Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Colloque - « Coexistence des langues et des cultures dans l’espace euro-méditerranéen », à l’USJ Y a-t-il une sélection naturelle des civilisations ?(photo)

«Coexistence des langues et des cultures dans l’espace euro-méditerranéen, entre utopie et réalités ». Sur ce thème globalisant, un colloque international s’est ouvert hier, à l’amphithéâtre de la faculté des sciences médicales de l’USJ. Il s’agit, une fois de plus, de scruter l’histoire des hommes pour savoir si les civilisations peuvent vivre en paix ou si elles sont condamnées à s’entre-déchirer. Le colloque se propose de chercher la réponse à cette question dans l’histoire, la sociologie, la politique, la psychologie, la linguistique, comme au croisement de ces disciplines. On peut regretter que la philosophie soit absente de cette recherche, mais comme l’affirme le recteur Abou, « on ne peut pas tout faire ». Évidemment, en filigrane du colloque, il y a les terribles attentats du 11 septembre 2001, événements inépuisables qui ont mis les civilisations au défi de coexister. L’un des originalités de la séance inaugurale a été de mettre côte à côte les recteurs de l’USJ et de l’AUB, le P. Sélim Abou et John Waterbury, dont l’humour a déridé l’auditoire. Modérée par le député français Christian Philip, professeur à l’Université de Lyon, la séance a réuni, en outre, les professeurs Jean Benoist et Louis-Jean Calvet, de l’Université Aix-en- Provence-Marseille, et Ahyaf Sinno, de l’USJ. La présentation du thème du colloque a été faite par le Pr Joseph Maïla, doyen de la faculté des sciences sociales de l’Institut catholique de Paris, qui s’est substitué au dernier moment à l’anthropologue Pierre Augé, victime d’une fracture à la jambe. La tâche de Maïla était de « planter le décor », de dégager la trame de la réflexion. « La mondialisation est-elle écrasement des différences, fin des cultures particulières, début d’une tyrannie de l’universel qui ne saurait être que l’hégémonie de ceux qui posent la particularité propre à leur culture comme une unité transposable aux autres ? » s’est interrogé Maïla. Sous-entendu, tel est le risque réel d’une mondialisation sauvage, d’une sorte de « sélection naturelle » des cultures qui ne laisserait subsister que les plus forts. Mais M. Maïla ne pose cette question que pour mieux relever l’interdépendance des cultures et noter, par exemple, que « pour exprimer toute la richesse du réel », les hommes d’aujourd’hui ont de plus en plus tendance à utiliser plusieurs langues, selon la fonction primordiale de chacune d’entre elles : « Une langue pour parler technique, une autre pour se cultiver, une troisième pour communiquer au quotidien. » « L’histoire que nous vivons n’est pas linéaire, dit-il, et nous ne sommes pas arrivés au stade ultime de la fin de l’histoire (...) L’histoire n’est pas finie et l’universel prendra le visage et l’allure d’une conversation entre les cultures particulières et la communauté de tous les hommes, plutôt que celui d’une culture anonyme s’imposant à tous. » Au confluent des identités Le recteur de l’USJ, le P. Sélim Abou, ira dans le même sens et notera qu’« il n’y a plus de cultures isolées » et même qu’il n’existe presque plus dans le monde « des nations qui ne comportent pas deux ou plusieurs communautés ethniques ayant des identités différentes », que « l’identité culturelle (...) se construit au confluent de plusieurs identités particulières ». Selon le P. Abou, « la diversité culturelle ne court aucun risque de se dissoudre dans une culture globale dominée par une pensée unique. D’une part, en effet, l’histoire montre que tout mouvement d’uniformisation s’accompagne d’un mouvement égal de différenciation ; d’autre part, les éléments culturels, matériels ou immatériels, diffusés par la culture dominante sont réinterprétés par les cultures réceptrices en fonction de leur propre cadre de référence ». Ainsi, dit-il, « l’Indien qui danse à Tepeyac (Mexique) devant la basilique de la Vierge de Guadalupe est conscient de célébrer une cérémonie chrétienne, et en même temps de perpétuer une tradition remontant à plus d’un millénaire ». Pour généraliser l’un des concepts qu’il utilise, une civilisation n’extirpe pas une autre, mais se greffe sur elle, et finit par être transformée autant qu’elle transforme. Pour finir, tout en affirmant qu’« aucune culture ne peut prétendre représenter à elle seule l’universel », le P. Abou souligne que « les hommes sont conduits à discerner, parmi les modèles culturels en contact, ceux qui sont les plus aptes à fournir un surcroît de liberté et de responsabilité, c’est-à-dire d’humanité ». On frôle ici le positivisme. Waterbury : « Un combat entre éponges » Le président de l’AUB, John Waterbury, va insister, pour sa part, sur l’interaction des cultures et des civilisations, ce « métissage » aussi bien physique que culturel des peuples. Citant longuement Toynbee et ses intuitions prophétiques sur la mondialisation, il dira, en un raccourci saisissant, que celui qui va d’abord profiter de la mondialisation, ce n’est ni l’Europe ni l’Amérique du Nord, mais « le boutiquier chinois ». Pour lui, s’il y a un choc des civilisations, c’est un « combat entre éponges » dont l’essence est l’échange, plutôt que la transmission à sens unique, de dominant à dominé. Peut-on l’étudier ? Oui, assure-t-il, mais même les paramètres classiques (fécondité, viellissement, scolarité, distribution des richesses, taux d’inflation, chômage, etc.), qui sont « les éléments constitutifs des cultures et des institutions », sont « des cibles mouvantes ». « Les réponses culturelles et institutionnelles peuvent varier », dit-il, donnant en exemple deux réactions différentes, pour un même donné social : le taux de criminalité dans les agglomérations urbaines en Amérique du Nord et le taux de criminalité dans les grandes villes du pourtour méditerranéen, dont Istanbul. Au passage, le président de l’AUB dira sa méfiance à l’égard de progrès technologiques. « Ce qui est nouveau, dit-il, c’est le rôle actuel de l’informatique dans la vulgarisation et la propagation des préférences de consommation et, à un moindre degré, des valeurs. Je suis frappé par le fait que notre capacité de regarder l’autre par le biais des chaînes de télévision et de l’Internet contribue à creuser, plutôt qu’à combler, le fossé d’incompréhension, et à aiguiser le mépris et même la haine entre diverses sociétés et cultures. » Le « désordre babélien » Le mouvement dialectique et entre « pureté identitaire » et « métissage culturel » sera au centre de l’intervention du Pr Jean Benoist, coordonnateur du réseau « Langues, cultures et développement » à l’Agence universitaire de la francophonie. Comparant la civilisation du pourtour méditerranéen à d’autres sociétés métissées, comme la société créole, Benoist s’engage dans une analyse de psychologie sociale entre le « pur » et « l’hydride ». Il évoque « la pulsation des cœurs de chaque civilisation » et compare le mouvement de flux et de reflux, d’ouverture et de repli, aux battements d’un cœur. La réalité pour lui est dans le mouvement. Évoquant la Méditerranée, il conclut en citant Giono : « Sur cette eau depuis des millénaires, Les meurtres et les amours s’échangent. » Ahyaf Sinno, directeur de l’Institut des langues orientales de l’USJ, intervient à son tour sur le thème « Culture, civilisation et métissage dans la tradition arabo-musulmane ». Il décrit les différents niveaux de signification des concepts de « thaqafa » (culture), d’ « adab » (lettres, humanités, comportement religieux et moral) et de « elm » (science de la foi), et leur hiérarchie. M. Sinno évoque aussi les problèmes de la rencontre des cultures arabo-musulmane et occidentale, et des diverses solutions qu’on a pu leur donner : traditionnaliste, réformiste, occidentaliste. Enfin, il évoque aussi le problème des valeurs universelles et des valeurs particulières dans la civilisation arabo-musulmane, citant le Moyen-Orient comme « terrain favorable aux échanges culturels » et relevant la nécessité d’une « critique interne poussée » de certaines valeurs particulières. La séance inaugurale se conclut par une intervention de Louis-Jean Calvet, un linguiste de l’Université d’Aix-Marseille sur « la mondialisation et les langues ». C’est « le versant linguistique » de la mondialisation. Devant le « désordre babélien » des langues, plus de 6 000 dans le monde, l’homme n’est pas sans recours. Calvet expose son modèle de classement « gravitationnel » des langues, en cercles concentriques, allant de la langue hypercentrale, l’anglais, aux langues centrales, une trentaine, et enfin aux langues périphériques. Il fait ensuite l’apologie des bilingues, qui sont les traits d’union entre deux ensembles linguistiques. Sur ce fond général, Calvet s’interroge : « Faut-il lutter contre l’hégémonie de l’anglais ? Faut-il protéger les langues, en une sorte d’acharnement thérapeutique ? Faut-il défendre la francophonie ? » Dans tous les cas de figure, répond-il, il faut donner des critères de pertinence, dire pourquoi on le fait. Calvet a cette formule admirable : « Les hommes ne sont pas au service de la langue, mais le contraire. » De là, Calvet aborde le problème de la gestion du plurilinguisme, gestion sociale et gestion politique, il évoque une espèce de « Yalta linguistique » ou de partage du monde en zones linguistiques, avant de souligner le droit à la diversité. « Le combat de la francophonie n’est acceptable que s’il défend à son tour le droit des langues qui gravitent autour d’elle. » Fady NOUN Anecdotes et boutades – Appliquant la loi de relativité sociale générale, M. Waterbury raconte cette histoire vraie : « Que pensez-vous de la civilisation occidentale ? » demande-t-on au Mahatma Gandhi. « C’est une bonne idée », répond ce dernier, insinuant que la civilisation occidentale est une représentation dont l’image réelle peut être bien différente. – L’exposé de Louis-Jean Calvet commence par une boutade : Question : « Quelle est la langue la plus parlée dans le monde ? » Réponse : « À quelle heure ? » – Au nombre des anecdotes : Question : « Comment appelle-t-on un homme qui parle trois langues ? » Réponse : « Un trilingue ». Comment appelle-t-on un homme qui parle deux langues ? Réponse : « Un bilingue ». Et comment appelle-t-on un homme qui parle une langue. Réponse : « Un Américain. »
«Coexistence des langues et des cultures dans l’espace euro-méditerranéen, entre utopie et réalités ». Sur ce thème globalisant, un colloque international s’est ouvert hier, à l’amphithéâtre de la faculté des sciences médicales de l’USJ. Il s’agit, une fois de plus, de scruter l’histoire des hommes pour savoir si les civilisations peuvent vivre en paix ou si...