Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

BAABDA-KORNET CHEHWANE - Optimisme fortement tempéré Un redémarrage, mais pour quel parcours?

Il ne faut jamais dire : fontaine, je ne boirai pas de ton eau. Le dialogue, mort et enterré pensait-on, renaît donc de ses cendres. Comme le phénix, ce qui est naturel au pays des Phéniciens. À un an de distance (c’est le mot, le fossé étant aussi large), le régime reprend langue avec Kornet Chehwane. Et la Rencontre, pour bien justifier son avenant prénom, se porte bien volontiers volontaire pour le rapprochement. Mais, pour reprendre le mot de Saint-Ex, s’aimer (s’apprécier, en l’occurrence, car la politique n’est pas affaire de cœur), ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction. Un bon conseil, encore qu’on voit mal comment l’humanité aurait pu se perpétuer de la sorte. Et on voit encore moins sur quelle mire des regards manifestement frappés de strabisme divergent peuvent se rejoindre. C’est bien là toute la problématique, soulignent les collègues qui traitent ce dossier. Pas très ancien, mais déjà affligé de sclérose en plaques. Tectoniques, c’est-à-dire régulièrement sujettes à des secousses plus ou moins fortes. Comme en août 2001. C’est bien pourquoi nombre de professionnels, et d’analystes, affichent un optimisme assez fortement tempéré. À leur avis, la reprise d’hier s’inscrit simplement dans le cadre de la détente ponctuelle, sans doute provisoire, ordonnée à la fois par les décideurs et par la situation régionale. Un apaisement marqué pour commencer, nul ne l’ignore, par le rabibochage au sein même du pouvoir. Selon les défenseurs de ce point de vue, le but recherché est uniquement de désamorcer les tensions ambiantes. Et non pas de trouver des solutions, ou des accords, de fond. Allant plus loin dans ce décryptage, des politiciens, dont les sympathies pour l’Est sont anorexiques, soutiennent qu’en allant à Baabda comme on se rendrait à Canossa, la Rencontre a surtout voulu réduire la pression dont elle fait l’objet depuis le manifeste de Los Angeles. Autrement dit, atténuer les effets de la campagne lancée contre elle par les ultras prosyriens. Qui lui reprochent d’afficher, par sa composition même comme par ses orientations, un caractère provo outrancièrement confessionnel. Mais, pourrait-on objecter, ce n’est pas en s’entretenant avec une sommité maronite que le camp dit chrétien peut se dédouaner de l’accusation confessionnaliste. Certes, répliquent ces mêmes âmes charitables, mais il est notoire qu’aucune instance ne jouit à Damas, auquel les zélateurs de l’Ouest pensent plaire, du prestige, de l’audience de la présidence. Pour ces contempteurs acharnés de l’opposition, elle aurait donc tenté de se gagner l’appui influent de Baabda dans ses efforts pour endiguer la vague d’hostilité qui la prend pour cible. Dans le même ordre d’idées, ces sources relèvent que la Rencontre semble avoir atteint l’objectif recherché. Dans la mesure où Baabda s’oppose à ce que ce courant, pour éloigné qu’il soit de ses propres positions, soit démagogiquement traité de traître par ses ennemis locaux, au titre qu’il n’aurait pas réprouvé assez fort le projet US de Syrian Accountability Act. Cependant, il faut le rappeler, ce n’est pas d’aujourd’hui que le chef de l’État s’oppose à ce que les Libanais se lancent à la tête tous les noms d’oiseaux. Dès avant le dialogue de l’an dernier, et même au plus fort de la tourmente des incidents d’août 2001, lui et les siens avaient fait savoir qu’il n’est pas admissible d’entendre des parties qualifier la Rencontre, et a fortiori Bkerké, d’antipatriote. Bref, après cette longue parenthèse d’un an, l’alternative interrogative se présente, ou se représente, comme suit : est-on en face d’un simple claquement de soupape de sûreté, pour évacuer une pression dont personne ne veut ; ou se trouve-t-on réellement à l’orée d’une ère de vrai dialogue ? Les loyalistes, comme les opposants, jurent, la main sur le cœur, de leurs bonnes intentions mutuelles et réciproques. En soulignant qu’hier même le président Lahoud a indiqué à ses dix-huit hôtes réunis autour de la table du Conseil des ministres (qui n’offrait, pour une fois, aucun plateau à fromages ou de pelle à gâteau) que le dialogue entamé avec eux serait généralisé à toutes les composantes du spectre politique ou public local. Pour ce faire, a précisé le président, il faudra s’entendre sur des mécanismes précis. Dont un ordre du jour des sujets à débattre. À ce sujet, ou plutôt à ces sujets, il se confirme que les grandes lignes des principaux problèmes ont été passées communément en revue hier. Mais que, bien sûr, la discussion des détails est laissée à des séances ultérieures, comme à des travaux de diverses sous-commissions appelées à être formées. Pour tout dire, à quelque chose malheur est bon. La gravité de la césure provoquée par le manifeste de Los Angeles, considéré comme un brûlot même par nombre d’indépendantistes sincères, a porté les parties concernées à négocier, pour éviter l’implosion, plutôt qu’à continuer à se tirer dessus. D’autant que chacun est conscient des périls régionaux afférents à la guerre israélo-palestinienne comme aux menaces américaines contre l’Irak. En lieu et place du précédent dialogue de sourds, les intéressés veulent initier le dialogue tout court. Sur trois dossiers principaux : la politique, l’économie et la sécurité. Sans chasse gardée entre dirigeants, option qui, selon les proches du régime, a conduit à l’impasse. Cela implique naturellement, relèvent en chœur loyalistes et opposants, une première phase axée sur la détente climatique. Mais, se hâtent-ils de promettre ensemble, on ne s’arrêtera pas en si bon chemin et on continuera les échanges jusqu’à ce qu’une solution puisse prendre corps. Dans cet esprit national donnant le pas à la raison que prône le régime. Pour qui, il faut le préciser, le dialogue doit être multilatéral et non pas bilatéral. Ce qui veut dire que l’Est , l’Ouest, le Nord, le Sud et tous les pôles de la société civile devront également négocier entre eux, parallèlement à leurs conversations avec le pouvoir. Qui promet toutefois d’organiser l’ensemble du mouvement. Ce qui est indispensable, évidemment, si l’on veut éviter la cacophonie. De son côté, la Rencontre se réjouit de ce que le régime, catalyseur à ses yeux de la volonté nationale bien comprise, décide d’assumer pleinement un rôle de rassembleur. Pour elle, la contribution de Baabda à la réconciliation nationale et à l’entente, qui sont ses objectifs, est indispensable. Last but not least, les loyalistes promettent qu’on pourra discuter de tout, absolument sans tabou. Mais c’est déjà ce qui avait été fait l’an dernier. Et il est apparu que la liberté d’expression ne sert pas à grand-chose si l’on n’est pas entendu quand on parle. Autrement dit, en 2001, la Rencontre avait certes pu développer ses arguments connus en faveur du retrait syrien, du déploiement de l’armée au Sud et de la prise de contrôle des camps palestiniens. Mais elle avait essuyé une sèche fin de non-recevoir de la part du pouvoir. Or ces questions subsistent et ont même pris un relief encore plus accusé depuis le 11 septembre. Et les positions, de part et d’autre, restent inchangées. Alors, va-t-on au fiasco ? Pas nécessairement, répondent les deux parties concernées. Qui relèvent que les exigences de l’Est peuvent être assouplies en fonction des impératifs de l’heure. C’est-à-dire qu’il peut consentir à admettre un report du retrait. Dans la mesure où il reçoit l’assurance certifiée qu’à terme Taëf sera respecté. Et que l’on va s’évertuer en outre, et surtout, à gommer les failles immixtionnistes des relations syro-libanaises. Les loyalistes demandent donc aux opposants, après cette promesse en marge, de laisser justement de côté, dans le dialogue, la question de la présence militaire syrienne, que les contraintes stratégiques mais aussi l’intérêt national bien compris justifient. En ajoutant, comme Sleiman Frangié, que les litiges ne constituent que 10 % des sujets de dialogue et qu’il vaut mieux les ranger au placard. Mais l’Est peut-il s’y résoudre, sans se renier ? Il reste que pour l’heure la glace semble rompue. Après, advienne que pourra. Philippe ABI-AKL
Il ne faut jamais dire : fontaine, je ne boirai pas de ton eau. Le dialogue, mort et enterré pensait-on, renaît donc de ses cendres. Comme le phénix, ce qui est naturel au pays des Phéniciens. À un an de distance (c’est le mot, le fossé étant aussi large), le régime reprend langue avec Kornet Chehwane. Et la Rencontre, pour bien justifier son avenant prénom, se porte bien...