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Actualités - INTERVIEWS

RENCONTRE - « Terra Incognita » bientôt au cinéma Ghassan Salhab joue avec les interdits(photos)

« La censure va me casser les bonbons avec ce film. » Ghassan Salhab est parfaitement conscient de ce fait. Mais il aimerait aussi qu’on ne parle pas autant de Dame Anastasie. Laissons-la tranquille, peut-être qu’elle en fera autant pour nous ? Oh non. Cela serait mal connaître la chimie de ses méninges (qu’il raffole triturer). Salhab pratique effectivement le contraire de la politique de l’autruche. Provocateur, baroudeur, il n’en fait qu’à sa guise et s’offre même le luxe de réaliser des films « à l’encontre des règles établies ». Il n’y a pas de quoi s’étonner, alors que son dernier opus n’a pas recueilli que des réactions enthousiastes. Pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de voir Terra Incognita, lors de sa projection à l’occasion de l’inauguration des Journées cinématographiques de Beyrouth (vendredi 4 octobre), sachez que sa sortie commerciale est prévue en novembre. « Mais si la censure charcute certaines scènes, je refuserai la sortie en salles. » Il faut savoir qu’une scène de nu partiel est à l’origine de ce branle-bas. « Ici, on ne parle que de ça. Lors des festivals de Cannes et de La Rochelle entre autres, les spectateurs étaient plus subtils. Ils m’ont surtout demandé si, dans mon pays, les femmes étaient aussi libres de leur corps. Personnellement, je n’ai pas envie de parler de la nudité, ajoute Ghassan Salhab. Le personnage de Carole Abboud a un certain rapport avec son propre corps. C’est de cela dont il s’agit. » Made in Lebanon « Le dernier Ghassan Salhab », c’est ainsi qu’il voudrait que l’on désigne son film. Et non pas comme « un film libanais d’Untel ». Explications : « Notre production cinématographique est tellement restreinte que chaque long-métrage devient emblématique, représentatif de son pays d’origine. Terra Incognita n’est pas un film sur le Liban. C’est un long-métrage fait au Liban. Il ne vise pas à exposer la réalité du pays. Il expose plutôt un certain regard. » Ce regard, c’est celui du réalisateur, bien évidemment. Le noyau c’est « le rapport que j’ai à cette ville et au reste du monde, indique le cinéaste. C’est une tentative de saisir toute la complexité des choses. » Mais Salhab n’a ni la prétention, ni la volonté de dire : « Voilà, c’est cela le Liban. » Sans donner de jugements, ni de moralité à la fin de l’histoire, il nous offre « un voyage, non guidé, dans un pays sept fois détruit et autant de fois reconstruit ». Trop abstrait, trop métaphorique, Terra Incognita ? « Disons que je n’ai pas simplifié la vie des spectateurs… J’aime casser les habitudes, jouer avec les interdits. Vivre sur le territoire de bordure. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si de larges séquences du film se déroulent sur la frontière. » Certains ont vu ce film comme une grande déclaration d’amour à Beyrouth. « Oui, c’est vrai. Mais mon amour est loin d’être aveugle. » Souraya (Carole Abboud), c’est une métaphore de Beyrouth ? « Tous les personnages du film le sont, d’une manière ou d’une autre. » Les chants religieux qui ponctuent le film ? « Cela fait partie de la symphonie chaotique de Beyrouth. » L’émigration, omniprésente dans les conversations ? « Le Libanais a toujours conjugué le verbe partir à tous les temps. Ses rêves, ses désirs, son ambition sont peut-être plus grands que ce petit territoire. » Absence de ponts qui relient les séquences. Rapport au temps indéfini. Tous les acteurs, à un moment donné, fixent de leur regard l’œil de la caméra. Tout cela contribue à déstabiliser le spectateur. Et quand, de plus, le réalisateur vous affirme, paraphrasant un philosophe au nom impossible à prononcer et encore plus à écrire, que « ce qui n’est pas dit dans ce film est aussi important que ce qui l’est », allez comprendre. Le cinéma comme sublimation ? « L’art n’est pas là pour nous sauver. C’est juste une consolation », lance Salhab, citant Thomas Mann. Et d’ajouter : « Ce n’est que depuis peu que j’ose me présenter comme cinéaste. Ce n’est pas un titre, c’est une responsabilité. » Maya GHANDOUR HERT Fiche technique Scénario : Ghassan Salhab. Images : Mustapha Belmihoub. Musique : Toufic Farroukh. Montage : Gladys Joujou. Décors : Rouba Asmar. Son : Patrick Allex. Interprétation : Carole Abboud (Souraya), Abla Khoury (Leyla), Rabih Mroueh (Tarek), Walid Sadek (Nadim), Carlos Chahine (Haïdar). Production : Agat Films & Cie – GH Films Source. Synopsis Les tranches de vie de cinq personnages s’entrecoupent et se mêlent dans Terra Incognita. Souraya, guide touristique, parcourt le pays sur les traces de civilisations passées auxquelles se mêlent parfois celles de la récente guerre. Souraya qui s’abandonne à des amants de passage et qui accumule des visas. Leyla qui navigue entre mysticisme et athéisme exacerbés. Nadim, architecte, qui réinvente sa ville, apportant sa pierre à l’œuvre de destruction et de reconstruction. Tarek fraîchement rentré au pays, et qui se demande pourquoi. Haïdar, spectateur des informations qu’il relate à la radio, tout autant que de sa propre existence. Ils n’osent trop regarder derrière eux, encore moins se projeter en avant. Carte de visite Né à Dakar en 1958, Ghassan Salhab y a vécu douze ans. En 1970, sa famille s’installe au Liban. Après une licence en sciences économiques en 1979, il réalise de nombreux courts-métrages au Liban et en France, notamment Panoramique tourné à Beyrouth en 1985. Et aussi La clé (1986), L’autre (1989), Après la mort (1991), Afrique fantôme (1993). Il collabore également à l’écriture de longs-métrages avec Jean-Louis Milesi et de téléfilms. Terra Incognita est son second long-métrage après Beyrouth fantôme.
« La censure va me casser les bonbons avec ce film. » Ghassan Salhab est parfaitement conscient de ce fait. Mais il aimerait aussi qu’on ne parle pas autant de Dame Anastasie. Laissons-la tranquille, peut-être qu’elle en fera autant pour nous ? Oh non. Cela serait mal connaître la chimie de ses méninges (qu’il raffole triturer). Salhab pratique effectivement le contraire de...