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Actualités - CHRONOLOGIE

Coexistence Carlos Ghosn et Ghassan Salamé au colloque de l’USJ

« L’école comme facteur de coexistence », la « coexistence dans les textes officiels » et la « coexistence comme projet », tels sont les thèmes abordés samedi dans le cadre de la deuxième journée du colloque « Coexistence des langues et des cultures dans l’espace euro-méditerranéen, entre utopie et réalités », organisé par l’Université Saint-Joseph (USJ) au campus des sciences médicales – rue de Damas. L’occasion pour certains juristes et politologues d’apporter leur pierre à l’analyse et à la réflexion. Avec, au final, deux invités de marque, qui ont tenu l’auditoire en haleine : le ministre de la Culture, Ghassan Salamé, et le PDG de Nissan, Carlos Ghosn. Fadia Kiwan, vice-doyenne de la faculté de droit et de sciences politiques à l’USJ et directrice de l’Institut de sciences politiques, s’est intéressée à l’école en tant que lieu de socialisation politique. Le droit véhicule de dialogue et de coexistence : telle est la perspective abordée d’entrée par le professeur Pierre Gannagé, constitutionnaliste libanais et ancien professeur à la faculté de droit de l’USJ. D’autant plus, indique M. Gannagé, qu’au Liban, la « coexistence s’inscrit dans les faits avant d’exister dans le droit ». En d’autres termes, elle est expérience avant d’être codification. Or, souligne-t-il, le droit de la coexistence est « très étendu », aussi bien dans le droit privé que dans le droit des institutions politiques puisqu’il comporte des éléments du droit arabo-musulman et de l’époque ottomane, et une influence occidentale, plus précisément française, certaine. Selon M. Gannagé, le droit de la coexistence est une caractéristique des pays pluralistes, une manière comme une autre de créer une identité politique commune dans le respect des identités et des spécificités de chacun, en échappant à la culture totalitaire et à l’uniformité. Le but étant l’absence de toute discrimination. Dans le domaine du droit privé, le droit de la coexistence est toujours présent dans les textes libanais. Preuve en est le statut personnel, respecté par l’État et garanti par la Constitution. L’évolution juridique au Liban tend justement, a-t-il remarqué, à octroyer davantage de garanties aux communautés. De plus, les textes libanais font coexister le droit civil d’inspiration occidentale et le droit religieux. Mais, en définitive, même si le Liban est formé de dix-huit communautés, il est un État laïque puisqu’au niveau du droit, il n’est pas rattaché à une seule communauté, à une religion d’État, comme dans la majorité des pays voisins. Là encore, le principe de reconnaissance, fondement de la coexistence, l’emporte. Quant au droit de la coexistence et son application dans le domaine des institutions politiques, il suscite des « débats passionnés », a poursuivi le professeur Gannagé. Mettant en exergue « le souci des auteurs des textes de favoriser l’entente entre les communautés dans les décisions mettant en cause l’avenir de la nation », il a enfin rejeté le terme de « confessionnalisme politique », qui possède selon lui un « caractère péjoratif visant à condamner toute formule de coexistence communautaire ». Les barrages à la coexistence La coexistence est-elle viable en tant que projet politique ? « Cela paraît compromis », répond Joseph Maïla, doyen de la faculté des sciences sociales et économiques de l’Institut catholique de Paris, en se penchant sur le cas des pays sud-méditerranéens. Maïla distingue trois niveaux d’analyses pour étudier la coexistence : au plan infra étatique, au sein des États-nations, la coexistence est immanquablement rattachée à la question de la reconnaissance des minorités, grand facteur de guerres civiles. Au niveau interétatique, la coexistence se porte mal, également, du Maroc à la Turquie. L’interminable conflit israélo-arabe en témoigne, de même que les conflits irako-iranien, koweito-irakien… Enfin, pour ce qui est de la coexistence entre les États du Nord et le sud de la Méditerranée, la fêlure existe aussi. Joseph Maïla a ensuite énuméré les trois principes qui constituent les fondements de la coexistence : la culture de la reconnaissance d’abord, qui existe dans la région depuis le système des millets instauré par l’Empire ottoman pour préserver les communautés, et le pluralisme qui l’accompagne nécessairement. Or cette culture de la reconnaissance est mise en péril par l’émergence du monolithisme dans les sociétés et la formation des États unitaires très centralisés. Et M. Maïla d’ajouter que le pluralisme peut constituer aussi un outil de manipulation au sein d’une société, dans le cas de figure où les communautés sont montées les unes contre les autres. Les résultats vont à l’encontre même du principe de la reconnaissance. Deuxième principe préalable à la coexistence : la démocratie. Celle-ci aussi est sujette à des blocages dans le Sud méditerranéen, parmi lesquels le patriarcalisme, le patrimonialisme et la culture du parti unique. Enfin, les relations occidentalo-orientales, jadis excellentes du point de vue culturel, ont débouché sur une fracture. « Le pourvoyeur de culture qu’était l’Occident est devenu un prédateur de civilisation », a indiqué M. Maïla, en évoquant la conscience du colonialisme chez les peuples colonisés. Le présent de la coexistence n’est guère plus jovial. « La coexistence aujourd’hui est difficile », a-t-il estimé. D’autant plus que la coexistence est confrontée à plusieurs types de cultures qui lui sont hostiles et qui cherchent à la réduire : la « culture hégémonique ou culture politique de mobilisation », dans le cadre de laquelle sont faites certaines hypostases de concepts auxquels l’on a voulu donner une réalité, tels que « refaire la nation arabe », par exemple. M. Maïla n’est pourtant pas pessimiste. Il veut distinguer certaines lueurs d’espoir pour l’avenir. La culture des droits de l’homme et le mouvement, en marche, vers l’universalité sont des éléments qui laissent présager, selon lui, des lendemains meilleurs. Surtout quand les organisations des droits de l’homme deviennent, dans des pays paralysés, « des substituts à des partis politiques impossibles à mettre en œuvre ». Autre élément positif, la prise de conscience par les minorités, comme la femme, de leur statut dans ces sociétés du Sud méditerranéen. Mais cela reste insuffisant, puisque cette prise de conscience du statut ne suffit pas. Il faut qu’elle sorte de sa passivité, entre dans un dynamisme qui la fera passer « du statut au sujet ». Troisième et dernière source d’optimisme, selon Joseph Maïla : la société civile. « La coexistence de demain n’est pas interétatique, mais intersociétés civiles », a-t-il ajouté, en mettant en exergue « la vivacité des sociétés civiles des pays du Sud méditerranéen ». Et de conclure sur le rôle du Liban, par une phrase de Michel Chiha : « Le Liban est un lieu où les civilisations se visitent et s’invitent. » Le local et le global Le thème de la dialectique entre « le global » et « le local » a été ensuite abordé par MM. Pierre Catala, professeur de l’Université Panthéon-Assas, et Ghassan Salamé. Si M. Catala a évoqué « les bonheurs du local » et « les douleurs du global », M. Salamé a innové, créant le concept du « glocal », pour signifier « l’universalisation, à travers la mondialisation, d’un élément local du patrimoine culturel ». Debout à la tribune devant un auditoire passionné, le ministre de la Culture a posé la problématique de « l’exclusion et de l’inclusion ». « L’exclusion est fondée sur le principe de la pureté, valeur douteuse qui a gagné ses lettres de noblesse avec la chute des idéologies et qui conduit à la purification », a estimé M. Salamé. En a résulté, selon lui, le nettoyage ethnique et racial. « Autrefois, on se battait pour ce que les gens pensaient. Maintenant, cet aspect est dévalué au profit de ce que les gens sont », a-t-il poursuivi. Plus dangereux sont aujourd’hui « les phénomènes d’inclusion, sorte d’assimilation en douce », des « phénomènes hégémoniques opérés par les plus forts, et qui sont dissimulés dans les textes juridiques, comme certains amendements constitutionnels ou certains projets de loi au détriment des minorités ». « Le marché est un facteur tout aussi dangereux d’inclusion », a-t-il souligné. « Ces deux modèles laissent froides les communautés de l’espace méditerranéen », a ajouté M. Salamé, en mettant en garde contre les processus d’exclusion et d’inclusion véhiculés par la mondialisation. La réponse se trouvant, a-t-il conclu, dans le droit à la diversité culturelle et des textes juridiques garantissant la protection de celle-ci. Enfin, le PDG de Nissan, Carlos Ghosn, a fait un vibrant plaidoyer en faveur du managment multiculturel, devant un amphithéâtre comble. M. Ghosn a expliqué comment, dans le milieu de la construction automobile, l’ouverture, la reconnaissance de l’autre et de sa culture, ainsi que la transparence et le respect de ses partenaires, avait permis d’opérer un miracle et de sortir Nissan d’une crise jugée fatale par les spécialistes. Dans un discours improvisé et avec une éloquence remarquable, Carlos Ghosn abolit toutes les barrières culturelles et géographiques, passant de la francophonie en tant que véhicule de valeurs comme la coexistence et l’ouverture à la culture japonaise du respect, l’éthique du samouraï. Le tout sur fond d’entreprenariat et de construction automobile. Une incarnation de la coexistence des langues et des cultures en clôture du colloque, bien au delà de l’espace euro-méditérranéen. Et une constatation : la coexistence est, par dessus tout, un modus vivendi. Michel HAJJI GEORGIOU
« L’école comme facteur de coexistence », la « coexistence dans les textes officiels » et la « coexistence comme projet », tels sont les thèmes abordés samedi dans le cadre de la deuxième journée du colloque « Coexistence des langues et des cultures dans l’espace euro-méditerranéen, entre utopie et réalités », organisé par l’Université Saint-Joseph (USJ) au campus des...