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Actualités - ANALYSE

REGARD - Rachana: le symposium en péril? Ondes de forme, ondes de difformité

Les Libanais sont-ils des vandales? Si à Aley le respect des statues dans les places publiques s’est imposé vaille que vaille, à Rachana ce n’est guère encore le cas. Le spectacle est désolant. Le Parc international de sculpture, qui s’étage sur quelques terrasses au flanc d’une colline à pente douce, est laissé presque à l’abandon, faute de moyens. Son aménagement reste rudimentaire. Décharné patrimoine Ouvert jour et nuit au tout venant, il subit souvent les outrages d’enfants déchaînés qui dévissent les lampes au pied des sculptures, les cassent, envoient promener les douilles, arrachent les fils électriques, volent les plaques de cuivre qui servent de cartels d’identification des 57 sculptures (bientôt 62 quand s’y ajouteront les cinq du symposium 2002 qui vient de s’achever), gravent des graffiti sur certaines d’entre elles, dispersent les pierres de terrassement. Bientôt iront-ils peut-être jusqu’à endommager carrément les œuvres. Déjà, quelques-unes présentent des mutilations, doigts amputés, membres brisés. S’agit-il d’attentats caractérisés, d’accidents de transport, de fragilité structurelle aggravée par les intempéries? Il est urgent que cette population de pierres levées plantées en pleine nature soit protégée, d’une manière ou d’une autre. Inutile d’espérer quelque initiative que ce soit du côté du ministère de la Culture, voire du ministère du Tourisme envers ce qui fait, qu’on le veuille ou non et abstraction faite de la valeur des œuvres, partie intégrante de notre décharné patrimoine artistique. Contre vents et marées Patriarche débonnaire, Alfred Basbous, qui préside aux destinées du symposium et du parc, manque des ressources nécessaires pour renouveler les équipements avariés, remédier aux ravages du temps et des enfants, peut-être même de quelques adultes débiles, et parachever l’aménagement en suspens. Sa voix n’est pas entendue. Aussi ravale-t-il son amertume et se contente-t-il de formuler en privé griefs et doléances qui constituent un réquisitoire en bonne et due forme à l’encontre de l’incurie et de l’impéritie régnantes. Je ne sais pas ce qu’il en est de la municipalité de Rachana, si elle existe ou pas, si elle a le moindre intérêt pour l’entreprise qui a donné nom, personnalité et célébrité à un village jadis anonyme devenu du jour au lendemain un haut lieu de la culture grâce aux trois frères Basbous, à commencer par Michel auquel on ne rendra jamais suffisamment justice pour la merveilleuse aventure qu’il a su initier et qui a transformé la tribu familiale en artistes plus ou moins doués mais tous ouverts, ardents, généreux, payant de leur personne et de leur temps pour faire réussir à chaque fois, contre vents et marées, le symposium de sculpture, qui en est à sa neuvième édition. Un trou dans le paysage La dixième édition sera-t-elle la dernière? Alfred Basbous semble même parfois douter qu’elle puisse avoir lieu, tant les bonnes volontés se font rares. Verra-t-on le symposium de Rachana, entreprise purement culturelle, sombrer faute de fonds et de mécènes au moment même où les rivalités politiques poussent certaines municipalités à l’émulation et à l’institution de symposiums grandioses devenus soudain instruments de prestige, de concurrence, voire de suprématie électorale? Aley, Ras el-Metn, Jounieh et maintenant Choueifat, sans compter ceux que j’oublie. Prenez Aley et Choueifat: au symposium de sculpture et de peinture de la première, la seconde riposte par un symposium de céramique. Grattez un peu, vous trouverez toujours des raisons autres que culturelles. La politique de clan a du bon quand elle use de ces procédés éminemment pacifiques, civilisés et civilisateurs, même si c’est pour des raisons contestables. Mais l’improvisation, l’incompétence, la gabegie, le manque de discernement, de savoir-faire et de goût prennent à Choueifat une allure bordélique inacceptable, indigne même d’une foire à la brocante, d’un Souk el-Ahad. Privé de ressort politicien, Rachana sera-t-il laissé à son sort, son parc livré aux herbes folles et aux vandales en culottes courtes? Verra-t-on ici aussi, comme avec la fermeture de la galerie Épreuve d’Artiste après un quart de siècle d’activités fébriles ininterrompues, un grand trou se creuser dans le paysage, à l’image de ces carrières qui évident les flancs de nos montagnes? Une injuste disparition, un blanc dans le texte, un naufrage? L’éducation en cause Des enfants vandales, cela met en question l’éducation qu’ils reçoivent. Il y a quelque chose de pourri dans notre système éducatif s’il est incapable d’inculquer à des gosses un minimum de respect pour le mobilier culturel et les équipements publics. On a vu récemment des manifestants déraciner des arbres pour traduire leur frustration et leur hargne. Il y a des manières plus écologiques de se défouler, mais ils avaient peut-être l’excuse de l’excitation collective et de la protestation symbolique, Mais des enfants en excursion culturelle? Peut-être même des enfants du village? Pourquoi respecteraient-ils de vulgaires sculptures quand des sites inscrits sur la liste du patrimoine de l’humanité ont du mal à empêcher les empiètements et les défigurations, dans l’indifférence générale? Ils ne font qu’imiter les comportements des grandes personnes. Si certains médias ne signalaient les infractions, elles passeraient comme lettres à la poste (maintenant qu’elle est rétablie). Ou faut-il désormais dire comme des e-mails? Ce n’est pas le lieu, ici, de faire le procès de l’éducation de nos enfants. Mais il y a certainement là, à part les tares qui la vicient, une lacune à combler: leur apprendre à dissocier plaisir et destruction, jeu et agression, à associer divertissement et activité constructive, amusement et service social. L’apprentissage du mépris Dans un pays où les empilements de pierres marquent jusqu’à présent, dans certaines régions, les limites des propriétés et des champs, empilements strictement respectés par tout le monde, y compris les enfants, alors qu’il serait si facile de les démanteler et de les disperser, il est effarant de voir traiter avec un tel mépris des sculptures et des pierres levées, qui marquent elles aussi une propriété, c’est-à-dire une identité culturelle. Et le mépris, tout comme le respect, s’apprend, il n’est pas inné, il est acquis. Nous voici de retour à l’éducation, non seulement scolaire mais aussi et peut-être surtout familiale, et à tout ce que la télévision, les bandes dessinées, les jeux vidéo, voire l’Internet installent de pulsions négatives, agressives, saccageuses dans les cerveaux lavés, relavés et blanchis pour être mieux noircis de nos mioches. Mais foin de sermons. Tournons la page. Recette magique À propos d’empilements de pierres, une amie passionnée de jardinage et d’agriculture biologique cultive une vingtaine de variétés de tomates de toutes les couleurs, formes et dimensions par souci de préservation et de propagation de la biodiversité et de lutte contre l’envahissement du gabarit unique. Tomates originaires de toutes les parties du monde et qui constituent, en elles-mêmes, tout un monde de teintes, de tons, de goûts, de saveurs, de consistances, de pulpes plus ou moins généreuses, de structures et compartimentations internes. Cette amie tentait en vain, depuis longtemps, de se débarrasser des fourmilières qui infestaient ses plates-bandes. Un vieux paysan lui confie un jour une recette-miracle: tracer un triangle équilatéral avec l’entrée du nid au centre, et empiler des cailloux, aussi haut que possible, aux trois sommets. Plus hauts les tas, plus fort l’effet d’expulsion. En très peu de temps, les fourmis, comme affolées, décampent littéralement avec armes et bagages, déménagent larves et provisions et filent trouver refuge ailleurs. Testée, la recette s’est avérée d’une incroyable efficacité. Il n’y a plus de fourmis dans les plates-bandes. Générateur radionique Magie pratique populaire? Si l’on veut, mais surtout mise en œuvre des «ondes de forme». Chaque forme, apparemment, émet des ondes positives ou négatives qui peuvent être captées à distance et agir pour le bien ou le mal. Le tout est de savoir utiliser ces ondes qui font l’objet d’une antique et toute nouvelle discipline, la radionique. Ses principes sont identiques à ceux qui président à certains rituels de magie noire ou blanche. Elle ouvre des perspectives de compréhension nouvelle des effets positifs et négatifs de l’architecture (on a beaucoup disserté, par exemple, sur les effets bénéfiques des formes pyramidales), des machines, des œuvres d’art, des sculptures qui semblent être de puissants émetteurs d’ondes de forme agissant sur le subconscient. Y aurait-il donc quelque chose, dans les pierres levées du parc de Rachana ou dans leur disposition, capable de le transformer en générateur radionique? Submergeant le subconscient éminemment influençable des enfants, les pousse-t-il à la violence, à convertir les ondes de forme en ondes de choc? Ou n’est-ce tout bonnement que l’effet à retardement des ondes de difformité absorbées chez eux, à l’école, dans la rue, devant le petit et le grand écran? Joseph TARRAB
Les Libanais sont-ils des vandales? Si à Aley le respect des statues dans les places publiques s’est imposé vaille que vaille, à Rachana ce n’est guère encore le cas. Le spectacle est désolant. Le Parc international de sculpture, qui s’étage sur quelques terrasses au flanc d’une colline à pente douce, est laissé presque à l’abandon, faute de moyens. Son aménagement reste...