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Actualités - CHRONOLOGIE

FONDATION - Quatrième rapport de la paix civile pour 2002 Déni de la mémoire et gouvernance débridée

L’Observatoire de la paix civile, créé par la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, vient de publier son quatrième rapport annuel pour 2002, sur la base de plus de 125 indicateurs du pacte libanais de coexistence. Il ressort du rapport, rédigé par Antoine Messarra, trois grandes interrogations : a-t-on progressé dans l’édification d’une mémoire collective pour la jeune génération? Comment prémunir aujourd’hui le Liban qui demeure un otage dans le contexte de la sécurité régionale? Comment limiter l’impact négatif d’une gestion clientéliste forcenée du pouvoir? En ce qui concerne la consolidation d’une mémoire de contrition nationale pour la jeune génération, le rapport souligne qu’« il n’y a pas de crainte aujourd’hui pour la paix civile, contrairement aux menaces que profèrent des politiciens ». Il y a cependant une crainte réelle de reproduction de guerres internes pour la génération des jeunes nés après la guerre et après la paix et qui n’ont pas été témoins du désastre. La guerre dans sa dimension civile n’est certes qu’une « petite ruelle dans les guerres au pluriel qui ont ravagé le Liban ». Mais des historiens vont plus tard rapporter une histoire du « Liban » – celle des gouvernants et de la diplomatie – plutôt que l’histoire vivante des « Libanais ». L’élaboration de nouveaux programmes d’histoire, sous la direction du professeur Mounir Abou Asli (décret n° 3175 du 8/6/2000), constitue un fait positif. Mais la création d’une nouvelle commission pour la révision de ces programmes, au lieu de leur mise en application conformément à leur esprit, révèle l’état d’inconscience et l’absence de vision prospective. On avait aussi proposé l’érection d’un monument au centre-ville pour les disparus, qui sont de toutes les communautés et régions et de toutes les appartenances et non-appartenances politiques, symbole vivant des souffrances partagées. Cependant rien n’a été fait, « pour ne pas raviver les blessures » ! Politique donc non pas de l’oubli et de la mémoire, mais plutôt du « déni ». Paix parallèles et otage La fragmentation du système arabe de sécurité, même avec une efficience minimale, le contexte régional contraignant et les ingérences extérieures tendent à maintenir les Libanais dans des « paix parallèles », sans armes, mais avec des polémiques, des surenchères, des regroupements politiques et des discours de « guerre civile verbale ». On voudrait montrer que les Libanais sont « impuissants à se gouverner » et que la sécurité régionale arabe et même la sécurité mondiale, après la catastrophe du 11 septembre 2001, exigent un « gendarme » pour le Liban, un pays qui, selon des propos attribués au président Carter sur la crise libanaise depuis 1975, ressemble à un hérisson : « C’est comme un hérisson; vous ne savez plus par quel côté le tenir, car il vous pique de partout. » Une telle perspective justifie cependant la remise en question du concept de « weak State » dans la littérature américaine en relations internationales. Nombre de faits depuis 1975, dont la résistance libanaise contre l’occupation israélienne, justifient cette remise en question, sans compter que la tragédie du 11 septembre 2001 montre la fragilité des grandes puissances face à de nouveaux systèmes de guerre. Quant aux rapports libano-syriens, on verse souvent dans la polémique avec une propension à « communautariser » les divergences, afin de donner au débat une coloration confessionnelle de « guerre civile en puissance ». Or une distinction opérationnelle s’impose entre les rapports stratégiques libano-syriens, dont aucun Libanais sensé ne conteste l’évidence et la nécessité, et le réseau clientéliste d’influence tissé par des élites au pouvoir au détriment des intérêts communs libano-syriens. Gouvernance sans normes Le même clientélisme forcené régit de plus en plus la gouvernance du pays, dans un climat de confusion, alimenté par l’intelligentsia même, entre les notions de pacte national, de Constitution et de gouvernance. Quoi qu’il arrive, on se rabat sur l’accord d’entente nationale de Taef, alors que cet accord détermine des principes généraux. Toute recherche d’un « nouveau pacte » risque d’ouvrir la voie (une expérience historique séculaire le montre) aux ingérences des frères, cousins, ennemis et autres parentés réelles ou équivoques. Aussi tant que le pacte de Taef n’est pas perçu comme notre dernier pacte national, « à enrichir et non à annuler » (mâ yughnîhî wa-la yulghîhî), suivant une belle expression de Rachid Karamé au début de 1975, les risques de guerre intérieure larvée persistent par manque de sagesse politique. Il ressort en outre du rapport que le système politique libanais subit les assauts d’une confessionnalisation à outrance (tatyîf). Cette propension n’est pas due au système lui-même. On rapporte ces propos d’un homme politique : « Tant que le système est confessionnel, nous voulons notre part. » Or la règle du quota n’est pas… sans règles. Son application est subordonnée à des conditions juridiques et administratives qui sont le plus souvent outrepassées sous le couvert du « système confessionnel », servant désormais d’alibi facile et passe-partout au clientélisme. Il s’agit donc moins de dénoncer le confessionnalisme politique que la « politique confessionnelle ». Perspectives d’action Que faire ? Il ressort du rapport 2002 de l’Observatoire de la paix civile au Liban nombre de propositions qu’on peut classifier en quatre points : 1. La mémoire collective : Il faudra sortir de l’inconscience et de la désinvolture face aux nouveaux programmes scolaires d’éducation civique et d’histoire. Ces nouveaux programmes exigent leadership, suivi et démarche fortement consensuelle parmi les forces vives de la société en vue d’une application, non pas administrative et bureaucratique, mais novatrice et conforme à leur esprit. Il faudra aussi œuvrer pour l’aménagement de lieux de mémoire, des monuments et des rites de commémoration. Il s’agit d’isoler la mémoire de sa charge émotionnelle : « Oublions, mais remémorons-nous », et de « sortir du traumatisme et du fatalisme de la répétition, à travers un processus de résilience », caractéristique mécanique qui définit la résistance aux chocs des matériaux. 2. Programmes pragmatiques d’espace public : Il faudra promouvoir des programmes concrets au niveau des rues, quartiers, localités, écoles, universités…, programmes de terrain qui mobilisent les gens sur des problèmes quotidiens et vitaux communs. Tous les problèmes, même les plus terre à terre, sont aujourd’hui politisés de façon superficielle et suivant des lignes de clivage familialistes, localistes ou communautaires. Dans les villages, on a certes l’habitude d’organiser des séances oratoires, des cérémonies…, mais pas de « débat local » sur des problèmes courants, vitaux et quotidiens. En outre, si on développe « le narcissisme des petites différences », c’est par souci de faire reconnaître la différence. C’est bien la stratégie de l’espace public qui fait la part de ce qui différencie et de ce qui rassemble, « recherchant moins la conciliation que la communication ». 3. Sortir du débat identitaire : On dirait que l’intelligentsia du pays, les médias, les historiens, les politiciens, «l’homo libanicus» sont programmés depuis les années 20 sur des perceptions dualistes confessionnelles, alors que la réalité intercommunautaire devient de plus en plus manifeste. Des perceptions dualistes stéréotypés justifient la persistance d’un Liban otage et d’un Liban en potentialité de guerre intérieure. Une intelligentsia qui brode autour du discours en vogue sur le marché politique, au lieu de « dénoncer ce que les idéologies nous cachent », ne contribue pas à promouvoir le message du Liban en tant qu’exemple de gestion du pluralisme et le rôle régional au Liban en vue d’une nouvelle renaissance arabe. 4. S’attaquer aux problèmes de gouvernance : Le rapport relève que le Liban d’aujourd’hui n’a pas de problème constitutionnel majeur, et que les failles résident dans une gouvernance débridée et sans normes. Accuser telle ou telle clause constitutionnelle, c’est innocenter la classe politique et légitimer des comportements en violation des textes. Le contrôle de la bonne gouvernance exige cependant une approche « moins paresseuse ou clientéliste » des problèmes, une vigilance citoyenne et des mécanismes de défense (advocacy) autre que le légalisme conventionnel. En conclusion du rapport, cette phrase du poète américain Walt Whitman, en 1860 : « Résistez beaucoup, obéissez peu... Dès que vous cesserez de mettre en question la soumission, vous serez complètement asservis. » Et surtout cette phrase de Nadia Tuéni : « Mon pays qui me dit : Prenez moi au sérieux ! » Les travaux de l’observatoire pour les années 1999 – 2002 paraîtront, en janvier 2003, dans le vol. 19 des publications de la Fondation libanaise pour la paix civile permanente.
L’Observatoire de la paix civile, créé par la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, vient de publier son quatrième rapport annuel pour 2002, sur la base de plus de 125 indicateurs du pacte libanais de coexistence. Il ressort du rapport, rédigé par Antoine Messarra, trois grandes interrogations : a-t-on progressé dans l’édification d’une mémoire collective...