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Actualités - CHRONOLOGIE

Séminaire- Les lois électorales dans les sociétés d’après-guerre Le scrutin législatif face au confessionnalisme et au clientélisme

Au moment où le débat sur la loi électorale refait surface, les forces politiques en présence s’empressent à tour de rôle d’avancer des propositions éparses qui, dans leur contenu, ne font que perpétuer les anciens clivages qui divisent profondément la société libanaise. Si tout le monde convient aujourd’hui de la nécessité d’une législation moderne, les législateurs ne s’accordent toujours pas sur une formule viable garantissant une représentativité à toutes les échelles de la société libanaise. Autrement dit, quelle peut être aujourd’hui la solution qui prendrait en compte la dualité qui caractérise le système libanais, à savoir d’une part, le respect du pluralisme confessionnel et d’autre part, les principes démocratiques du régime consacrés dans la Constitution ? Or, les Libanais ne semblent pas encore tout à fait prêts à se prononcer sur un projet de « vie en commun » et continuent, dans une large mesure, de miser sur le système confessionnel et clientéliste aux dépens du système parlementaire démocratique. C’est cette idée fondamentale qu’ont fait ressortir plusieurs intellectuels et juristes lors d’un séminaire de deux jours au cours duquel, tous les « vices » du système électoral libanais ont été répertoriés et analysés en profondeur par les intervenants. Organisé par le Centre d’études comparatives – droit et société – avec le Centre canadien de recherches sur le développement international (IDRC), ce séminaire, qui a regroupé des chercheurs arabes et européens, a permis un échange fructueux entre les spécialistes qui se sont penchés sur la question « des lois électorales dans les sociétés d’après-guerre ». Comment peut-on construire un État démocratique qui puisse paver la voie à l’instauration d’une paix durable et au dépassement des clivages de la guerre ? Comment mettre en place un système électoral qui reflète la volonté populaire et qui puisse aboutir à l’émergence d’un pouvoir politique parrainant la réconciliation nationale et garantissant les droits des citoyens ? Or, en analysant les différentes consultations électorales qui se sont succédé au Liban depuis les accords de Taëf, le constat est, on ne peut plus désolant, affirment les experts. Et pour cause : les trois lois électorales qui ont précédé les consultations populaires depuis la fin de la guerre « ont été confectionnées à la mesure des hommes politiques convoitant le pouvoir » contredisant par là les principes de souveraineté populaire et de représentativité. Ces lois, qui n’ont pratiquement jamais évolué depuis les années vingt, n’ont fait que consacrer le clientélisme et le confessionnalisme, deux vices majeurs du système politique libanais. Évoquant les élections des années qui ont précédé la guerre, Farid el-Khazen, chef du département des sciences politiques à l’AUB, constate que l’aspect « concurrentiel », qui caractérisait les scrutins d’avant-guerre, a été complètement éclipsé de nos jours dans certaines régions, pour laisser la place à un « régime autoritaire centralisé qui impose ses quotas en matière de candidature ». D’où un fossé énorme entre le peuple et ses représentants marqué par l’absence d’un débat politique. « Le système électoral actuel n’est rien d’autre que le prolongement de la guerre » mettant en lice des factions qui n’ont toujours pas trouvé un terrain d’entente, dit-il. Ce qui a relativement changé, c’est le phénomène d’ingérence extérieure, plus précisément syrienne, qui a atteint son paroxysme depuis les années quatre-vingt-dix, ajoute l’intervenant. Autre nouveauté, l’introduction de l’argent électoral avec l’apparition sur la scène politique des hommes d’affaires influents parachutés au pouvoir grâce à leurs moyens financiers. Combien coûte une élection ? s’interroge à son tour Dima Sader, sociologue. La relation de l’argent aux élections a certes existé avant la guerre, lorsque les « financiers » parvenaient à s’infiltrer sur la liste des chefs traditionnels, constate Mme Sader. Mais c’est surtout à partir du scrutin de 2000 que l’on peut parler d’une véritable « institutionnalisation » de l’argent politique déversé par le biais d’associations caritatives. Profitant des difficultés économiques croissantes et face à l’abdication de l’État de son rôle en tant que fournisseur de services, les « donateurs politiques » ont investi la tribune parlementaire en injectant des sommes faramineuses que ce soit par le biais de l’achat de voix, de services sociaux offerts à l’électorat ou à l’aide de campagnes onéreuses. L’apparition de fondations portant les noms de certains candidats en lice, telles que celle de Hariri, Safadi, Makhzoumi, qui concentrent leurs activités dans les régions défavorisées, illustre parfaitement cette nouvelle tendance, affirme la conférencière. Elle constate en outre que les moyens déployés ne profitent pas seulement aux électeurs, mais également « aux chefs de liste qui contrôlent le jeu électoral, et aux Syriens », un autre grand décideur lors de la consultation électorale. Combiné à une publicité électorale « anarchique », qui consacre et perpétue la suprématie des hommes au pouvoir, l’argent politique vient fausser la règle du jeu, en violant le principe sacrosaint de l’égalité des chances lors de la consultation électorale. Ainsi, dit Nizar Saghiyé, avocat et chercheur juridique, nous aboutissons à un régime à tendance despotique qui ne tolère aucune forme d’opposition. « Fondée sur la loi confessionnelle conformément au principe des quotes-parts », l’organisation de l’information électorale, incarnée essentiellement par la loi de l’audiovisuel, est venue répondre « aux besoins du pouvoir en place », écartant du jeu tous les « contestataires » qui ont été privés de leur droit d’expression, notamment durant les élections. « C’est ce qui a permis aux privilégiés (du pouvoir) de monopoliser l’espace public, et par conséquent l’ensemble de la vie politique tout en marginalisant “l’opinion contraire” », précise l’avocat. Ainsi fut imposé tout « un arsenal d’interdits » sur la scène publique, que justifie la promotion de concepts tels que « l’unité et la réconciliation nationale ». Des notions qui ont été vidées de leur sens dans la mesure où « le droit à la différence » a été dénié à toute une catégorie de la population. « Toute velléité de critique adressée au régime équivaut désormais à un coup d’État. Des slogans tels que la concomitance des volets syrien et libanais ou la fraternité entre les deux peuples ont été exploités dans le but de faire taire les voix prônant une réforme de ces relations », dit-il. Par conséquent, l’organisation de l’information a fini par « cloisonner les individus à l’intérieur de groupuscules antagoniques fermant la porte à tout dialogue entre ces factions au bénéfice de l’hégémonie exercée par les loyalistes, c’est-à-dire l’hégémonie syrienne ». La fermeture de la MTV n’est-elle pas un exemple patent de « la monopolisation » du pouvoir par certains ? s’interroge le conférencier. Reprenant un par un les différents projets de réforme électorale, présentés par les formations politiques et par les représentants de la société civile notamment sous le gouvernement de Sélim Hoss, Massoud Younès, président du centre d’études comparatives, constate que ces propositions, 53 en tout, reflètent fidèlement l’opinion publique dans toutes ses divergences sociologiques. Bien que critiques envers le système confessionnel, aucune des parties en présence « ne s’est risquée à proposer un projet cohérent appelant au dépassement du confessionnalisme ». « Du reste, dit-il, aucune parmi les réformes avancées ne comporte une analyse méthodologique de la loi électorale en vigueur, ni même une critique des vices qui entachent le système électoral prévalent ». Selon lui, la solution ne réside pas dans le type de circonscription prônée, à savoir une circonscription unique, moyenne ou réduite, ni dans les techniques des divisions administratives, « mais dans une réforme fondamentale du système électoral, et dans le règlement des problèmes du financement des campagnes, du clientélisme et de l’absence de souveraineté », explique M. Younès. Reconnaissant toutefois que la circonscription réduite favorise le féodalisme, la circonscription moyenne le confessionnalisme, et la circonscription unique l’hégémonie de l’État central et des ingérences extérieures, il affirme que seul un véritable dialogue national entre les Libanais peut mener à une réforme en profondeur. Ahmed Beydoun, professeur à l’UL, se prononce pour sa part en faveur du système proportionnel sur base du collège électoral unique, qui peut constituer « une garantie pour les groupes minoritaires, à condition de procéder à l’élection du Sénat prévue par la Constitution ». Rappelant les deux principes de base qui ont de tout temps guidé le législateur libanais, à savoir le « principe de la répartition des sièges entre les différentes communautés et le principe de l’unité nationale », le professeur Beydoun constate que le second principe est en net recul depuis l’adoption des accords de Taëf. « Tous les facteurs pouvant mener à la réconciliation nationale et à un véritable partenariat entre les citoyens ont disparu depuis », précise l’intervenant. Il rappelle par ailleurs que le système confessionnel – considéré comme provisoire selon la constitution – devait progressivement disparaître. « Les craintes exprimées par les minorités sont légitimes, dit-il. D’où la nécessité de relancer l’idée du Sénat dont le rôle est précisément de veiller aux droits de différentes communautés. » Unanimement, les intervenants s’accordent à dire qu’une nouvelle loi électorale conforme aux principes de droit fondamentaux prévus par la Constitution, est devenue incontournable. Encore faut-il savoir s’il est de l’intérêt du législateur en place, de changer le statu quo. Jeanine JALKH
Au moment où le débat sur la loi électorale refait surface, les forces politiques en présence s’empressent à tour de rôle d’avancer des propositions éparses qui, dans leur contenu, ne font que perpétuer les anciens clivages qui divisent profondément la société libanaise. Si tout le monde convient aujourd’hui de la nécessité d’une législation moderne, les...