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Actualités - REPORTAGE

MÉDIAS - Au-delà du problème juridique et politique, un drame humain insupportable Le cri de désespoir des employés de la MTV

La décision juridique de fermeture de la MTV, appliquée le 4 septembre, est tombée comme un couperet sur la tête de plus de 450 employés de la chaîne de télévision. Une tragédie ? « Dites plutôt une condamnation à mort », lance Fadi Skaff, un jeune cameraman qui a dû renoncer à inscrire sa seconde fille à l’école cette année pour des raisons financières. Pour ces centaines d’employés de différentes spécialisations, une grande entreprise comme la MTV offrait un avenir professionnel et une stabilité financière devenue rare dans un pays secoué par la crise économique. Il y a un peu plus de deux semaines, en pleine rentrée, la brutale fermeture de la chaîne et l’intervention musclée des agents de l’ordre les ont ramenés à une amère réalité, empreinte de précarité et d’insécurité face à l’avenir. L’espoir que la MTV sera bientôt autorisée à rouvrir ses portes persiste, évidemment. Mais si la fermeture durait ? « La moyenne d’âge des employés de la MTV est très jeune, explique Roger Matar, directeur des opérations. Ils sont presque tous à l’âge où l’on fonde une famille, où l’on prend des engagements financiers pour acheter une maison ou une voiture. Environ 400 d’entre eux travaillent à plein temps dans la chaîne. Ils n’ont pas d’autres ressources et vivent au jour le jour, comme la grande majorité des Libanais. » Les témoignages de plusieurs employés illustrent parfaitement les propos de M. Matar. Certains cas sont poignants. Christine Haddad et Élie Yammine sont mariés depuis un peu plus de deux mois seulement. Ils travaillent tous d’eux à la MTV, elle comme secrétaire et lui comme cameraman. Le père de Christine aussi est un employé de la chaîne et a le reste de la famille à sa charge. Trois salaires dans une même famille sapés d’un coup... « Nous vivons au jour le jour, déplore le jeune couple. Même avec nos salaires, notre situation était si précaire que nous avions décidé de nous passer de la réception de mariage. » De la décision de fermeture de la MTV, Fadi Skaff n’en revient toujours pas. On peut aisément le comprendre : il a à sa charge une femme et deux filles de 5 et 4 ans, ainsi que des parents âgés, dont un père malade. Comme si ce n’était pas assez, il vient d’acheter une maison à l’aide d’un crédit étalé sur trente ans, dont il n’a payé que deux termes ! « Ma seconde fille devait entrer en grand jardin, raconte-t-il. J’ai dû lui sacrifier une année afin de pouvoir enregistrer l’aînée, et je ne sais pas si elle sera acceptée à l’école l’année prochaine. Beaucoup de loisirs et d’achats nous sont devenus inacessibles. » Il ajoute, amer : « Je me dirige vers l’inconnu. Si la décision de fermeture n’est pas révoquée, la banque mettra sans nul doute la main sur ma maison. » Bien qu’ayant un enfant à sa charge, Yazbeck Wehbé, reporter et présentateur du journal télévisé, s’estime plus chanceux que d’autres. « Ma femme a un emploi et je travaille moi-même à mi-temps dans une autre entreprise, explique-t-il. Mais ce n’est pas le cas de 90 % de mes collègues. Ce qui me révolte, c’est que l’examen définitif qui doit porter sur la question de la MTV soit continuellement retardé. » Gebrane Maftoum, un jeune assistant cameraman qui travaille à la MTV depuis sept ans, n’a peut-être pas perdu le sourire, histoire de garder le moral, mais il n’en brosse pas moins un tableau sombre de la situation dans laquelle ses collègues et lui se trouvent empêtrés. Encore célibataire, il participe néanmoins aux frais d’université de sa sœur cadette. « Comme tant d’autres, j’ai contracté des dettes auprès de la banque, dit-il. Si je suis incapable de les honorer, j’entrerai dans un cercle vicieux : intérêts, nouvelle dette pour payer la première... » « La mise de la MTV sous scellés, c’était le meilleur cadeau de mariage que je pouvais espérer », lance ironiquement Hassan Berjaoui, qui travaille au sein de l’équipe du journal télévisé. Comme coïncidence, on a rarement vu mieux : dans la nuit du 4 au 5 septembre, Hassan rentrait avec son épouse de trois semaines de lune de miel quand il a appris la nouvelle. « Je sens que je baigne dans la déprime depuis ce jour, dit-il. J’ai ma femme et mes parents à ma charge, des traites à payer. Comme mes autres collègues, je comptais sur les avantages de ma situation, notamment l’inscription à la CNSS dont je faisais profiter mon père, malade du cœur. Si je perds mon emploi, je serai très incertain face à l’avenir. » Habitués à l’atmosphère de liberté Certes, il serait exagéré de prétendre que les employés de la MTV ont perdu tout espoir d’une réouverture de la chaîne. Une délégation les représentant fait le tour des responsables pour mettre en valeur l’aspect social de cette affaire, et tous attendent avec impatience la réponse du tribunal des imprimés au recours présenté contre la décision de fermeture. Ils se déclarent touchés par ce drame autant moralement que financièrement. « La MTV est comme une seconde maison pour nous, racontent Christine et Élie. L’idée qu’elle soit fermée définitivement ne nous est même pas passée par la tête. Nous préférons attendre un an plutôt que de nous résoudre à chercher du travail ailleurs. » Hassan, lui, est plus pragmatique : « Je suis très habitué à l’ambiance de la maison et à cette liberté qui y règne. Je ne crois pas que je puisse m’adapter facilement ailleurs. Mais d’un autre côté, je doute d’avoir les moyens de tenir longtemps si une solution n’est pas trouvée rapidement. » Il fait remarquer, ainsi que certains de ses collègues, que les offres d’emploi dans le domaine de la presse et de la télévision ne courent pas les rues au Liban, et qu’il n’aurait, au pire des cas, d’autre alternative que de s’expatrier pour subvenir aux besoins de sa famille. Fadi, lui, ne peut même pas considérer la perspective du voyage, avec des parents malades dont il doit s’occuper, étant leur fils unique. « Si on me dit que j’ai définitivement perdu mon travail, je n’aurai d’autre choix que d’aller dormir devant la porte de (patriarche maronite Nasrallah) Sfeir ou devant celle de (métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Élias) Audeh », ironise-t-il. Depuis la fermeture, Fadi a pris l’habitude de se rendre tous les jours au bâtiment de la MTV, malgré toutes les contraintes. « Je n’ai rien à y faire, raconte-t-il, mais cela vaut mieux pour moi que de rester à la maison où je tourne en rond comme un lion en cage, et où je me trouve obligé de tout refuser à mes filles faute de moyens. » Gebrane a lui aussi souffert de cet arrêt brutal de travail. « C’est très dur pour moi de me retrouver inactif à la maison après avoir été habitué à courir les rues du matin jusqu’au soir », raconte-t-il. Ce même point est soulevé par le rédacteur en chef du journal télévisé, Ghayyath Yazbeck, qui fait remarquer que « les employés ne s’attendaient pas à une mesure aussi radicale envers l’entreprise ». « Habitués à la stabilité qu’elle leur assurait, ils se sentent lâchés dans le vide, surtout qu’ils ont des engagements financiers », poursuit-il. Quelles mesures compte prendre l’administration au cas où la réouverture de la MTV ne serait pas décidée d’ici à la fin du mois ? M. Matar affirme que « toutes les possibilités sont envisagées actuellement par l’administration, qui pourrait décider de payer la totalité ou une partie des salaires de septembre ». Au-delà d’une décision juridique aveugle et de la polémique politique suscitée par la fermeture de la MTV, des centaines de destins sont touchés, des centaines d’individus perdent d’un coup leur source de revenus et la joie d’exercer leur profession. Tout en espérant que la chaîne reprenne au plus tôt ses activités, on peut se demander si, dans notre pays, le sort des jeunes, à qui on répète inlassablement de ne pas quitter la terre de leurs pères, pèse encore dans une quelconque balance. Celle de la justice en l’occurrence. Suzanne BAAKLINI
La décision juridique de fermeture de la MTV, appliquée le 4 septembre, est tombée comme un couperet sur la tête de plus de 450 employés de la chaîne de télévision. Une tragédie ? « Dites plutôt une condamnation à mort », lance Fadi Skaff, un jeune cameraman qui a dû renoncer à inscrire sa seconde fille à l’école cette année pour des raisons financières. Pour ces...