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Actualités - OPINION

Cuore n’grato

1945. Chiclets, barres de chocolat, candies, Lucky Strike, fiasques de bourbon-rye, bas Nylon et bonhomie. Toute la solde des soldats en goguette le samedi soir dans l’échancrure du décolleté des anges bleus des caves munichoises, des bordellos palermois ou des clandés de l’Angoumois. Partout, le GI a le geste large. Partout, il est le man à manne. Bien avant Marshall, le bien nommé, les colonnes des Sherman libérateurs, et leur DDT, ont sauvé toute une partie de l’Europe en ruine de la famine, des poux, des rats, de la vermine et des maires pourris. Hâves, en haillons, le cheveu sale, l’œil fiévreux, le genou cagneux, efflanqués, braillards, déguenillés mais dégourdis, vibrionnant comme des essaims de mouches, les sciuscias de Naples, les titis parisiens, les hitlerjügend berlinois s’agrippent en grappes aux jeeps kaki de l’US Army. Les mêmes, cinquante-sept ans plus tard. Prospères, propres sur eux depuis des lustres, lustrés comme des limousines nickel, le crâne dégarni mais le portefeuille plein, fiché à la place du cœur. Entonnant comme un seul homme l’antienne éculée, lobbiyiste, du fameux devoir de mémoire. Sauf que leur capacité de souvenance semble s’arrêter aux atrocités du bourreau nazi. Presque sans une pensée pour le Zorro d’Amérique. Et même, au nom du droit (légitime mais mal compris) de divergence, ils se permettent de faire de haut la leçon à l’oncle Sam. Voire de l’insulter en traitant George de bûche. Avranches, Colmar, Vintimille, dans les jardins de pierre, les immenses nécropoles où dorment en un parfait alignement de croix sobres des divisions entières de pauvres guys, seuls quelques anciens combattants cacochymes viennent chaque année déposer une larme cataractique, quelques cocardes fanées et un bouquet de chrysanthèmes qui sentent la boue. Et pendant ce temps-là, nonobstant le 11 septembre et tandis que la Méditerranée joue avec les galets, l’air palpite des vibrantes tirades anti-US de ces messieurs-dames que la reconnaissance étouffe, mais que l’amnésie délivre. Comme s’ils n’avaient jamais rien lu dans le grand livre, toilé aux aigles de l’empire étoilé. Dans Little Italy, nostalgique, un canari sifflote Catari, Catari, cuore ingrato. Et le vent porte l’air, comme l’air porte le vent, vers les trois ex-vaincus du Vieux Continent, au rythme lent du fantôme d’un bateau. J.I.
1945. Chiclets, barres de chocolat, candies, Lucky Strike, fiasques de bourbon-rye, bas Nylon et bonhomie. Toute la solde des soldats en goguette le samedi soir dans l’échancrure du décolleté des anges bleus des caves munichoises, des bordellos palermois ou des clandés de l’Angoumois. Partout, le GI a le geste large. Partout, il est le man à manne. Bien avant Marshall, le bien nommé,...