Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

Rencontre - L’uléma chiite est hostile au régime irakien, mais contre son renversement par les États-Unis Sayyed Mohammed Hussein Fadlallah : « Je cherche un Libanais et je ne trouve que des confessions »(photo)

Si, au plus fort des années de guerre, son nom avait été lié à certains groupes extrémistes, sayyed Mohammed Hussein Fadlallah a très vite réussi à se tailler une place à part dans le paysage politico-religieux libanais. Sa prestance alliée à la profondeur de ses propos fait qu’on l’écoute toujours attentivement et on n’est jamais déçu. Sayyed Fadlallah frappe là où on l’attend le moins, surprenant ses interlocuteurs par sa modernité et son adaptation aux contraintes de la vie actuelle (n’a-t-il pas défendu l’avortement au cours d’une conférence à l’USJ et pratiquement reconnu le mariage civil au plus fort de la polémique ?), tout en restant fidèle à ses principes de base, ce qu’il appelle sa « stratégie ». Sa récente « fatwa », appelant à ne pas aider les États-Unis dans leur guerre contre l’Irak, a provoqué des remous sur la scène locale et régionale et certains y ont vu un conflit (un de plus) avec l’Iran et ses partisans libanais, pas vraiment hostiles au renversement du régime irakien. Mais dès que sayyed Fadlallah parle, on comprend vite que ses positions se situent bien au-delà des petits conflits. « Ceux qui vivent dans les ruelles croient que les autres sont comme eux », dit-il laconiquement. La conversation commence avec le sujet de l’heure : la détermination des Américains à frapper l’Irak. « Pour savoir si les Américains veulent sérieusement frapper l’Irak, il faut suivre les développements politiques internes aux États-Unis. Pour l’instant, il y a beaucoup d’opinions différentes. Il faut aussi suivre les positions de la communauté internationale. À mon avis, la situation est encore embrouillée, à cause de l’opposition de certains pays alliés des États-Unis et de l’incapacité de ces derniers, malgré les discours tonitruants de leur chef, de mener seuls les attaques. Quant aux pays arabes, il me semble que beaucoup d’entre eux pensent le contraire de ce qu’ils disent, à cause des liens vitaux qui existent entre eux et les Américains et qui sont parfois si forts qu’on a l’impression que le pays en question n’a plus la moindre liberté par rapport aux États-Unis. » Selon sayyed Fadlallah, il faut encore ajouter à tout cela la possibilité que l’Irak fasse des concessions sur la question des observateurs de l’Onu, possibilité qui ne peut que déranger les plans US. « À moins, ajoute-t-il, que tout ce brouhaha médiatique autour des frappes contre l’Irak ne soit destiné à faire oublier les agissements des Israéliens en Palestine. » Que pense-t-il des propos du vice-président irakien Taha Yassine Ramadan, accusant les « Perses d’être les alliés d’Israël » ? « Ils sont tellement simplistes qu’ils ne méritent pas qu’on s’y attarde. Quel est le problème de l’Iran avec les États-Unis, si ce n’est son opposition au plan de paix avec Israël ? Les Américains menacent régulièrement l’Iran et certains hauts responsables au sein de l’Administration US ont même suggéré de frapper ce pays avant l’Irak. La meilleure preuve de l’hostilité de l’Iran à Israël est son appui constant à la résistance du Hezbollah. Tout ce qui se dit et qui est contraire à ces réalités n’est qu’un discours de propagande. Ceux qui le tiennent le savent pertinemment. » « Les États-unis ne veulent pas du bien à la région » Mais si les positions étaient si claires, aurait-il eu besoin d’édicter une « fatwa » interdisant la collaboration avec les États-Unis contre l’Irak ? « Si on suit mes propos depuis des années, on remarque que ma stratégie politique est basée sur une même idée : les États-Unis ne veulent pas le bien de la région. Non seulement ils appuient Israël, mais ils ont mis leurs alliés arabes les plus fidèles, l’Arabie saoudite et l’Égypte, au service des intérêts de ce pays. Ils veulent aussi mettre la main sur les richesses de la région. Si on jette un regard plus large sur la situation, on voit que de l’Irak à l’Afghanistan en passant par la Palestine, le seul souci des Américains est de contrôler la région arabo-musulmane. C’est pourquoi j’ai émis la « fatwa ». Mais cela ne m’empêche pas de me situer parmi les plus grands opposants au régime irakien, qui a transformé le pays en une immense prison pour son peuple. Il a aussi bouleversé toute la région, d’abord avec sa guerre contre l’Iran, puis avec son invasion du Koweït. La « fatwa » est en faveur du peuple, non du régime. Les Américains veulent détruire et occuper le pays avant de renverser le régime. N’oublions pas que ce sont eux qui ont fait échouer l’intifada populaire contre le régime (le soulèvement chiite dans les régions du Sud). J’ai donc appelé le peuple à se soulever contre le régime, qui entraîne son peuple de catastrophe en catastrophe. » Serait-il donc favorable à une prise du pouvoir par les chiites en Irak ? « Je ne crois pas que les circonstances soient favorables à une prise du pouvoir par les chiites et, d’ailleurs, ils ne le souhaitent pas eux-mêmes. Ce qu’ils veulent, c’est vivre dans un pays uni, avec les autres communautés, mais en bénéficiant des mêmes droits. » Comment explique-t-il le tollé provoqué par sa « fatwa » ? « Certains ont dit que le timing n’était pas très heureux. Car ils ne lisent pas le texte, mais formulent leur jugement en se basant sur le climat qui règne. Le peuple irakien, blessé par son régime, a cru qu’elle ne correspondait pas à ses aspirations. D’autant que certains membres du régime en place ont essayé de l’exploiter à leur avantage. » N’est-ce pas plutôt dû aux divisions sur la scène chiite ? Pourquoi, par exemple, n’a-t-on pas encore nommé un successeur à cheikh Chamseddine à la tête du Conseil supérieur chiite ? « J’ai toujours préféré rester en dehors du CSC, depuis sa création. Je suis l’un des recours de l’islam chiite et même si on m’offrait la présidence du CSC sur un plateau d’argent, je la refuserais. » « Je suis un homme de dialogue » En dépit de ses efforts pour rester au-dessus de la mêlée, certains cherchent à l’impliquer dans les conflits internes. On parle ainsi de son différend avec le Hezbollah... « Depuis que j’ai commencé à traiter la chose publique, c’est-à-dire il y a plus de quarante ans, je n’ai jamais eu une attitude négative à l’égard de personne, ni même de conflit, dans le sens étroit du terme. Je suis un homme de dialogue, ouvert à tous les courants religieux et laïcs. Je pars du principe que s’il est de mon droit d’avoir une opinion différente, je dois reconnaître ce même droit aux autres. Je ne pense pas être détenteur de la vérité absolue et je crois au dialogue pour rapprocher les points de vue. C’est pourquoi je ne suis pas concerné par tous les petits conflits qu’on m’attribue. Ceux qui vivent dans les ruelles croient que les autres sont comme eux. » Est-ce par souci du dialogue qu’il a reçu récemment l’ancien président Amine Gemayel et le député Nassib Lahoud ? « Au Liban, il y a les apparences du dialogue, c’est tout. Le reste est un dialogue de sourds ou de muets, pour reprendre l’expression de Ghassan Tuéni. Pour dialoguer, il faut être prêt à accepter l’idée que l’autre a une opinion différente. Mais l’élite ne veut pas d’un dialogue réel qui aboutisse à une vision commune. Le peuple, lui, a mené son propre dialogue et a obtenu des résultats. » Si le dialogue de l’élite n’est pas sérieux, pourquoi a-t-il reçu ces personnalités ? « Je suis prêt à accueillir tout le monde et à écouter tous les points de vue. Quand on est un recours, on l’est pour tout le monde. C’est pourquoi je n’hésite pas à rencontrer tous ceux qui le désirent, même ceux dont on a dit qu’ils ont voulu me tuer. » En étant reçus par lui, certains ne cherchent qu’à donner l’image de l’ouverture et l’utilisent contre les autres composantes chiites... « Je ne crois pas qu’ils ont pu exploiter leur rencontre avec moi. Mes positions sont toujours stratégiques. L’important, ce n’est pas ce que pensent les autres, mais ce qu’on pense soi-même et comment on définit ses positions. J’aime discuter avec tout le monde et je n’éprouve d’animosité envers personne. » Dialogue-t-il avec les Américains ? « Pas avec l’Administration, mais avec des intellectuels, des journalistes et certains anciens politiciens... » « Le véritable cancer, c’est le confessionnalisme » Pourquoi le dialogue interne n’avance-t-il pas ? « À mon avis, le changement est interdit au Liban par des forces extérieures et intérieures. Le véritable cancer, c’est le confessionnalisme. » Le président Berry tient les mêmes propos ? « Chaque partie confessionnelle veut que le Liban soit à son image, c’est là le cercle vicieux dans lequel tous sont prisonniers. Il ne peut y avoir de résultat puisque ces parties ne croient pas au Liban. Pour reprendre l’image de Diogène, j’ai pris ma lanterne pour chercher un Libanais, je n’ai trouvé que des confessions. Mais au fond de lui, le peuple reste pur, les instincts confessionnels lui sont imposés par les classes dirigeantes. » Scarlett HADDAD
Si, au plus fort des années de guerre, son nom avait été lié à certains groupes extrémistes, sayyed Mohammed Hussein Fadlallah a très vite réussi à se tailler une place à part dans le paysage politico-religieux libanais. Sa prestance alliée à la profondeur de ses propos fait qu’on l’écoute toujours attentivement et on n’est jamais déçu. Sayyed Fadlallah frappe là où on...