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Actualités - OPINION

L’opposition critique l’inopportunité des règlements de comptes politiques

C’est presque une lapalissade : n’y a-t-il vraiment aucune autre priorité pour le pouvoir que de neutraliser l’Est opposant ? Certes, comme Hariri l’a laissé entendre au sujet de l’Irak, notre petit pays n’a pas trop à se tracasser des complications régionales, vu qu’il n’y peut strictement rien. Avec ou sans unité intérieure, les menaces extérieures restent imparables. Cette évidence éclate, par exemple, quand on parle d’implantation. Rejetée à l’unanimité par les Libanais, elle ne s’en présente pas moins comme un fait (déjà) accompli. Par contre, il est aussi évident qu’en ces jours de dure rentrée sociale, les secousses politiciennes aggravent les difficultés économiques du pays. Et en réduisent les chances de redressement. Car s’il faut miser sur Paris II, et à un moindre degré sur le Sommet de la francophonie, il faut se dire que du crédit dont jouit le Liban, autorité et stabilité en tête, dépendent les crédits qu’il attend. Or le pays offre une image de guignol désarticulé, agité dans tous les sens. Pris d’une inexplicable fébrilité qu’un opposant attribue, pour sa part, à un mal de tête. C’est-à-dire à un dysfonctionnement inquiétant des circonvolutions cérébrales dont procède la réflexion politique du pouvoir. Délaissant, pour sa part, ce savant langage alambiqué à la Molière, un professionnel de l’Est affirme que les bastonnades, les rafles genre 7 août 2001 n’ayant produit que des effets contraires, le pouvoir s’est rabattu sur la fermeture de la MTV, sur le torpillage du congrès des libertés, sur l’ouverture des dossiers. Et, pour compléter l’éventail en l’étendant à la Constitution, sur un projet révolutionnaire de circonscription unique doublé de l’abolition du confessionnalisme à la Chambre et de la création d’un Sénat qui resterait pour sa part confessionnel. Bref, dans sa guerre éperdue de liquidation du camp adverse, le camp loyaliste déclenche maintenant l’artillerie lourde. En remettant en question le principe même d’un pays de consensus et de coexistence. Ce qui, à vrai dire, étonne même des chancelleries occidentales. Dont le personnel se répand dans les salons, dans les dîners, en interrogations perplexes, dubitatives, que l’on peut résumer en deux mots : et après ? Il est en effet entendu, dans le monde entier, que l’exception libanaise ne se justifie géographiquement, dans cette région, que par le droit des minorités. Si elles devaient être gommées, il n’y aurait tout simplement plus de raison objective à ne pas effacer du même coup, de la première page du Larousse, le drapeau libanais parmi ceux des autres nations dites indépendantes. Ces diplomates sont d’autant plus surpris qu’en tant que connaisseurs appointés du dossier local, ils savent que la question électorale n’est pas de brûlante actualité. Les élections législatives ne doivent en effet intervenir que dans plus de deux ans et demi. Car on a prorogé le mandat de l’actuelle législature, afin que le scrutin n’intervienne pas en même temps que celui de la présidentielle, dont on ne peut modifier la date et qui tombe fin 2004. C’est donc la prochaine Chambre qui devra élire le président suivant. Et, soulignent les diplomates, si l’on devait dès maintenant décider de la configuration des législatives, il y aurait de forts risques que le futur régime n’annule la loi, pour en tailler une à sa convenance. Cela à moins, concluent-ils avec un sourire en coin, que la reconduction ne soit déjà assurée. Une supposition que des opposants trouvent pour leur part fortement plausible et probable. Car, disent-ils, on commence à savoir que l’ouverture du nouveau front politique institutionnel, pour mieux pilonner l’Est, a été suggérée dans tous ses machiavéliques détails par l’ancienne garde des décideurs. Qui serait de nouveau en charge du traitement du dossier libanais, comme en témoigne le passage à Moukhtara d’Abdel-Halim Khaddam. Puis les déclarations qu’il a multipliées par le truchement de députés libanais autorisés à solliciter ses lumières. Il n’est cependant pas exclu, estiment ces mêmes sources, qu’on soit actuellement en pleine phase purement tactique. C’est-à-dire, en clair, on n’est pas bien sûr que Damas veuille vraiment du projet global présenté par le pouvoir libanais. Parce que, s’il offre l’avantage d’abolir la démocratie en même temps que le confessionnalisme politique (qui en est ici la matrice naturelle), il produirait par contre une unification forcée du système libanais. Il n’y aurait plus moyen, dès lors, de jouer sur les contradictions internes, de diviser pour mieux régner, du moment que toute opposition aurait été laminée pour de bon. Ce raisonnement, à première vue logique, est cependant discutable. Parce que pour se disputer, les Libanais sont des rois. Ils s’entredéchirent, même quand ils appartiennent à un même camp, comme les exploits de la troïka l’ont amplement montré. Or le gâteau promis à l’ombre d’un Liban électoralement unifié serait partagé pratiquement, à des degrés divers, entre des protagonistes dont l’entente a toujours été bancale. On peut citer en vrac les lahoudistes, les hariristes, les amalistes, les hezbollahistes, les joumblattistes, les arslanistes, les karamistes, les frangiyistes, sans compter les compagnons de route, phalangistes ou autres, puisés dans le maigre panier loyaliste de l’Est. Il y aurait toujours moyen de s’amuser un peu avec ces convives, d’en orchestrer les valses d’alliances ou d’axes, et d’organiser des arbitrages pour les réconcilier quand ils en viendraient à se crêper le chignon. Comme toujours. Du présentoir, on n’aurait finalement ôté que l’Est, avec qui en tout cas Damas n’a jamais vraiment traité. À l’exception de l’éphémère attention apportée à la mission Boutros aux temps, déjà politiquement lointains, des débuts présidentiels de Bachar el-Assad. Toujours est-il que, selon un observateur expérimenté des arcanes politiques, l’hypothèse d’un simple ballon d’essai des décideurs en matière de loi électorale n’est pas négligeable. Car, note cette source, il n’en a été parlé de toute évidence qu’à très peu de gens. Berry a ainsi avoué qu’il n’en avait rien entendu avant son retour de voyage. Joumblatt de même. Frangié et Mikati de leur côté, nordistes peu suspects de sentiments antidécideurs, n’ont pas hésité à dénoncer le projet électoral. Prudemment, les autres prosyriens, avertis ou pas, se contentent en général de dire qu’ils doivent réfléchir. Élias Murr, de son côté, rappelle que ce n’est là qu’un projet, et certains proches de Baabda répètent que le chef de l’État ne se prononce pour sa part pour aucune formule. Qu’il ne donnera son avis, qu’après avoir étudié toutes les suggestions. Le Conseil des ministres a évité la question. Et l’un des principaux intéressés, le président de la Chambre, a habilement éludé de donner son point de vue sur le fond, en se contentant de féliciter le régime pour ses efforts dans le domaine institutionnel. Ce serait donc trop s’avancer, conclut cette personnalité, que de prendre pour chose faite le projet et de s’en alarmer outre mesure, pour inquiétant qu’il soit. D’autant qu’on va passer très bientôt à autre chose, puisqu’il faut commencer à dérouler le tapis rouge pour le Sommet de la francophonie. En pratique, cependant, l’effet recherché, à savoir bousculer l’opposition, est pleinement atteint. Comme le prouvent en partie le communiqué des évêques maronites et les premières réactions des piliers de Kornet Chehwane. Philippe ABI-AKL
C’est presque une lapalissade : n’y a-t-il vraiment aucune autre priorité pour le pouvoir que de neutraliser l’Est opposant ? Certes, comme Hariri l’a laissé entendre au sujet de l’Irak, notre petit pays n’a pas trop à se tracasser des complications régionales, vu qu’il n’y peut strictement rien. Avec ou sans unité intérieure, les menaces extérieures restent...