins et ses provinciaux peut donner l’exemple. Dommage, avant de recevoir les délégations étrangères, le pouvoir a peut-être sous-estimé l’impact de certains de ses actes. Et il est de ces erreurs impardonnables... Patricia KHODER
La liberté et la démocratie se portent mal au Liban. Et les jeunes des écoles des Saints-Cœurs l’ont crié haut et fort hier devant le secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Boutros Boutros-Ghali. C’est sur le thème « Les jeunes ont la parole », initiative prise par l’association des anciens des Saints-Cœurs et soutenue par...